Catastrophe aérienne de Smolensk : lorsqu’une émotion succède à une autre…
Tragique accident d’avion près de Katyn : 70 ans après le massacre des officiers polonais par Staline, une délégation composée des familles de ces officiers et dirigée par le Président polonais lui-même est anéantie dans une « banale » catastrophe aérienne.
Reconnaissance tardive
En 1990, Gorbatchev, dernier président soviétique, avait cependant fait un premier geste de reconnaissance et avait même présenté les excuses de l’Union soviétique, au grand soulagement des Polonais. Boris Eltsine y avait ensuite impliqué le PCUS (Parti communiste d’Union soviétique).
Renouant avec la Pologne en froid depuis quelques années à cause des frères jumeaux conservateurs au pouvoir, Poutine était venu à Gdansk en septembre 2009 pour commémorer le début de la Seconde guerre mondiale. Le gouvernement avait changé de direction à l’issue des dernières élections législatives et était désormais mené par un libéral, Donald Tusk. Le Président polonais était passé dans l’opposition.
Le mercredi 7 avril 2010, Vladimir Poutine a renouvelé le geste de Gorbatchev avec plus de solennité. Aurait-t-il besoin d’une alliance nouvelle avec la Pologne pour ses relations diplomatiques ? En tout cas, il a invité le Premier Ministre polonais Donald Tusk sur les lieux du massacre et a rendu hommage aux victimes.
Émotion
Inutile de dire que mon cœur était serré en apprenant cette nouvelle. L’émotion, la réelle, celle qui va au-delà de l’actualité, une émotion d’ordre historique. La même que celle que j’ai éprouvée en entendant le 16 juillet 1995 Jacques Chirac, deux mois seulement après son arrivée à l’Élysée, reconnaître la responsabilité de la France dans la rafle du Vel’ d’Hiv’. C’était l’un des deux seuls discours vraiment intenses de Chirac (avec l’hommage au Président François Mitterrand à sa disparition).
Le pas de Poutine
Vladimir Poutine a accompli un pas en avant qui rompt définitivement avec le dogme stalinien. Comme Jacques Chirac, gaulliste, rompait définitivement avec le dogme gaullien (paradoxalement). Car l’initiative de l’invitation à commémorer le massacre qui s’est produit il y a soixante-dix ans émanait des autorités russes, pas des Polonais.
Poutine a notamment déclaré : « Un crime ne peut être justifié d’aucune manière. Nous sommes tenus de préserver la mémoire du passé. Nous n’avons pas le pouvoir de changer le passé, mais nous pouvons rétablir la vérité et la justice historiques. ».
Même si Poutine n’a formulé aucune excuse formelle (Gorbatchev l’avait fait), il a impliqué la responsabilité de Béria et a fait porter l’explication sur la vengeance de Staline après la défaite de l’Armée rouge devant Varsovie en août 1920, sans cependant reconnaître que le but caché de Staline aurait plutôt été de détruire toute l’élite militaire polonaise afin de pérenniser l’invasion soviétique de la partie orientale de la Pologne.
Les Polonais, eux, veulent surtout la liste exact des massacrés. Et leurs affaires personnelles. Afin de passer d’une étape statistique à une étape plus personnelle et affective.
Une tragédie du destin
Le matin du samedi 10 avril 2010, une haute délégation polonaise devait se rendre aussi à Katyn.
L’avion, hélas, comme par une ironie du sort, s’est écrasé à l’aéroport de Smolensk. Il y avait du fort brouillard dans ces endroits. L’avion avait déjà effectué trois tentatives d’atterrissage. On avait proposé au pilote d’atterrir à Minsk ou à Moscou mais il a voulu tenter une dernière fois.
Les quatre-vingt-dix-sept passagers et membres d’équipage ont péri, déchiquetés par le choc.
L’émotion aurait déjà été très vive pour un avion "normal"… mais ici, c’est un accident particulier puisque s’y trouvait un chef d’État, Lech Kaczynski, le Président polonais qui devrait se représenter à l’élection présidentielle en octobre 2010, son épouse et tout un aréopage polonais : Ryszard Kaczorowski, le dernier président du gouvernement polonais en exil (avant la fin de la dictature communiste), trois vice-ministres, le président de la Banque centrale de Pologne, deux anciens Vice-Premiers Ministres, deux anciens ministres, dix-huit parlementaires, cinq conseillers présidentiels, huit hauts membres de l’état-major militaire, deux évêques, et plein d’autres responsables (la liste est accessible ici).
Quinze membres des familles des officiers massacrés à Katyn s’y trouvaient également. Une sorte de destin funeste les a reliés. La délégation accompagnait ces familles en marge de la cérémonie officielle avec Poutine et Tusk trois jours avant.
Lech Kaczynski
Le Président disparu n’était pas forcément le meilleur que la Pologne ait connu. Son frère jumeau Jaroslaw était devenu Premier Ministre jusqu’à l’échec de leur parti aux dernières élections législatives.
Ancien Ministre de la Justice de l’actuel Président du Parlement européen, Jerzy Buzek, Lech Kaczynski, une fois Président, a voulu faire une chasse aux anciens communistes en demandant aux parlementaires de signer une déclaration sur l’honneur de ne pas avoir fait partie du mauvais côté dans la période de dictature. Borislaw Geremek (soutenu par François Bayrou), l’un des fondateurs de Solidarité, avait refusé de signer et s’était trouvé en difficulté, risquant d’être démissionné d’office peu avant sa disparition accidentelle.
Plus récemment, alors que les parlementaires l’avaient ratifié à une large majorité le 2 avril 2008, il avait conditionné sa signature du Traité de Lisbonne au résultat positif du référendum en Irlande (par euroscepticisme).
La démocratie polonaise, secouée mais solide
La Pologne s’en remettra sans aucun doute. Sa Constitution s’appliquera régulièrement.
C’est Borislaw Komorowski, le président de la Diète, qui assure désormais l’intérim présidentiel avant une élection anticipée d’ici deux mois. Il est issu du parti libéral (PO), le même que celui de Donald Tusk et il était fort probable qu’il aurait été le candidat opposé à Lech Kaczynski en octobre.
Dans l’avion, en plus de Lech Kaczynski (passé dans l’opposition depuis la victoire des libéraux dans une cohabitation à la polonaise), est mort également un deuxième grand candidat de l’opposition, Jerzy Szmajdzinsky, Vice-Président de l’Assemblée Nationale et ancien Ministre de la Défense, candidat officiel de l’Alliance de la gauche démocratique (SLD).
Selon certains politologues polonais, « la campagne présidentielle [serait] calme et silencieuse, sans conflit » et devrait avantager le Président par intérim Borislaw Komorowski par absence de grands candidats survivants. Le parti des Kaczynski, Droit et Justice (PiS) a été terriblement affecté par la perte de plusieurs de ses éminents membres dans la catastrophe et aura beaucoup de mal à s’en relever.
Le sort semble s’être acharné à Katyn…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (11 avril 2010)
Pour aller plus loin :
Poutine rend hommage aux victimes de Katyn.
Dépêches sur la catastrophe de Smolensk (1).
Dépêches sur la catastrophe de Smolensk (2).
Wikipédia, une encyclopédie qui suit précipitamment l’actualité ?
Liste des victimes de la catastrophe de Smolensk.
Massacres nazis vs massacres staliniens ?
Un article sur le film d’Andrej Wajda sur Katyn.
Un article sur le massacre de Katyn (rassemblant beaucoup de documents).
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