Cohn-Bendit joue les Materazzi face à un Bayrou proche de la fin
L’altercation entre Bayrou et Cohn-Bendit a fait beaucoup jaser, bavarder, écrire et même jazzer ; La politique sonne parfois comme du jazz, l’harmonie conventionnelle se perd. Retour et regard sur cet épisode que je vais tenter de recadrer. Bien que relevant en apparence de l’accidentel et du caractériel, l’épisode mettant aux prises Bayrou et Cohn-Bendit mérite une analyse plus poussée, un recadrage en quelque sorte. La pensée peut en effet reconstituer le fait au-delà de ce que les commentaires triviaux en disent.
Première vue, l’affrontement et le « coup de Materazzi ». La scène commence par une petite provocation de Bayrou, dénonçant (c’est une habitude chez le président du Modem, dénoncer comme outil politicien) quelques soi-disant connivences entre le chef des Verts aux européennes et le chef d’Etat. Des coups de fils, des dîners. Bien évidemment, nous qui sommes de simples citoyens, ne savons pas ce que signifient ces échanges entre Cohn-Bendit et Sarkozy, une réelle connivence ou bien des politesses et des rencontres utiles ou même du cirque. Mais Cohn-Bendit a semble-t-il décrypté l’attaque de Bayrou, une phase de jeu assez prévisible. Du coup, le Vert s’est fait rouge et la réplique fut cinglante. Minable, « petit François, minable tu ne seras jamais président de la République ». Quelle insulte, quel affront, c’est un peu comme Materazzi lançant à Zidane que sa sœur ou sa mère est une pute. Du coup, François Bayrou a dégainé l’argument qu’il ne fallait pas sortir, un coup de tête à la Zidane, motivé par les tripes, ce que Bayrou a confirmé, ces mêmes tripes qui ont poussé Zidane à envoyer un coup de boule à son adversaire. Nous voyons au passage la marque des « esprits animaux » dans ce combat d’animaux politiques bien rodés. Certes, ces duels politiciens sonnaient la fin de la campagne et n’avaient rien d’une finale mais comme l’a avoué Bayrou, l’ambiance était très tendue. Bayrou s’est donc fait piéger comme Zidane. A la différence près que le carton rouge a été brandi par trois formations ayant intérêt à le faire. Les médias ont relayé l’affaire.
Second cadrage. Cette deuxième prise de vue analytique élargit le champ. Bayrou a reçu un carton rouge de la part des autres formations politiques, le PS, l’UMP et le PC. Pas de chance pour le président du Modem, les arbitres ont décrété qu’il avait pété un câble. Au passage, on aura noté que l’agresseur fut Cohn-Bendit, celui qui lança le premier des propos insultants, tel un toréador sûr d’avoir en ligne de mire son taureau. Mais comme dans la finale du Mondial, on oublie les insultes et on retient le coup de boule, comme on retiendra le sale coup porté par Bayrou sur une vieille affaire de jardin d’enfant datée et maintenant saturée et définitivement jugée. On notera cet empressement des formations à fustiger Bayrou et on comprend à quelle stratégie cela fait écho. Bayrou, à force de jouer au centre, sans alliance nette, a fini par agacer les formations politiques conventionnelles, axées sur l’opposition droite gauche. Et du coup, c’était pour l’UMP, et surtout le PS et le PC, l’occasion de sanctionner cet électron du centre pas si libre en vérité. Le principal gagnant dans cette affaire, c’est le PS qui sans doute, repense aux heures glorieuses de la gauche plurielle sous Jospin, avec les Verts et le PC et Martine, la passionaria des 35 heures, se voit bien reprendre les rênes d’une gauche redevenue plurielle avec un PC copain de Mélenchon. La bronca contre Bayrou se comprend aisément comme la volonté d’éclaircir l’horizon politique de 2012 et comme Bayrou a montré sa volatilité en termes d’alliances ainsi que sa faiblesse sur le plan des programmes, les autochtones de la bipolarisation historique lui ont signifié de ne pas être le locataire d’un espace politique surdimensionné par rapport à la carrure du personnage !
Troisième cadrage, historique. Une fois recadré dans l’espace politique, le sort de Bayrou s’inscrit dans une séquence historique comme un mélodrame qu’un Aristote pourrait bien ciblé à travers sa Poétique. D’abord la mise en intrigue. La campagne de 2007. Soudain, un cavalier surgi de l’ombre parvient à troubler les oppositions traditionnelles et s’immiscer dans le tiercé lors du premier tour présidentiel. Presque 20 points pour ce qui paraît constituer le plus troublant des hold-up électoraux. Un Bayrou qui réussit à piquer des voix à droite et un peu plus à gauche. Mais pour durer, il eut fallu une lame de fond historique, un terrain idéologique clair. Quand Mitterrand se fit élire dans cette France de droite, c’était le résultat final de dizaines d’années de combats à gauche. Que représente Bayrou à part lui-même et une position refusant la droite et la gauche au nom d’une troisième voie invisible et d’une synthèse impossible. D’ailleurs, gauche et droite se réclament toutes deux d’une France libérale et sociale. La différence est minime. Elle porte sur des ajustements gouvernementaux. Mettre un peu plus ici et moins là. Le sort de Bayrou était inscrit dans la mise en intrigue. Comme si le scénario de l’Histoire était prévisible. Il y eut plusieurs épisodes. Normal, après la mise en intrigue, le mélodrame doit se dérouler, s’accomplir, épuiser le temps du verdict et de la catharsis qui approche. Ce fut les municipales, les hésitations de Bayrou, le Modem noyé dans la Garonne, mais quel combattant que ce Bayrou, chevalier luttant au bout de ses forces, à l’image d’un personnage du sacré graal des Monty Python. Que de dénonciations, saillies contre l’omniprésident, interventions médiatiques, livre à l’appui. Mais le coup de Dany risque d’être fatal. L’acte final se dessine. Entre temps, la crise a facilité la fin de ce mélodrame. Le chômage étant revenu, le pouvoir d’achat étant en berne, les financiers étant stigmatisé, la vieille division entre gauche et droite a retrouvé sa légitimité et dans un tel contexte historique, Bayrou n’a plus la place qu’il a su se faire en 2007. La fin est proche. On comprend la nervosité de celui qui redoute un score à un chiffre car tel sera sans doute le verdict des urnes au soir du 7 juin. La mine grave mais en noble chevalier, Bayrou devra affronter les caméras et tenter d’expliquer pourquoi les listes du Modem sont tombées sous les dix points. Le déni de réalité sera de mise. Et l’appel à une autre réalité sera employé, une réalité mythique, celui du complot, de la connivence des médias, etc… see you soon.
22 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON