Certains athées seraient-ils de mauvaise foi ?
Les dégâts collatéraux du 11 septembre ne se limitent pas aux victimes civiles de la guerre en Irak. Ils concernent également, mais d’une manière plus insidieuse, les sphères des idéologies dans la mesure où la croyance en une divinité – ou plutôt, en particulier en Allah - semble aujourd'hui représenter pour certains un danger majeur pour la « civilisation occidentale » (nos fameuses « démocraties », si vous préférez).
C’est l’écrivain américain Sam Harris qui a tiré le premier en publiant en 2004, juste après l’écroulement du World Trade Center « The End of Faith » (la fin de la foi), un best-seller resté au classement des meilleures ventes pendant 33 semaines, dans lequel il explique que, pour lui en tous cas, l'athéisme n'est ni un dogme ni une philosophie, mais tout simplement la « destruction de mauvaises idées ». Puis ont suivi en 2006 « Breaking the Spell » (rompre le sortilège) d’un autre américain, Daniel Dennett pour qui la religion est un phénomène naturel qui nécessite une analyse scientifique pour que sa nature et son avenir soient mieux compris, puis encore « The God Delusion » (Dieu, cette illusion) du biologiste britannique Richard Dawkins, un critique farouche du créationnisme, et enfin « God is Not Great » (Dieu n’est pas grand) de Christopher Hitchens, anglo-américain mort en 2001 qui se présentait lui-même comme un "antithéiste", défenseur des idées des Lumières.
Ces quatre auteurs ont fait la une des média anglo-américains en dénonçant les méfaits du fanatisme religieux, mais ils ne se sont trouvés réunis qu'une seule fois et, en mars dernier, les trois survivants ont publié un livre intitulé « The Four Horsemen » (les quatre cavaliers, par référence aux cavaliers de l’apocalypse), qui contient trois essais et la transcription de la discussion enregistrée en 2007 entre les quatre partisans de ce qu’ils ont baptisé eux-mêmes le "nouvel athéisme".
Or, contrairement au sous-titre du livre (The Conversation That Sparked an Atheist Revolution), la « révolution athée » n'a pas été déclenchée par cet apéro convivial de 2007. Déjà à cette époque-là, les compères pouvaient s’auto-congratuler pour leurs succès de librairie et se gargariser de leur volonté commune d'un pseudo sacrilège sacrilège dont la véritable fonction est de conforter les convictions d'une autre "bien-pensance".
Même si certains observateurs attardés en sont restés au « choc des civilisations », la conversation relatée dans ce lien et dans le livre est déjà dépassée en particulier dans l’idée avancée par Hitchens selon laquelle la « guerre sainte » serait la plus grande menace existentielle pour la civilisation : « Je pense que c'est nous, plus que la 82ème Airborne et la 101ème, qui sont les vrais combattants de la laïcité en ce moment, ceux qui combattent réellement le principal ennemi », déclare-t-il (Les 82ème et 101ème armées ont opéré en Irak et en Afghanistan.) Les trois autres cavaliers opinent alors du chef et se trouvent tous très courageux. Dawkins insiste même en affirmant que "la vision du monde athée a une vertu méconnue de courage intellectuel". Cette conversation est dépassée par les développements de l'actualité elle-même qui voit les fronts se déplacer du moyen-orient vers le Vénézuela, la Corée du Nord et l'Ukraine pays dans lesquels l'Islam ne brille pas plus qu'une autre religion pour expliquer la mission salvatrice des Etats-Unis porteurs de progrès scientifique.
Les arguments du nouvel athéisme n'ont jamais été très sophistiqués, pas plus que fondés historiquement. Les « cavaliers » partent du principe que la religion a toujours été un obstacle à la science, et pour eux, la science, c’est le progrès alors que, déjà, Rabelais savait que « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Pour ces nouveaux manichéens, la rationalité est du bon côté, le leur, et la foi sans preuves est de l’autre côté, sans doute cette même foi qui poussait Hitchens à croire Cheney quand il déclarait en l’absence de toute preuve que Saddam Hussein possédait un programme d'armement nucléaire opérationnel, ce qui suffisait à prouver qu'il avait toujours eu raison d'envahir l'Irak. En fait, ce « nouvel athéisme » ne se préoccupe pas de l’existence de Dieu, il sert de caution aux allergiques au « politiquement correct » pour justifier d’une autre manière les ingérences de l’empire dans les destinées de pays indépendants, et de la négation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes sous le prétexte de faire leur bonheur malgré eux. Attention en traversant les voies : un train peut en cacher un autre. Dans sa conviction messianique qu'elle est la seule à servir la cause de la vérité, il s'agit d'une foi aussi nocive qu'une autre.
Il ne suffit pas d’être athée pour être progressiste et humain (sinon humaniste). Tout le monde sait aujourd’hui que Jules Ferry, le père de l’école publique, laïque, gratuite et obligatoire était aussi un chantre du colonialisme et un fieffé raciste : « Il y a pour les races supérieures un droit, parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures » (le 28 juillet 1885, à la tribune de la Chambre des députés).
Les guerres menées au nom de l’athéisme contre les (?) religion(s) sont les mêmes que celles mettant la « démocratie » en avant : il n’est pas nécessaire de frotter très fort pour découvrir sous le vernis l’acier inoxydable des armes protégeant les « eaux glacées du calcul égoïste ».
Le sabre peut très bien se passer du goupillon.
48 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON