Compétitivité et pouvoir d’achat
Pour augmenter le pouvoir d’achat, il ne suffit pas de vouloir travailler plus, il faut que l’employeur puisse donner plus de travail à ses employés. Pour cela, les entreprises françaises ont encore des marges de croissance insoupçonnées.

Il y a deux façons d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés. L’une est de diminuer les taxes, l’autre d’augmenter les salaires. Dans les circonstances présentes, la première solution a peu de chances d’être adoptée par le gouvernement. Nous nous intéresserons donc à la seconde, qui ne dépend pas du gouvernement, mais des entreprises. Or pour qu’une entreprise puisse mieux payer ses salariés, il faut qu’elle augmente ses revenus. Et pour augmenter ses revenus, il faut qu’elle augmente ses ventes.
En économie, la loi de l’offre et de la demande est un modèle mathématique permettant de prévoir le volume des ventes en fonction du prix. Cette loi s’applique assez bien aux matières premières telles que le pétrole, mais elle s’applique moins bien aux produits manufacturés et aux services, dont la qualité est un facteur de variation aussi important que le prix. Or la loi de l’offre et de la demande ne tient pas compte de la qualité. Samuelson, Prix Nobel d’économie 1970, dit même que la qualité est « un procédé artificiel de différenciation ». Les économistes restent souvent muets sur ce point. Au contraire tous les chefs d’entreprise insistent sur l’importance de la qualité pour gagner des parts de marché. La difficulté vient des divergences d’opinion sur l’évaluation de la qualité et sur les méthodes d’amélioration de la qualité.
D’autres théories, celles qui concernent les relations entre le capital et le travail, sont directement liées aux salaires et au pouvoir d’achat. Marx fut l’un des premiers économistes à constater que le travail humain est un acte de vente entre l’employeur et le salarié. Il avait prévu que, dans une économie libérale, la montée en puissance des moyens de production conduirait à la réduction du prix du travail humain. C’est sous cette menace que les syndicats ouvriers ont combattu pendant plus d’un siècle pour obtenir des garanties des propriétaires du capital. Le discours de Jaurès devant l’Assemblée nationale à propos de la grève des mineurs en octobre 1902 est éloquent à cet égard (1). Dans cette négociation permanente, l’Etat fut amené à prendre un rôle d’arbitre de plus en plus fort. La mondialisation tend actuellement à le déposséder de ce rôle.
Ces théories, qui appliquent la loi de l’offre et de la demande sur le marché du travail, ont le défaut de ne pas être reliées à la loi de l’offre et de la demande sur le marché des produits. Quand les salariés réclament une augmentation, l’employeur répond souvent qu’il n’a pas les moyens de satisfaire leur demande en raison de la concurrence, de la conjoncture économique et de la fiscalité. Il n’a peut-être pas tort, mais le problème est généralement un manque de compétitivité. La solution se trouve dans l’accroissement de la compétitivité grâce à l’amélioration de la qualité. Les salariés en ont bien conscience, mais il n’est pas en leur pouvoir d’améliorer la qualité.
Il faut aussi que l’employeur tienne compte de la qualité sur le marché du travail en payant les salariés à leur juste valeur. C’est le « salaire au mérite », une source de difficultés supplémentaires dans les négociations salariales. La valeur d’un salarié tient à ses connaissances, son expérience et ses qualités humaines.
Le pouvoir d’améliorer la qualité appartient aux dirigeants de l’entreprise. Ils doivent être capables d’évaluer la qualité de leurs produits, non pas avec des essais de laboratoire et des audits, mais en questionnant les utilisateurs. Ils doivent adopter de bonnes méthodes de management. En France, beaucoup de dirigeants s’imaginent que la qualité s’oppose à la productivité. Ce n’est vrai que si la qualité des produits est tributaire de contrôles et de réparations au dernier stade de la production, ce qu’on voit trop souvent. Dans ces conditions, une entreprise ne peut pas être compétitive face à des concurrents qui savent améliorer à la fois la qualité et la productivité.
La méthode de management la plus répandue en France dans les grandes entreprises, celles de plus de mille salariés, consiste à fixer des objectifs numériques à tous les niveaux hiérarchiques à partir d’objectifs fixés au sommet. Chaque niveau est guidé par des orientations auxquelles sont attachés des indicateurs de performance dont le chiffre sera enregistré à la fin de l’année. Chaque niveau prend à son compte les orientations données par le niveau supérieur pour établir le plan d’action qu’il doit réaliser à son niveau. Le sommet ne communique avec la base qu’à travers des chiffres, souvent faux. Les directeurs ne savent pas ce qui se passe réellement sur le terrain. Cette méthode, diffusée par de grands cabinets de conseil, n’est pratiquée dans aucune entreprise japonaise. Il doit bien y avoir une raison (2).
De l’extérieur, il est assez étonnant de voir des cadres moyens et supérieurs croire - ou feindre de croire - que les indicateurs de performance servent à quelque chose, alors que n’importe quel dirigeant d’une petite entreprise sait bien que la valeur ajoutée se crée dans les bureaux d’études, les ateliers et les points de vente. Les grandes entreprises trouveront de nouvelles marges de croissance si elles adoptent une méthode plus sérieuse. Il s’agit d’examiner à tous les niveaux hiérarchiques les résultats des mois précédents et de se mettre d’accord sur des prévisions d’amélioration à partir de certaines hypothèses. Mais il ne faut pas confondre les prévisions avec des objectifs chiffrés qui ne sont souvent que des vœux pieux de la direction. Prévoir, c’est réfléchir.
Les petites entreprises françaises ont tout à gagner à l’accroissement de la compétitivité des grandes entreprises, car celles-ci font supporter les conséquences de leur mauvais management non seulement à leurs salariés, mais aussi à leurs fournisseurs et à leurs sous-traitants.
D’autre part, après avoir compris que la qualité est un facteur de compétitivité, des milliers d’entreprises françaises ont adopté la méthode ISO-9001 d’assurance qualité. Elles ont payé fort cher des consultants en qualité. Elles ont perdu beaucoup de temps à faire de la paperasse. Elles ont passé un examen de certification qui prend comme référence une norme indigeste de 40 pages. La qualité ne s’est pas améliorée pour autant. De nouvelles réunions et de nouveaux travaux d’écriture, procédures, rapports, etc., sont venus surcharger des entreprises déjà pénalisées par le manque de croissance.
Le recours aux techniques de motivation est parfois le dernier espoir, la dernière tentative pour améliorer la qualité. Mais ce n’est pas en demandant aux salariés de travailler mieux qu’on augmente la qualité. La plupart des salariés sont déjà motivés et donnent déjà le meilleur d’eux-mêmes. Ce qu’il faut leur donner, c’est une bonne formation, de bonnes méthodes et de bons outils. Il faut aussi leur donner des ordres clairs et cohérents et ne pas les juger avec des indicateurs de performance.
En conclusion, il apparaît clairement que l’augmentation de la productivité des entreprises est le meilleur moyen - peut-être le seul - d’augmenter le pouvoir d’achat. C’est un problème de management et d’éducation permanente sur lequel l’Etat n’a pas beaucoup d’influence. En revanche, le Medef pourrait ouvrir un vaste chantier de changement culturel visant en priorité les directeurs et les cadres supérieurs des entreprises. De leur côté, les salariés pourraient s’organiser afin de résister aux méthodes de management contre-productives qui leur sont imposées.
(1) http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=30504
(2) http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=28657
Voir aussi : http://www.juse.or.jp/e/index.html
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