Caïn gagnera-t-il toujours ?

Incommunicabilité. Rupture. Vengeance.
Notre civilisation a commencé comme ça : le meurtre d'Abel.
À cette heure, on a donné le la : voilà, on n'y peut rien, toujours le mal triomphera du bien, à décourager tous ceux qui n'ont pas reçu la grâce !
Mais avant nous, ou ailleurs, d'autres ont vécu, que l'on a tués ; la plus douloureuse blessure faite à Abel, celle qui a signé le pacte du diable des temps modernes, parce que peut-être la plus emblématique, est le meurtre des Indiens d'Amérique. Mais des centaines d'autres, à la vitesse grand V depuis l'invention du tourisme.
Des civilisations entières ont vécu hors ce mal ; ce qui semble vouloir dire qu'il n'est peut-être pas impossible d'y remédier.
Abel n'est pas ce pâtre imbécile que l'on peut plumer ; dans son domaine d'existence et de pensée, il sait se défendre, il sait inventer, il sait lier l'esprit au corps, travailler, faire la fête et se reposer. Il sait respecter son environnement, non pas parce qu'il ne saurait pas lui nuire mais juste parce qu'il est assez intelligent pour anticiper. Il est attentif et abandonné. Abel est en harmonie.
S'il y a Dieu et Diable en chacun d'entre nous, il y a peut-être aussi Abel et Caïn.
Cela fait quarante que je cherche pourquoi on est Abel, pourquoi on est Caîn.
J'ai cru constater que les Caïn pouvaient engendrer des Abel, plus que l'inverse. Parce qu'il est une force intérieure invincible que seule la brutalité peut détruire. C'est déjà un espoir !
Abel est entier, il ne sait pas tricher ni mentir ; il appartient au monde et dans ce monde il peut vouloir séduire, mais jamais pour gagner ; son authenticité est une vertu qui ne lui doit rien, elle lui est donnée par cette chimie dont j'aimerais que nous connaissions la formule ; plus utile que le panel génétique d'Angelina Jolie ! Le génome ? Grand Dieu !
On voit les choses du dehors, au gré des souffrances et traumatismes de l'enfance. À vue de nez on pourrait se dire qu'un berger, frugal, peu jaloux, pas envieux, qui rit au soleil et parle à la lune, n'est pas dangereux ; on pourrait se dire qu'au moins on lui fiche la paix. Mais non bien sûr, car cette innocence, ce bonheur de vivre est une agression ; nous avons donc posé les bases de notre civilisation sur l'évidente victoire du bâtisseur agressé par le rêveur. Le bâtisseur s'étant reproduit à outrance, en plus d'aimer le pouvoir et la querelle, le rêveur n'avait pas beaucoup de chance.
Cependant Abel n'est-il pas la conscience de Caïn et n'est-ce pas pour cette raison qu'il veut la refouler, la tuer si possible ?
Caïn serait-il le Petit Homme de Reich, enfermé dans sa prison et que la vie agresse car il n'y a pas droit ? Est-il le même qui envisage les conquêtes, le pouvoir, l'avoir, comme seules compensations possibles à son mal-être ? Y a-t-il des métis ? Des bâtards ?
Allons-voir.
J'ai entendu des scientifiques, généticiens, biologistes, qui s'affolaient de constater à quel point la communauté scientifique occultait les possibles dérives, ou inutilité, de leurs recherches ; c'était , disaient-ils, une impossibilité pour ceux-ci de remettre en question la justification de leur propre existence que d'ouvrir les yeux sur les dégâts déjà constatés de leurs trouvailles !
Se rend-on bien compte de ce que cela signifie ?
Chacun dans son labo, excité comme un pou devant des recherches qu'il faut se magner de poursuivre et d'achever, pour être les premiers ! Sans jamais prendre le recul de leur utilisation, mercantile et mortifère !
Le transfert de cette attitude a une double répercussion chez le public : d'une part une foi sans doutes dans la science qui réglera tous les problèmes qu'elle a provoqués ou bien, à l'inverse, un doute qui entraîne son rejet définitif.
Voilà de bons élèves, qui se passionnent pour leur art, hermétiques à toute vie extérieure, schizophrènes, comme c'est la mode, irresponsables et néanmoins valorisés dans leur personne. Difficile en effet de quitter ce monde monochrome de la flatterie ; ils ne possèdent orgueil ni morale, et se laissent acheter par le plus offrant.
Dans mon vocabulaire ancestral, cela s'appelle des imbéciles. Des imbéciles qui deviennent des nuisibles. Des gens de peu !
Car parallèlement à eux, d'autres aussi cherchent, mais plutôt à démonter leur folie en en démontrant les limites ! Comme par hasard, ceux-ci sont moins nombreux.
J'ai toujours pensé que le problème nichait dans le giron de la mère...
Et c'est loin d'être une autre histoire cependant, elle est si complexe que je me contente pour l'instant de la saisir sans mots.
Ce n'est pas anodin, la science ; elle fait croire à beaucoup qu'elle est la solution, en oubliant de dire qu'elle est la cause !
Je ne suis pas contre la science, bien entendu, mais celle qui se mêle au profit et au pouvoir devient vénéneuse, haïssable.
Il est loin le temps où l'on mettait cinquante ans à s'assurer qu'une molécule trouvée puisse être commercialisée, parce que sans danger ! Aujourd'hui, on la commercialiserait avant de l'avoir trouvée, si on le pouvait ! Et les dégâts qu'elle cause, on s'en fout ; au pire on paye, au regard des bénéfices obtenus, c'est toujours dérisoire et s'il faut, de temps en temps, sacrifier un marchand de mort, on le fait sans souci : ces gens-là se soutiennent tant qu'ils ont besoin les uns des autres, mais se fichent éperdument les uns des autres !
Personnellement, j'ai été longue à comprendre ; étant d'une naïveté et d'une connerie sans pareille dans le monde de Caïn, il m'en a fallu beaucoup pour accepter que plus rien ne se faisait pour la beauté de la chose, pour le bien de l'humanité, mais qu'en matière de santé ( ce qui est le plus probant et le plus scandaleux) il n'y avait que le profit-qui-compte. Aujourd'hui même, je découvre toutes les semaines jusqu'où cela peut aller !!
Ce n'est pas étonnant que plus rien n'étonne.
Alors l'hypothèse Caïn, caha ?
Je situe mal les millions d'abrutis qui se mettent au service de la destruction massive ; de l'assassinat de la vie, car même si l'on suppose que les temps changent, les mœurs, même la morale, on peut supposer aussi que la vie, le respect de la vie, l'amour de la vie devraient être inscrits dans nos gènes.
Non, dans nos gènes, ils vont y inscrire tout autre chose, par peur de la mort, non par goût de la vie ! Et bien sûr cela change tout.
Bâtir, c'est détruire un peu...
Comment cultiver son jardin sans arracher les mauvaises herbes ? Et comment faire la Beauce sans déraciner des arbres ?
On dit que tout est question de dose, pour les poisons comme pour l'harmonie ; mais on a complètement perdu cette notion de dose ! Et en tout domaine ; la folie des grandeurs est-elle imputable à Caïn ?
Limites d'un schéma ; l'hypothèse est-elle toujours hypothétique ?
Et a-t-on enfin compris qui de la poule et l'oeuf ?
Non ? C'est sûrement que cela n'a pas d'importance.
Ces deux frères sont jumeaux : l'un extraverti, rationnel, scientifique, l'autre introverti, sensible, artiste. Les jumeaux sont un en deux aussi, plutôt que contradiction, il y a complémentarité. Seulement le premier est devenu sourd tandis que le deuxième a perdu la vue. Le premier n'entend plus crier les victimes ni les paroles sages de son frère ; le deuxième ne veut plus rien savoir des horreurs du moment, tout occupé à voir avec son troisième œil, communiquer avec le Grand Tout et se consacrer à son pré carré.
C'est embêtant.
Nous n'avons plus de Martin Luther King, de Gandhi ou de Mandela.
Caïn n'assassine plus, il étouffe, torture, isole et ses armées gigantesques sont polymorphes ; Abel se replie, reste seul ou à trois ou quatre pour survivre dans des petites bulles déjà abîmées. Il tente des chants, des alertes, des incantations. Il espère en la justice divine !
Pendant ce temps Caïn se bat sur tous les fronts : contre d'autres caïns qui le concurrencent, et achète, influence, ou contraint les abels disséminés ; guerre totale, guérillas, propagande : un sacré boulot !
À ce stade, on peut reprocher à Abel de n'être pas assez combatif pendant qu'on se doute que Caïn ira trop loin et se tuera lui-même.
Car l'homme a inventé Dieu non pas pour prendre sa place mais pour qu'il s'en inspire, n'a pas inventé Diable pour prendre sa place mais pour qu'il s'en méfie. Quand la méfiance est tombée, les armes s'émoussent, quand on se sent tout-puissant on abaisse sa vigilance.
C'est la seule chance d'Abel : quand on aura fini de détruire le biotope, même Caïn mourra.
Le blessure qui engendre la violence, la jalousie, la vengeance, n'est pas de bon aloi.
Qu'a fait la mère, pour ne pas aimer pareil ces deux-là ? Caïn lui était-il plus valorisant ? Était-il plus faible, au berceau, pour qu'elle le stimule, le protège ou l'encourage, ou bien plus facile au contraire pour qu'elle lui laisse le champ libre de ses débordements ?
Savait-elle que Caïn le puîné captait en son sein le miel de son corps et laissait à Abel le surplus ?
Bien avant d'être nés, Abel avait acquis cette dépendance et Caïn ce pouvoir.
Mais pas assez pour l'exercer en toute sagesse. Abel est son épine, son tracas, sa gêne. Dissociation.
Abel est berger, il n'est pas mouton ; il connaît son troupeau, le guide, le protège ; il incarne la puissance naturelle. C'est lui qui sacrifie une bête pour se nourrir et pouvoir continuer son œuvre ; c'est un échange ; c'est lui qui, de cette bête sacrifiée, utilise tout, ne gâche rien. C'est lui qui aujourd'hui cherche et invente les moyens de récupérer, pour son bien-être, ne rien prendre qui lèse mais ne rien laisser. Cette inventivité le garde dans l'harmonie, et le sauvegarde. Il est masculin/féminin mêlés. Tout lui importe et son imaginaire le porte à fusionner. Il donne le plus possible et prend le nécessaire pour que la vie perdure. Il a demain en tête et sait se priver. Il est le rouage d'une cause plus grande que lui et s'y donne tout entier. Il sait se battre pour la servir. Mais il ne se trompe pas.
Alors, assailli de toutes parts, il continue, optimiste dans son action, jusqu'au bout, sans faille ni abandon...
Caïn est jaloux ; il a peur et plutôt que céder à se fondre, il s'entête ; il s'entête à maîtriser, commander et pour ce faire contraindre : il ne tolère pas une brebis égarée. Il encage, il enferme mais pour mieux se protéger de ce qui lui échappe encore, c'est lui-même qu'il emprisonne alors..., il y met des dorures, des mets délicats, des jouissances éphémères qui jamais ne le comblent. Son imaginaire est tout entier tourné vers ce but : que puis-je faire pour asservir, que puis-je faire pour me faire admirer ?
Abel peut nourrir de la haine, de la rancoeur quand il est acculé et détruit.
Caïn se nourrit de mépris et d'indifférence.
Que lui est-il arrivé ? Fut-il moins aimé finalement ? Étouffé trop gâté ?
Lui qui a tant besoin qu'on lui tienne tête pour qu'il prouve sa force, pourquoi Abel ne le satisfait-il pas ? Pourquoi s'en détourne-t-il, laissant aller son frère toujours plus loin, sans trouver de limites ? Autres que la mort...
…...... pourtant nous avons tout, en notre Connaissance, pour faire naître Abel en nous..........
…..Ne pas tout mettre en boîte... pas tout dans la même boîte et ne pas la fermer, ou celle-ci sera celle de Pandore.
(pour les puristes, les érudits, les savants, l'utilisation de cet archétype est libre de tous droits ! Du moins je le crois ! Et je n'ai pas pris en compte la blessure initiale qui, inversée, aurait peut-être inversé les noms ! Inverser notre monde ? Je n'y crois pas un seul instant et au fond, je m'amuse (je profane ?) de l'injustice initiale comme preuve d'inanité.....)
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