Circulaire Allègre-Royal de 1997 : 10 ans et une copie à revoir
La circulaire Allègre-Royal se rapportant aux violences sexuelles à l’école a été publiée le 26 août 1997. Elle avait pour objectif de mettre fin à « une trop longue période de dénégation de la pédophilie au sein de l’institution scolaire » pendant laquelle « la parole de l’enfant a été étouffée ».
Pour atteindre cet objectif, la circulaire recommandait « de redoubler de vigilance en ayant le double souci de la protection de l’enfant et de la présomption d’innocence qui s’attache à la personne mise en cause. »
Elle imposait d’ « agir vite mais en faisant preuve de discernement » pour aviser le parquet afin de répondre « au légitime souci de transparence qui doit animer la communauté scolaire à l’encontre de laquelle pèse le reproche de briser trop tardivement la loi du silence ». Dix ans après la publication de cette circulaire, il n’existe pas de bilan précis sur les résultats obtenus dans le domaine de la protection de l’enfant au sein de l’institution scolaire.
Mais il est probable que tous les défenseurs des droits de l’enfant diront qu’ils sont satisfaits de son application. Car, dès la parution de la circulaire, le nombre de signalements au parquet a connu une progression exponentielle tant les instructions adressées aux fonctionnaires de l’Education sur leurs « obligations spécifiques de parler et d’agir » étaient et sont encore, par la forme et par le contenu, orientées pour transformer la moindre hésitation en laxisme susceptible d’engendrer les sanctions disciplinaires et la poursuite pénale.
Or, le contenu de ces obligations, l’ordre d’agir vite et la médiatisation d’accompagnement orchestrée autour des affaires de pédophilie à l’école ont été à l’origine de multiples « dérapages » entraînant des innocents injustement accusés dans l’enfer, coupables d’être victimes, dont la vie fut broyée par des signalements expéditifs et des mesures conservatoires au triste goût de sanctions-condamnations.
Peu importe, répondront les bonnes consciences en se référant au dire d’Alain Juppé lorsqu’il était premier Ministre en 1996 : « Il faut parfois mettre entre parenthèses les droits de l’homme pour protéger ceux de l’enfant ».
D’ailleurs cet état d’esprit était clairement affirmé par le cabinet des ministres Allègre et Royal dans la conception de cette circulaire puisqu’en 1999, leurs conseillers affirmaient devant une délégation syndicale que « les ministres estiment que si un enfant peut être préservé au prix de neuf enseignants accusés à tort, l’objectif est rempli » !!
Dix ans après la publication de cette circulaire, l’analyse critique des « obligations spécifiques de parler et d’agir » qu’elle prône reste toujours d’actualité pour alimenter le débat sur une meilleure approche de l’équilibre entre protection de l’enfant et respect de la présomption d’innocence.
I - Sur l’obligation de signalement des faits
La circulaire s’appuie logiquement sur l’article 40 du Code de procédure pénale qui fait obligation à quiconque et particulièrement à toute autorité publique ou à tout fonctionnaire ayant connaissance d’un crime ou d’un délit d’en aviser sans délai le procureur de la République.
Mais, alors que le code ne donne aucune précision sur ce qu’il convient d’entendre par « connaissance », la circulaire dissèque cette notion en 3 volets :
- connaissance directe lorsque un enfant s’est confié au fonctionnaire : « Obligation d’aviser immédiatement et directement le procureur sous forme écrite et, si besoin est, par télécopie » ;
- Soupçon fondé sur des signes de souffrance : « Aide immédiate apportée en avisant le médecin scolaire, le psychologue scolaire, l’infirmière ou l’assistante sociale, selon les cas » ;
- Soupçon fondé sur la rumeur ou des témoignages indirects : « Alerter immédiatement l’inspecteur d’académie ou le recteur qui ordonneront une enquête hors audition de l’enfant... »
Nous ne nous attarderons pas sur le deuxième volet car la responsabilité du signalement au procureur est transférée à des professionnels sociaux (médecin, infirmières, assistantes sociales...) qui peuvent avoir des critères spécifiques d’appréciation.
Pour ce qui concerne le premier volet, la circulaire définit la connaissance directe en précisant seulement : « Ainsi, dès qu’un élève a confié à un membre de l’Education nationale des faits dont il affirme avoir été victime... »
Or, la circulaire ne prend pas en compte l’âge de l’enfant ! Le dire d’un enfant de maternelle, s’il doit être considéré comme « vrai » par rapport à son propre ressenti, mérite, cependant, d’être interprété par des professionnels avant d’être considéré comme crédible dans l’accusation d’atteintes sexuelles.
Cependant, la circulaire donne un ordre formel, celui « d’aviser immédiatement le procureur de la République si besoin est par télécopie ».
Que peut donc faire le fonctionnaire qui recueille la parole d’un enfant pouvant suggérer une atteinte sexuelle sinon « ouvrir le parapluie » en avisant immédiatement le procureur comme le lui impose la circulaire. C’est ainsi qu’une petite fille de maternelle qui avait vu son papa se faire mal au bas ventre dans la salle de bain a conduit, bien involontairement, ce dernier dans l’enfer de la procédure pénale en disant seulement à sa maîtresse « Papa a fait mal, là » et en mettant sa main sur son bas ventre. « Papa a fait mal : le cauchemar judiciaire d’un couple ordinaire », de Sirvent Anne & Philippe chez Calmann-Lévy.
Le troisième volet prête encore plus à réflexion puisqu’il est demandé au fonctionnaire de jouer l’intermédiaire entre la rumeur et la justice. La circulaire précise : « La communauté scolaire dans laquelle se répand une rumeur - dont la caractéristique essentielle est d’être invérifiable - ou des témoignages indirects, ne peut gérer une telle situation sans des risques majeurs de dérapage. La rumeur peut en effet s’alimenter d’elle-même, au rythme de ragots colportés par des esprits plus ou moins bien intentionnés. C’est un type de situation de laquelle un chef d’établissement doit s’extraire au plus vite. »
Question : Quelle est alors la recommandation faite au chef d’établissement pour « s’extraire au plus vite de ce type de situation » ?
Réponse de la circulaire : « Dans ces différents types de situation, il convient d’adopter la même attitude : agir vite mais en faisant preuve de discernement. Il est nécessaire d’alerter immédiatement l’inspection académique laquelle, en liaison avec le rectorat, arrêtera les mesures à prendre... Dès lors que les éléments portés à la connaissance des inspecteurs apparaissent cohérents, il convient d’aviser immédiatement et selon les mêmes modalités, le procureur de la République et de prendre la mesure administrative appropriée, en liaison avec la Justice. »
Outre le fait qu’il peut être difficile de concilier l’obligation « d’agir vite » et celle de faire preuve de « discernement », il peut apparaître surprenant que les témoins indirects qui entretiennent la rumeur soient invités par cette circulaire à reporter sur les fonctionnaires de l’Education nationale la responsabilité d’aviser le procureur étant donné que quiconque « ayant la connaissance d’un crime » doit en informer les autorités judiciaires selon l’article 40 du Code de procédure pénale ?
Par ailleurs, sans sous-estimer le travail des inspecteurs dans la recherche de la vérité, que peuvent-ils faire pour trouver des éléments « cohérents » au travers d’une rumeur ? Sous les ordres répétés de la circulaire « d’agir vite » et « d’aviser immédiatement », il est probable que, par peur du retour de bâton, le personnel de l’Education à quelque niveau qu’il se situe abandonne très vite « le discernement » et la recherche « d’éléments cohérents » au profit de la célérité, gage de sécurité et de tranquillité.
II - Sur les mesures conservatoires
La circulaire s’appuie sur l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et indiquant qu’ « en cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu’il s’agisse d’un manquement à ses obligations professionnelles ou d’une infraction de droit commun, l’auteur de cette faute peut être suspendu par l’autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline ».
Mais la circulaire ajoute « que la mesure de suspension est particulièrement appropriée dès lors qu’une mise en examen pour des faits de violences sexuelles a été prononcée à l’égard d’un fonctionnaire du ministère de l’Education nationale. Sauf éléments exceptionnels, il semble souhaitable que la suspension intervienne, au plus tard, à ce stade de la procédure judiciaire, afin d’éviter des polémiques inutiles sur l’éventuelle inertie de l’Administration. »
Il faut donc déduire logiquement que les auteurs de la circulaire assimilent une « mise en examen » à une « faute grave » entraînant la suspension puisqu’ils ont fait référence à l’article 30 de la loi de 1983. Et après avoir confondu volontairement « mise en examen » et « faute grave », ils n’hésitent pas à prétendre que la suspension infligée « ménage la présomption d’innocence qui s’attache à toute personne mise en examen et préserve ses droits ». Peuvent-ils être crédibles sur ce point ?
Enfin, on pourrait penser que la mesure de suspension est prise dans le souci de protéger les enfants. Or, les auteurs de la circulaire ne justifient pas la mesure de suspension par ce motif, mais précisent qu’elle est prise à ce stade de la procédure « afin d’éviter des polémiques inutiles sur l’éventuelle inertie de l’Administration ». Dénoncer et sanctionner le plus vite possible pour éviter toute polémique... Peu importe le risque d’erreur !
III - Conclusion
Après 10 années d’application de cette circulaire, trop d’innocents ont été broyés par la terreur des accusations injustifiées, par la précipitation des signalements et par des suspensions-condamnations transformant la mise en examen en faute grave.
Il devrait être temps de faire un bilan et de reformuler certaines recommandations de cette circulaire afin de trouver un véritable équilibre entre protection de l’enfant et respect de la présomption d’innocence.
Quel ministre en aura le courage ?
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