D’une réforme de l’université vouée à l’échec
Accords tacites, rapports de force formels, petits arrangements entre amis. La gangraine qui tue notre démocratie est portée par ceux qui la représentent. Voilà pourquoi, même si le mouvemenent et le changement ne peuvent qu’être positifs pour nos institutions, il ne faut, malgré tout, rien attendre de cette réforme de l’université.
Accord tacite et protestation formelle
On crie au loup. On s’offusque violemment. On appelle à un "automne chaud". Les veuves effarouchées syndicales maîtrisent l’art et la manière d’expliquer pourquoi la réforme du gouvernement est mauvaise. Forts de leur pouvoir issu de leur représentativité et de leur compétence, ils ont su faire reculer le gouvernement. Quel combat ! Merci les syndicats ! On se croirait revenu au Front populaire.
Mais de victoire syndicale, il n’y en a pas. De reculade gouvernementale non plus. Les points que la ministre Pécresse a bien voulu modifier sont des points négligeables qui ne remettent pas en cause la réforme. Alors pourquoi les syndicats sont-ils relativement conciliants ? Parce qu’ils ont compris que le pouvoir auquel il s’attache à corps et à cris au nom de la démocratie ne leur échapperait pas : l’autonomie telle qu’elle est décrite dans la loi cadre ne remet pas en cause fondamentalement la manière dont fonctionne une université, ni ses dogmes. Tout au plus réduit-elle le nombre d’oligarque à l’université. Mais, le pouvoir sera toujours bien au chaud dans la main des syndicats. Ceux-là même qui s’opposent à tout et ne proposent rien. Ceux-là même dont la représentativité est nulle. Les véritables garants de la démocratie universitaire...
Des méthodes universitaires
Le fonctionnement de l’université est pervers. Sous couvert de démocratie interne exemplaire, revendiquée haut et fort par tous ses membres, l’université n’est de fait qu’une oligarchie médiocre. Directeur de département, d’école doctorale, d’UFR ou président de jury, les responsables gouvernent selon la tradition orale universitaire et contournent habilement les obstacles.
Cette tradition orale est celle qui dicte les comportements du groupe. Elle s’impose à vous lorsque vous essayez d’obtenir les textes qui régissent, par exemple, le fonctionnement des jurys, des examens ou tout simplement la présence des étudiants en cours. Rares sont les administratifs de l’Éducation nationale capables de fournir un texte de loi national ou propre à une université. Par ailleurs, quand ils en sont capables (si si, ça arrive !), ils gardent précieusement ce trésor de réponse légale pour s’affirmer en réunion comme l’unique détenteur de la loi.
L’obscurantisme des règles universitaires sert aussi à protéger un pouvoir très enclin à les contourner. Alors on s’appuie sur des "on-dit", des "d’habitude on fait". S’il y a contestation, l’argument massue est : "tu n’as qu’à chercher dans la loi, tu verras que l’on a raison". Cet argument est souvent l’aveu d’un passage en force arbitraire, au nom de l’impératif démocratique !
La démocratie, à l’université, c’est choisir habilement avec qui gouverner pour faire ce que l’on veut. Le contournement d’une personne qui émettrait des doutes ou s’opposerait peut se faire de manière systématique, via des prises de décision en groupe où l’influence des uns et l’incompétence des autres biaisent le jugement, ou via l’éviction de la personne du circuit décisionnel.
Les jurys, les commisions, les conseils de l’université sont un exemple de cooptation. La consanguinité est d’ailleurs le principal responsable de l’impuissance universitaire : la médiocrité engendre la médiocrité. Les syndicats entretiennent d’ailleurs ce climat : la progression de carrière est intimement liée à l’appartenance syndicale. La compétence ne suffit pas à expliquer tous les avancements.
Non-sélection
Parmi les dogmes fondateurs de l’université actuelle, celui de la non-sélection est le plus fort. Au nom d’une intention bonne et louable, qui est de penser que tout le monde peut faire des études, ce dogme pourrit le fonctionnement de l’université et aboutit à la dévalorisation des diplômes. D’ailleurs, les étudiants rejettent eux-mêmes ce dogme, puisqu’ils s’inscrivent massivement en classe préparatoire intégrée ou non, en IUT ou en BTS, c’est-à-dire dans les filières sélectives. L’université recrute donc majoritairement des étudiants par défaut, qui, la plupart du temps, tentent de contourner le premier cycle universitaire.
Alors il faut le dire clairement et fortement : tout le monde est certainement capable de faire des études, mais pas nécessairement à 20 ans. La formation doit avoir lieu tout au long de la vie, lorsque la personne est prête : la motivation est la seule clé pour réussir des études. La société actuelle, sans projet clairement défini si ce n’est un consumérisme intense et un individualisme forcené, ne propose pas un chemin porteur d’espoir pour les jeunes. Comment s’étonner qu’ils aient des difficultés à s’orienter et étudier ? Le monde professionnel doit accepter de travailler avec eux, de faciliter le recrutement des jeunes et surtout, leur faire confiance en leur donnant des responsabilités. Il n’est pas nécessaire de posséder un Bac+5 pour travailler en tant que cadre. Par contre, il est nécessaire d’avoir un travail et pour pouvoir évoluer, pour s’épanouir et pour se construire un avenir.
L’insertion professionnelle, "nouvelle mission" de l’université, est donc probablement une erreur : l’université se doit de former. L’insertion relève du monde du travail. Mais c’est tellement plus simple de rejeter la responsabilité sur les formateurs.
Des véritables raisons de s’opposer à une réforme volontairement floue
Parmi les raisons qui existent pour s’opposer à cette réforme, la plus forte est certainement le flou qui l’entoure. Les buts de la réforme ne sont pas clairement affichés, ce qui est, à la réflexion, inquiétant. L’autonomie pour l’autonomie n’est pas un but en soi. Réformer l’université, dans quel but ? Améliorer les formations ou les conditions de vie des étudiants ? Redonner un sens aux diplômes ? Créer des universités pilotes ? Remotiver des enseignants sous-payés ? En finir avec la misère sociale et l’échec engendrés par le travail des étudiants ? Accélérer la privatisation des universités en les dotant de fondations ? Détruire le CNRS ? Quels sont les objectifs ? Comment ne pas fantasmer sur des réformes dont on ne connaît pas les intentions ? À moins que les réformateurs eux-mêmes ne connaissent pas les objectifs ? Pour réformer, il faut identifier l’objectif et mettre les moyens pour y arriver. Mais pour identifier l’objectif, encore faut-il se poser les bonnes questions.
Tout comme notre société n’a pas de projet, cette réforme apparaît le fruit d’apprentis sorciers, qui espèrent faire changer les choses en se jouant d’un système qu’ils connaissent, mais dont ils ne souhaitent pas changer les règles qui ne leur sont que trop favorables à long terme. Or, l’impératif serait de modifier les mentalités et les méthodes de ceux qui gouvernent.
Les méthodes et les habitudes sont là. Une réforme institutionnelle universitaire ne peut changer les connivences d’un système archaïque et féodal. Il faudra donc faire avec. Pour le meilleur et, surtout, pour le pire.
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