Cannes : un commando de photographes pour une photo infidèle d’un époux infidèle
Fascinante, la photo sur les marches rituelles du festival de Cannes qu’ a publiée Le Figaro.fr, le 22 mai 2009, dans sa rubrique « Arrêt sur image » ! Car elle ne met pas en scène pour une fois des stars dans leur tenue guindée d’apparat mais les coulisses de l’industrie médiatique qui fabrique ces produits et assure leur maintenance. Il n’est que de voir dans la quinzaine écoulée le matraquage médiatique, privé et public, qui n’a cessé de promouvoir le produit Hallyday.
Un paradoxe tonitruant
Ce qui capte, en effet, ici l’attention, ce n’est pas d’abord la variante d’argument d’autorité qu’est la séduction exercée par la star Hallyday : elle est reléguée dans un coin de la photo, et en plus vue de dos, écrasée par un angle de plongée. Ce n’est pas non plus le leurre d’appel sexuel du baiser qu’il échange avec sa femme : il est bien trop discret pour susciter la transe du voyeurisme. Non, c’est un paradoxe tonitruant : sous l’œil inquiet de vigiles, un groupe de six photographes posté en triangle a investi les marches mythiques du palais des festival et ravi la vedette aux stars du moment. Par intericonicité, leur posture a quelque chose d’ une action militaire : on dirait un commando qui, du canon de ses zooms, braque à bout portant en plongée les stars à leur merci et les mitraille. Le surplomb des photographes de face et l’écrasement de la star prise de dos par l’angle de plongée sont à eux seuls tout un symbole : au cas où la star l’oublierait, l’industrie médiatique peut lui rappeler à tout moment qui l’a hissée au firmament.
Une comparaison aussi paradoxale
Le vif contraste du noir des habits sur le fond rouge du tapis baigne ensuite la scène de la charge culturelle propre à ces couleurs. On a le choix pour le rouge qui est à la fois la couleur du sang, du pouvoir, du feu et de l’amour. Pour le noir, au contraire, tel qu’il est ici porté, on ne l’a pas : ce n’est pas ici la couleur de l’élégance mais plutôt celle de l’uniforme d’hommes de service, affectés à la sécurité privée voire aux pompes funèbres.
La comparaison avec des photographes de presse accrédités est-elle si paradoxale ? Ne sont-ils pas les auxiliaires de la pensée sécurisée ? « Qui maîtrise les images, maîtrise les esprits, » aurait dit Bill Gates, un expert. De quelle vie, en outre, ces journalistes sont-ils les embaumeurs en livrant une représentation stéréotypée du cercle des puissants dans leurs postures édifiantes répétitives ?
Un autre paradoxe
Qu’est-ce qui justifie, en effet, une telle mobilisation de la force de frappe médiatique, soit pas moins de six photographes ? Quelle photo originale du même sujet chacun est-il à même d’espérer ? Sur quel événement extraordinaire d’ailleurs ce commando se précipite-t-il pour que de toute urgence les citoyens en soient informés ? On est devant un nouveau paradoxe : tous ces moyens médiatiques aux performances technologiques prodigieuses ne sont déployés que pour enregistrer le baiser d’une star à sa jeune épouse de 33 ans qui pourrait être sa fille.
Est-ce au moins la capture d’ "une information extorquée" à l’insu et/ou contre le gré des amants ? Pas du tout ! Ils posent volontairement en faisant semblant d’être surpris par les photographes, selon le leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée, pour donner plus de fiabilité à leur message : voyez, entendent-il signifier au monde, comme nous nous aimons ! Car le bruit court depuis longtemps que les amants sont au bord de la rupture : la jeune femme a elle-même alimenté la rumeur dans des magazines spécialisés, comme Gala, le 8 octobre 2008 : « Combien de fois j’ai failli me séparer de mon mari ? a-t-elle confié. Combien de fois j’ai failli partir ? », n’en pouvant plus de ses « infidélités ». Cette photo est donc donnée pour mettre un terme aux ragots, avec la fiabilité incertaine qui s’attache à toute « information donnée ».
Les fonctions de l’information indifférente
Mais en dehors de cette promotion personnelle, quel autre intérêt peut bien avoir cette variété d’information ? Qu’on se détrompe ! Ayant en commun avec « l’information donnée » d’être livrée volontairement par l’émetteur, cette « information indifférente » en diffère par une visée stratégique qui échappe aux intérêts exclusifs des stars ici mises en scène. Elle a paradoxalement une grande utilité en raison même de sa nature indifférente, puisqu’elle ne contrarie les intérêts de personne. Elle remplit à ce titre au moins deux fonctions. Elle offre d’abord souvent des modèles : la star avec ses vêtements, son allure, ses tics ou ses lubies est en promotion constante pour susciter l’imitation de ses fans par réflexe d’identification. Elle permet ensuite une censure discrète : du seul fait qu’elle envahit les antennes et les colonnes de journaux, toute autre information, « donnée » ou « extorquée », s’en trouve exclue, sans qu’on en ait conscience. C’est mieux que les colonnes blanches des journaux censurés de 14/18 ; ça ne se voit pas !
Une représentation infidèle de la réalité livrée par les médias
Avec cette disproportion entre les énormes moyens de diffusion mobilisés et la scène microscopique qu’ils rapportent, on tient enfin une belle métonymie de « la représentation de la réalité » que les médias sont capables de livrer : celle-ci peut être très infidèle en faisant de rien ou de si peu quelque chose et d’un mari infidèle un parangon de vertu.
Une autre intericonicité vient du coup à l’esprit : les canons des téléobjectifs braqués sur ce baiser de stars ne font-ils pas penser à des télescopes tournés vers les étoiles ? À l’œil nu, celles-ci sont aussi invisibles que le sont les deux stars elles-mêmes. Il faut la puissance d’agrandissement des télescopes pour qu’elles deviennent perceptibles, tout comme une scène banale entre deux stars peut être magnifiée par la mise en scène photographique de l’industrie médiatique. Seulement celle-ci a ses limites : elle ne peut corriger le masque ravagé de Hallyday que, par contraste, la fraîcheur du visage de son épouse rend encore plus repoussant.
Une dernière intericonicité s’invite alors sans prévenir : on pense au film de Cocteau, « La Belle et la Bête », à ceci près qu’il est vain d’attendre que sous les traits de la bête le visage du prince charmant perce un jour. La Belle paraît bien en avoir le soupçon, en en juger par la métonymie de ses lèvres pincées qui ne se laissent approcher qu’avec réticence par les lippes goulues de la Bête . Est-ce le meilleur démenti que pouvait donner le couple à la rumeur ? Paul Villach
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