Crash du vol 447 et envol des couvertures médiatiques
Ce n’est pas l’esprit saint mais la foudre qui semble-t-il frappa le vol Air France 447 en ce lundi de Pentecôte. Mais les interprétations divergent et nul ne peut avancer une explication définitive. Givre, dépressurisation, panne électrique. La presse se rue sur de maigres indices. Et cherche de quoi remplir ses colonnes. Un phénomène maintenant bien rodé. Y compris avec le storytelling.

Les médias se sont jetés sur les rares pièces à conviction pour reconstituer le déroulement du crash de l’Airbus A 330. Les médias ont besoin d’images, de témoignages et sont prêts à tous les excès pour aller au plus près de l’information, quitte à profaner la peine des familles. C’est devenu une habitude. Nous n’y faisons plus attention, comme si la production d’informations avait tous les droits, y compris d’ajouter à la tragédie quelques fardeaux supplémentaires. A Rio, les excès des photographes ont choqué. Les médias ont filmé d’autres médias filmant les proches des victimes. A Roissy, le cirque des objectifs a été maîtrisé, les proches ayant été dirigés à l’écart des caméras. Ce qui est parfaitement légitime mais en dit long sur nos mœurs. Il fut un temps où les médias avaient bonne presse, participant à l’information de l’honnête citoyen et concourant au fonctionnement vertueux d’une démocratie où l’opinion a droit de cité. Maintenant, en certaines occasions, des individus doivent se protéger de la presse. Drôle d’époque.
Voyeurisme, goût du sensationnel, fascination pour le morbide, concurrence sur la scène de l’audimat ? Bien des facteurs expliquent cette frénésie de la presse pour retranscrire des faits en outrepassant les strictes règles d’une information brute. Il faut du concret, des pleurs, de l’émotion, des réactions, des images. C’est impératif. Remplir l’antenne pendant une demi-heure. Alors nous avons eu droit à des substituts d’images pour combler le vide iconographique. De vieilles séquences, notamment celle du Concorde écrasé dans un déluge de tôles, fumées et feux. Et puis d’autres montrant des débris flottants, mais pas ceux du vol 447. C’est disons, de l’ordinaire. Après tout, les médias ont la responsabilité de la production et on ne verra pas un mal dans cette nécessité de fournir des images. Le poids des mots, le choc des photos. La presse s’est « parimatchisée », au risque d’un horrible néologisme. Mais elle est restée sérieuse, convoquant les experts aguerris pour fournir des tentatives d’explication. Il n’y a rien à cacher puisqu’il n’y a rien de connu dans ce crash, hormis la liste des victimes.
Les médias locaux ont fait leur titre avec une ou deux victimes locales. Ouest-France, FR3 Aquitaine, Sud-Ouest… Seule condition requise, la domiciliation de la victime dans les limites de la zone couverte par le média. Pendant que les avions recherchent les débris en couvrant au mieux la zone marine, la couverture médiatique part à la recherche de quelques nourritures factuelles pour remplir les pages et l’antenne. On image aisément le directeur de la rédaction ou alors le fouineur de services parcourir la liste des victimes officiellement établie par la compagnie. X de Brasilia, Y de Pau…. Z d’Albi, et bingo se dit le rédac chef de la Dépêche du Midi. Ceci n’est qu’un exemple. Tous les journaux de province ont fait pareil.
Rien de neuf sous le soleil pense le promeneur dans le jardin du Luxembourg, après avoir lu son quotidien. Enfin, si, peut-être quelque chose à signaler. L’utilisation du storytelling dans la couverture de cette tragédie. La vie de nos sociétés se prête à l’utilisation d’illustrations sous forme de petites histoires que l’on raconte en général dans les campagnes politiques, surtout en Amérique. Storytelling, un mot mis à la mode, notamment par les bons soins du philosophe Christian Salmon. Lequel dénonce un art de fabriquer des histoires et de divertir les gens, un art exercé par les pouvoirs en vue de formater des esprits. Selon Salmon, le tournant narratif a été amorcé dans les années 90 aux States. Quoi de plus efficace pour vendre un candidat que d’illustrer ses promesses par l’histoire de Joe, ce balayeur venu d’Afrique, qui se maria avec Jane, puis monta sa petite entreprise et maintenant, est à la tête d’une PME locale servant des pizzas à 30 kilomètres à la ronde. Joe a une belle maison, avec une piscine. Ses enfants étudient à l’université.
Le storytelling est donc un outil de communication dont on connaît l’efficacité dans les campagnes politiques, notamment quand il illustre des contes de fées pour vanter un rêve américain ou autre. A l’occasion de la tragédie du vol 447, nous voyons que le storytelling est aussi utilisé par les médias pour illustrer non plus un rêve avec une histoire conçue en happy end mais une tragédie réelle, achevé dans les fonds marins de l’Atlantique. Ouvrons les médias, nous saurons pleins de choses sur les victimes. Des storytelling cauchemardesques. Ces commerciaux récompensés par leur entreprise après de bon et loyaux services et qui ne reviendront jamais de leur périple au Brésil, pays que ne reverront plus ce couple de Brésiliens parti en voyage de noce où ce jeune steward de 24 ans... Et ce n’est pas fini… Que penser ? Malaise dans la civilisation aurait sans doute crié Sigmund.
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