C’est quoi ma race ?
Les familles, même avec un passé connu, deviennent souvent les théâtres des révélations que seuls les progrès en matière de génétique permettent d’expliquer.

A la naissance de mon fils, il s’est produit un incident surréaliste à la maternité. Les infirmières avaient confondu mon bébé avec celui d’un couple blanc. Je risquais donc de le perdre à jamais si les professionnels de la santé n’avaient pas eu le génie d’inventer ce système des bracelets numérotés.
Au fait, à la naissance, il parait que presque tous les bébés du monde, filles et garçons, se ressemblent comme pour apporter le message divin du genre : « les hommes naissent libres et égaux,… bla bla bla ». Mais ces infirmières blanches étaient quand même inexcusables. Comment pouvaient-elles se planter, en Europe, au point de confondre un bébé d’un couple noir avec un bébé… blanc ?
Avec un peu de recul, je leur ai quand même trouvé des circonstances atténuantes. Il faut dire que mon petit prince avait vraiment brillé d’imagination en réservant à son papa une aussi magnifique surprise. A la naissance, il avait, comme on dirait, enfilé une superbe peau blanche. Ce bébé, qu’il m’arrivait, à moi aussi, de ne pas reconnaître parmi les autres, était, à lui tout seul, un authentique réquisitoire contre tous les racismes. Quand je l’ai vu, pour la première fois, j’ai vraiment cru, au grand désarroi de sa mère, que l’irréparable s’était produit.
Un autre détail m’a intrigué. J’ai remarqué que sa maman, après quelques jours à la maternité, avait des bras irrigués de nerfs verts. On est marié depuis plusieurs années et c’est la première fois que je remarquais ce détail. J’ai cru que le flot de champagne que je m’étais servi m’avait entraîné dans une illusion d’optique. Je suis revenu le lendemain, totalement sobre. Confirmé ! Mon bébé est bel et bien blanc, impossible de le distinguer parmi les autres sans vérifier le bracelet. Et ma femme a bel et bien des bras irrigués de nerfs verts.
Avoir un bébé blanc était déjà déroutant. Mais que sa mère, que j’ai épousée au fin fond de l’Afrique soit une… blanche ou métisse, je n’en revenais pas.
J’ai mis quelques instants pour essayer de comprendre ce qui m’était tombé sur la tête.
J’ai commencé par la mère, au moins elle, peut s’expliquer. Avec beaucoup de sincérité, elle m’a convaincu. Il n’y a pas un seul blanc parmi ses ancêtres connus. En plus, elle ressemble presque parfaitement à sa mère et à ses sœurs, toutes noires, et aucune aventure avec un blanc ou une blanche n’avait jamais été colportée sur un seul membre de nos deux familles.
C’était une petite ville. Tout le monde connaissait tout le monde et presque tout le monde savait presque tout sur tout le monde. Les quelques Blancs installés dans la ville étaient des expatriés qui vivaient entre eux. Du moment où ils donnaient du travail, se conduisaient de façon aimable avec les autochtones et payaient correctement leurs ouvriers, ils n’avaient qu’à vivre entre eux.
Sur le plan géographique, notre région d’origine se trouve loin, très loin de la moindre influence blanche. Nous vivions à plus de cinq mille kilomètres du Maghreb, blanc, et presqu’à la même distance de l’Afrique du sud, légèrement européanisée. Nous sommes nés et avons grandi au milieu de plus de mille tribus, toutes noires, chacune étant fermement accrochée à sa langue et à sa culture.
Nous vivions donc là, entre nous, et les deux vastes déserts du Sahara et de Kalahari donnaient la garanties aux mille tribus noires qu’elles étaient bel et bien à l’« abri » d’un hypothétique maraudeur maghrébin, au nord, et, au sud, de ces fils de naufragés néerlandais dont la présence sur le Continent noir a, on s’en souvient, fait couler beaucoup d’encres et de sang. Nombreux, d’ailleurs, détestent les contacts multiethniques au point d’avoir inventé cette calamiteuse politique d’apartheid et de vivre enfermés dans leurs villas entourées d’imposantes clôtures électrifiées.
Nous n’avons donc jamais eu de contact avec cette minorité blanche.
Convaincu par la maman, il restait le petit. Etrangement, dans ma tête, il n’avait provoqué aucune antipathie. Mais il a quand même fallu trouver une explication, qui est venue naturellement.
Le petit a entrepris, comme on peut dire, de se décarcasser pour assurer sa propre défense. En quelques semaines seulement, il est « redevenu » noir de peau comme son grand-père et entreprend, depuis, inlassablement, de me ressembler. Bêtement. Il m’amuse beaucoup chaque matin quand je remarque qu’il a pris un trait supplémentaire de ressemblance avec son père comme s’il m’avait dissimulé des trucs qu’il essaie, à présent, de me rendre un à un…
J’en ai parlé à un ami, africain. Il m’a dit que je devrais m’estimer « heureux », du moins pour mon couple. Il se produit, en Afrique un phénomène assez curieux qui finit parfois par disloquer les familles. Un enfant nait, seul parmi ses frères et sœurs, avec des cheveux lisses comme un indien qu’il conserve toute sa vie. Sans qu’aucune infidélité n’ait jamais été reprochée à la mère. Dans certaines communautés, comme chez les nilotiques, ça se comprend. Mais dans des communautés plus en retrait, à l’intérieur du Continent, ce phénomène pose réellement problème.
Il me dit qu’en Afrique, malgré les « barrières » naturelles, les brassages entre groupes ethniques ont été plus profonds, sur plusieurs générations qu’il n’y parait.
L’arrivée des « Blancs » au 15ème siècle y a ajouté du sien. De très nombreux aventuriers blancs (européens ou arabes) se faisaient la belle en marge des expéditions colonialistes. Ils ont dû répandre à grande échelle, dans de nombreuses communautés africaines les gènes de la « peau blanche ». Ca finit par se produire dans n’importe quelle famille.
J’ai pensé à une ancienne camarade de la fac, une petite perle haïtienne, à la peau noire. Elle m’avait fait remarquer, sur une photo de sa famille, que sa grande-sœur était une métisse et que sa peau, très claire, amusait les touristes blancs qui passaient dans son quartier. Elle m’a tout de suite rassuré que cette miraculeuse grande-sœur n’a jamais été au cœur d’un seul débat orageux entre papa et maman. Sa mère, à sa connaissance, est une rigoureuse épouse fidèle et son père, même si sa bouteille de rhum l’entraîne parfois dans des conneries extraconjugales, ça n’a jamais provoqué, nulle part dans le monde, l’arrivée des bébés surprenants dans la famille.
En réalité, selon cet ami africain, le contact entre les Africains et l’Homme blanc remonte à la nuit des temps. Il y a plus de mille ans, la présence des gladiateurs noirs dans les arènes de l’empire romain, c’est-à-dire en plein cœur de l’Europe, n’attirait même pas la curiosité des Romains, blancs.
J’ai appelé un ami installé à Washington. Il m’a appris qu’aux Etats-Unis, de nombreuses familles blanches sont dévastées par la catastrophe du phénomène des bébés noirs. Même en Europe, semble-t-il, les familles blanches ne seraient pas à l’abri.
Alors Monsieur fait un scandale à la maternité. Madame a dû coucher avec tout ce qui bouge ! Mais non, Monsieur le blanc, tu arrêtes ton cinéma ! Tests génétiques à l’appui, le bébé noir est bel et bien de toi !
Ces maquisards noirs, dissimulés dans les brassages sur plusieurs générations, tiennent fermement à ne pas se faire oublier.
Peut-on encore sincèrement être raciste ?
Moi, cette semaine, je me suis amusé à jouer au Père Noël, noir. J’ai enfilé un bonnet rouge et suis parti voir mon ami, français, avec un cadeau d’une originalité sarcastique.
Quand il m’a ouvert la porte, je lui ai, tout simplement dit, « bonjour mon frère ! »
En plein dans le mille ! Le Blanc est resté incrédule !
Boniface MUSAVULI
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