Chouard et la représentation
"Nous allons devoir renoncer à la démocratie directe", ce n'est pas moi qui le dit, mais Étienne Chouard, professeur en économie. Monsieur Sophisme, avec lequel il débattait il y a quelques mois, n'en croit pas ses oreilles, lui demande de répéter, mais rien n'y fait : Sieyès avait raison, la France ne saurait être une démocratie, le peuple est obligé de se désigner des représentants politiques.
Franchement on comprend mal pourquoi Étienne Chouard a voulu si longtemps laisser cela sous le boisseau. Le peuple français aime bien que les choses soient claires, en particulier on veut savoir qui a le pouvoir. D'un autre côté, et c'est là l'apport principal de la philosophie des lumières, le peuple doit avoir des représentants pour se prémunir contre l'arbitraire et l'absolutisme du pouvoir, qu'il soit monarchique ou "républicain", présidentiel dirons-nous.
L'objet de cet article est donc d'étudier la proposition concrète que fait Étienne Chouard sur la manière dont une communauté humaine peut se désigner des représentants politiques. Je n'invente rien, c'est écrit noir sur blanc dans son blog. Il s'agit de procéder en deux temps. Dans un premier temps une élection libre, autrement dit une élection sans candidat. Et dans un second temps un tirage au sort. Regardons celà de plus près, et évaluons-en les avantages et inconvévients.
Tout cela doit se faire en comparaison de ce que nous appelerons le système actuel, c'est-a-dire l'élection de masse à deux tours de députés dans 577 circonscriptions en France et ailleurs. Le lecteur bienveillant pardonnera sans doute les quelques dérapages de plume qui accompagneront inmanquablement cet article sans prétention, mais il est extrèmement difficile de garder son calme lorsque l'on aborde un système aussi grotesque et absurde que celui des élections législatives en France.
Mais revenons tout d'abord à la proposition de Chouard. On commence par une élection libre. Chaque citoyen peut désigner "entre 0 et 10 personnes". Étant donné qu'il n'y a pas de candidat. Donc la première chose que nous pouvons dire, c'est que pas de candidat, pas de campagne électorale. Oh bien sûr le peuple il aime bien les campargnes électorales, ça fait travailler les imprimeurs comme on dit, et vu que la télé et les médias de masse ne nous abrutissent pas suffisamment en temps normal, il est de bon ton que le système politico-médiatique pousse un peu plus loin le curseur de la propagande de temps en temps.
Être pris pour des cons on aime ça en fait.
Ce que nous aimons moins, en tout cas pour ceux qui payent des impôts, c'est le coût des campagnes électorales. Car si vous vous imaginez que les élections de masse se limitent à un joyeux système de corruption de candidats par les grands capitalistes leur donnant de la visibilité, vous vous mettez le doigt dans l'oeil. En fait les grands capitalistes se font rebourser sur le dos du contribuable les costumes, les bulletins de vote, les déplacements de campagne, les professions de foi, et j'en passe.
D'ailleurs le contribuable paye deux fois les campagnes électorales de masse : une fois quand l'État rembourse les frais de campagne des candidats qui ont été suffisamment aidés, et une deuxième lorsque ceux qui ont fait des dons pour aider leurs candidats peuvent en déduire les deux tiers de leur impôt sur le revenu ! Une troisième fois d'ailleurs, lorsque les gros partis reçoivent deux euros par an et par voix aux législatives. Ils viennent d'où à votre avis les deux euros par an et par voix ?
J'insisite un peu sur ce point car les gens ne se rendent pas compte du coût exhorbitant des campagnes électorales de masse. Et Chouard propose un système qui annule purement et simplement le concept de campagne électorale. C'est tout de même à noter. Les votants ne sont pas limités dans leur choix, et l'élection coûte beaucoup moins cher.
Deux bémols cependant.
Le premier, c'est que dans la proposition de Chouard les électeurs ne peuvent pas vraiment choisir qui ils veulent, ils doivent restreindre leurs choix à des gens qu'ils connaissent. Alors certes vous pourrez dire que cette limitation n'en est pas vraiment une, car il faut vraiment être con pour choisir quelqu'un qu'on ne connait pas personnellemment ; ce à qui je réponds par deux choses : la première c'est que la connerie n'est pas interdite dans ce pays, et la deuxième c'est qu'il faut examiner la procédure non point d'un point de vue moral, mais d'un point de vue pratique.
En effet, comment va-t-on s'assurer que tous les électeurs n'ont désigné que des gens qu'ils connaissent vraiment ? Car c'est bien beau d'imposer des limites, encore faut-il se donner les moyens de vérifier que personne ne les franchit.
Ce qui amène à mon deuxième bémol.
C'est que cela va au final coûter assez cher. Sans même parler des liens de "connaissance" entre les électeurs et leurs candidats, comment fait-on concrètement pour "enregistrer" les votes multiples de millions d'électeurs ? À priori soit par papier soit sous forme dématérialisée, mais dans les deux cas il y a des inconvénients : un coût écologique et financier si on utilise le papier, un manque de confiance sur les "résultats" si c'est sous forme électronique. En effet c'est avant tout l'anonymat du vote qui pose problème.
Donc, pour résumer la partie "élections" de la proposition de Chouard, nous pouvons dire qu'elle nous délivre des campagnes électoralistes, ce qui est déjà une bonne chose, mais elle ne débarasse pas d'autres inconvénients liés au concept d'élection de masse, et ils sont légion.
Passons maintenant à la deuxième partie, le tirage au sort.
Le tirage au sort.
Ce qui est amusant, c'est qu'au final le tirage au sort n'est pas forcément une procédure démocratique. En effet, tout dépend de la taille de l'échantillon dans lequel on tire au sort. Par exemple, si on considère souvent que la démocratie Athénienne — qui pratiquait beaucoup le tirage au sort — s'est étendue du Vème au IVème siécle avant JC, il ne faut pas oublier qu'avant cette période on tirait déjà au sort parmi les représentants des grandes familles pour savoir qui allait prendre les rênes du pouvoir.
Ce qui veut dire que le tirage au sort est arbitraire, mais c'est le même arbitraire pour tous, la procédure est équitable, il n'y a pas de discrimination. Le tirage au sort sert donc juste à choisir quelques personnes parmi un échantillon plus grand.
Dans la proposition de Chouard, cet échantillon plus grand est composé de la moitié des élus de l'étape précédente, ceux qui ont obtenu le plus de voix.
Arrêtons-nous donc quelques instants sur le génie de la proposition de Chouard : oui, je parle de génie, car jusqu'à présent, dans une pensée naïve, on pensait que la seule manière d'empêcher que les (très) riches, les puissants, les imposteurs acquièrent du pouvoir par l'élection, c'était d'empêcher, d'interdire que ces derniers ne se portent candidats.
Le problème c'est que dans ce cas on discrimine, adieu l'égalité.
Or, s'il est évident que certaines personnes bien en vue médiatiquement seront elles aussi dans cette moitié supérieure de ceux qui auront reçu le plus de voix, elles ne seront qu'une goutte dans cet échantillon. Donc après tirage au sort elles seront ultra-minoritaires dans l'assemblée, alors qu'elles finissent toujours majoritaires, elles ou leurs hommes de paille, dans le système actuel.
Voilà donc pourquoi Chouard s'en prend plein la gueule, il défend vraiment la cause du peuple, et tous les partis politiques sont nécessairement contre lui. Les partis politiques, le pouvoir en place, ses relais médiatiques, ça en fait du monde.
Mais là n'est pas la question.
La question est de savoir si cette méthode qu'il préconise est réaliste. Et là j'ai des doutes.
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