Ces héros anonymes, railleurs de douleur
Ils sont debout moralement, même si un jour, presque comme les autres, ils sont restés couchés pendant des mois... pendant des siècles ! Eux, ce sont ces individus qui s’empressent de rire de tout et de rien, dans des centres de rééducation, pour survivre, chaque instant, à l’insoutenable idée que leurs vies se soient brisées, comme un pare-brise de voiture, percutée de plein fouet par un engin de la mort... dans un coin maudit de la planète Terre. En un quart de seconde, « Ils » sont devenus ces « Extra-Terrestres » de la dignité humaine, de la volonté de vivre, à travers ces trous noirs de la vie courante, broyant le corps et l’esprit à la fois. Hommage...
Il faut rire pour vivre... et non vivre pour rire !
Tirés au sort à l’impitoyable loto « des individus non préparés à ça », cobayes improbables qui ne pensaient pas dire un jour : « ça n’arrive qu’aux autres, sauf que l’autre... c’est moi », ces accidentés-minutes, passent « en soixante secondes » de la coupe de champagne à la perfusion de morphine, après une soirée pourtant d’un demi-verre humectée. Et comme les autres « plaies béantes humaines, errantes et... encore vivantes, car rescapées du pire, ces « fabuleux » destins d’handicapés improvisés n’ont qu’un seul remède : rire... d’urgence !
Après avoir « enchaîné » chaque étape imposée par un choc violent, de la douleur à l’impuissance dans la chambre blanche et javellisée d’un hôpital, on essaye le courage, voire une certaine volonté stoïque libérée par un subconscient, ayant enfoui, avec le temps, un trésor inédit de soi à travers quelques enseignements appris en pleine jeunesse et santé, dans des textes comme la « Mort du Loup » d’Alfred de Vigny, et qui, tout à coup, jaillit comme un instinct de survie...
Jusqu’à ce que l’on arrive au « Club Med » (ical), au top de la remise en forme avec piscine, salle de gym suréquipée et plateau-repas à 19h00. Et là, on sait que le courage ne suffira plus. Qu’il faudra « un dopage » naturel plus instinctif et immédiat : la sagesse de rire de tout et n’importe quoi pour oublier la douleur, que les antalgiques nécessaires ne feront qu’atténuer. Rire, c’est greffer psychiquement ce que le corps a perdu. C’est couler de la joie dans les cicatrices.... pour les refermer quelques instants, mais en profondeur. Le pouvoir du mental sur le corps n’a plus de secret. Le rire libère des angoisses, des peurs, et de la douleur.
Alors, on se met à rire de cette horripilante chaussure que l’on n’arrive pas à enfiler, car l’on pense que la jambe a raccourci de 10 cm pendant l’opération (illusion que répare avec le temps une rééducation qui fera reprendre au membre la bonne posture en détendant tous les muscles meurtris) ; on rit de la réaction de Marielle, cette patiente, qui, malgré son dos brisé, s’empresse de vous embarquer, dès le premier jour de votre arrivée, dans votre fauteuil roulant, jusqu’à celui de Daniel, pour vous dire... (devant Daniel !) « Voici un beau brun, tu lui plais, alors à toi de jouer, hein ?... Il est beau non, un peu poilu, mais pas mal... hein ?! » ; On rit avec le kiné qui se présente à vous la première fois, en vous disant : « j’étais apprenti-boucher dans le temps, et j’ai choisi de me reconvertir dans le milieu hospitalier » ; et l’on rit encore de la vieille fille qui ne rit jamais, vous regardant comme si vous sortiez d’un zoo, et qui s’appelle Mademoiselle Ours !
La politesse du désespoir, jusqu’à ce qu’optimisme s’en suive !
« Ma vie a commencé dans un fracas de tôles » de Jehanne Collard, aux éditions Albin Michel est le témoignage vivant de ce qu’est le courage : « l’attente des séances de souffrances, des appuis difficiles, des pas incertains entre les barres de maintien, des tractions, des flexions toujours recommencées pour un millimètre gagné sur la raideur et l’impuissance. Je parcours le centre en béquilles. J’observe mes compagnons d’infortune, j’écoute leurs histoires ( ...) Et c’est là pourtant que je vais trouver ma voie au milieu des éclopés, des prostrés, des grabataires, mes frères, mes sœurs en béquilles, en déambulateur, en fauteuil roulant ». La leçon de vie d’une accidentée, devenue par la suite « une autre » avocate, celle des victimes de l’insécurité routière. « Des accidents, il y en a eu beaucoup dans la vie de Jehanne Collard. Le camion qui percute sa voiture et la laisse brisée à jamais. Les victimes qu’elle défend avec l’énergie du désespoir ». Car elle a remonté la pente, en se servant de son expérience pour aider les autres qui ont connu des cas similaires, et que la justice défend mal. Certains se serviront de l’art, comme « Grand Corps Malade », qu’un autre « genre » d’accident, un mauvais plongeon dans une piscine, a mis hors d’état de vivre normalement en 1997, déplaçant ses vertèbres, et le condamnant à ne plus jamais remarcher. Il remarchera pourtant, au bout d’un an de rééducation, en 1999. Avec, comme exutoire, des mots d’or qui réveillent la vie : le slam, cette musique parlée du vécu, cousue de sensibilité. Un succès et un courage immenses, qui en redonnent encore et encore aux gens héroïques, et toujours anonymes.
Quant à ces héros plus connus... mais dont le corps est mort de leurs « fractures » de vie, comme Balavoine en hélicoptère lors du Paris-Dakar de 1986, ou Coluche percutant en moto un camion la même année, et d’une certaine manière Grégory Lemarchal disparu le 30 avril 2007, « accidenté de naissance » par la mucoviscidose, qui lui, à l’inverse des autres, aura tout fait pour mener une vie normale, durant sa courte mais si intense existence, ceux-là vivent encore dans nos cœurs par leur talent, leur courage et leur générosité.
Car, en définitive, et c’est la seule fin en soi de ces incroyables destins, les êtres de bonté ne meurent jamais... Et les êtres de courage résistent jusqu’à la fin.
Florence Signoret
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