Il faut décidément s’appeler Bernard-Henri Lévy, et ne craindre donc pas de hisser, comme souvent, l’effronterie à la hauteur de la cuistrerie, pour, après s’être à jamais couvert de honte aux yeux de ses pairs avec la désopilante affaire Botul, oser s’attaquer aussi brutalement, comme il le fait
cette semaine dans son « bloc notes » du Point (à l’instar de sa revue
La Règle du Jeu ainsi que sur son site
Des Raisons dans l’Histoire, voué entièrement, comme dans les pires régimes dictatoriaux, au culte de sa personnalité), au Freud de Michel Onfray. D’autant que ce dernier est, tout comme lui, un auteur phare de la très germanopratine maison d’édition Grasset : une première, à ma connaissance, dans le petit monde éditorial parisien !
Certes ne passerai-je pas mon temps, ici, à défendre Onfray : tel n’est pas l’objet de cette opinion. Il n’en a d’ailleurs guère besoin, lui, qui, en matière de succès livresque, vend dix fois plus que Lévy (ce qui ne constitue d’ailleurs pas nécessairement une garantie de sérieux philosophique), surtout, une fois encore, après son attaque de botulisme. Mais ce qui frappe néanmoins, dans cette charge inattendue de BHL à l’encontre de son confrère chez Grasset, c’est sa virulence : une critique, non pas scientifique, rationnelle et objective, engageant un débat de fond sur le strict plan des idées, mais une critique, essentiellement, ad hominem, aussi superficielle que subjective, sans véritable charpente argumentative, comme aiguillonnée par un étrange ressentiment, dont on peut dès lors légitimement penser qu’elle n’est guidée au fond, après l’abyssal naufrage d’une certaine Guerre en philosophie, que par une jalousie aussi malsaine qu’absurde.
Car c’est bien là ce que fait Lévy, en cet article du Point, à l’encontre d’Onfray : l’insulter en le taxant, entre autres amabilités, de « puéril », de « pédant », de « ridicule », de « valet de chambre » (fût-il hégélien) et, le comble pour le libertaire nietzschéen de gauche qu’est l’auteur du Traité d’athéologie, de « brigadier des mœurs ». Et Lévy de conclure cet ignoble papier, où le mépris le dispute à la morgue, par cette ultime salve : « J’ai peine, en tous les sens du terme, à retrouver dans ce tissu de platitudes, plus sottes que méchantes, l’auteur des quelques livres (…) qui m’avaient, il y a vingt ans, paru si prometteurs. La psychanalyse, qui en a vu d’autres, s’en remettra. Michel Onfray, j’en suis moins sûr. ».
Soit : laissons donc là à ce vaniteux, et encore plus culotté, de BHL la liberté, pour dérisoire, mesquine ou grotesque qu’elle soit, de pareil jugement, une fois de plus à l’emporte-pièce ! Car, pour lui répondre sur ce point précis, une chose paraît, en tout cas, non moins évidente : c’est que, en ce qui le concerne plus personnellement depuis la tristement célèbre affaire Botul, là même où il se piquait de s’en prendre à l’immense Kant via la farce d’un auteur fictif, la philosophie, qui en a vu d’autres elle aussi, s’en remettra également. Lui, Bernard-Henri Lévy, j’en suis, moi aussi, moins certain, pour le paraphraser. Surtout lorsqu’il lira ma prochaine Critique de la déraison pure, sous-titrée la faillite intellectuelle des « nouveaux philosophes » et de leurs épigones, à paraître ce 17 mai chez Bourin Editeur.
Morale de la fable ? Du rififi en vue, donc, chez Grasset ? Peut-être ! Et je ne voudrais, certes, préjuger de rien. Mais si j’étais Michel Onfray, je quitterais illico presto, après cette charge béachélienne tenant encore plus de la trahison que de l’affront, cette vénérable maison, reprenant, par la même occasion, ma liberté de parole : ce privilège des seuls grands.