Daniel Cohen et la faillite des Etats ou la faillite des économistes ?
Daniel Cohen, professeur d’économie à l’école normale supérieur, est un habitué des médias depuis des années. Il était l’invité de France inter pour parler de la crise financière. Il fait partie de ces économistes qui n’ont « rien vu venir » de la crise financière ( il défendait ardemment la mondialisation financière à l’époque ) et qui aujourd’hui se montre beaucoup plus critique, sans pour autant arriver à se détacher des dogmes qu’il portait jusqu’à présent. Si bien que comme d’habitude dans le discours porté dans les médias à l’heure actuelle, ses remises en cause on va le voir sont superficielles et il a du mal à envisager une autre solution que la solution classique libérale.
Daniel Cohen, économiste , Professeur à l’Ecole normale sup.
envoyé par franceinter. - L’actualité du moment en vidéo.
Daniel Cohen, économiste , Professeur à l’Ecole normale sup.
envoyé par franceinter. - L’actualité du moment en vidéo. En effet, les dirigeants de la BCE ont expliqué dernièrement qu’à la fin de l’année ils allaient rehausser les critères d’éligibilité auxquels ils achèteraient désormais des titres publics via lesquels les différents états financent leurs déficits.
Chose incroyable, ces critères d’éligibilité sont complètement basés sur des notations délivrées par des agences privées ( non contrôlées ni par les état ni par la BCE )
Et la Grèce justement depuis le début de la crise financière a vu ses notations réduites à un niveau B, et du fait de cette mauvaise notation ( la meilleure notation étant le fameux "triple A" AAA ) quand la Grèce émet des titres publics sur les marchés privés, ces derniers acceptent de les acheter en contrepartie de taux d’intérêts plus élevés ( ce qui fait que les déficits coûtent beaucoup plus chers et cela aggrave d’autant plus la situation )
Le risque de faillite étant justement que plus personne ne veuille accepter de titres émis par l’état du fait de problèmes de remboursement de l’état.
Daniel Cohen explique que les statuts de la banque centrale européenne lui interdisent d’acquérir des titres publics directement à leur émission par les états. Cette pratique pouvant permettre pourtant d’éviter d’avoir à passer par des emprunts sur les marchés privés.
Mais il explique aussi que cette interdiction est contournée par le fait que la BCE peut racheter ces titres s’ils sont revendus par des banques ou agents financiers privés, bref si ces titres sont acquis puis revendus par un intermédiaire sur les marchés financiers.
Cette interdiction c’est le fameux article 104 du traité de Maastricht ( article 101 du traité de Lisbonne ) plusieurs fois abordé ici même sur AGORAVOX.
Il évoque à juste titre que cette interdiction est une particularité du système européen, et que d’autres pays comme les états unis ont eux une banque centrale qui vient à leur secours quand ils sont en difficulté.
L’intérêt est pourtant évident, si c’est la banque centrale qui finance ainsi les déficits, elle ne fait payer aucun intérêt, par contre si ces déficits sont financés par des emprunts sur les marchés privés, ces derniers demandent évidemment des intérêts, de l’ordre de 3,5% par exemple pour la France, et de 6-7% aujourd’hui pour la Grèce, quand on sait que les déficits se comptent en dizaines de milliards d’euros, ce sont donc des sommes colossales qui seraient ainsi économisées.
Et jusque là, Daniel Cohen est étonnant par rapport à ses précédents discours, car il n’hésite pas à souligner la folie du système qui place entre les mains de 3 agences de notation privées ( qui sont coupables d’avoir sur-noté les subprimes rappelez-vous) le destin de tout un pays de manière totalement arbitraire, et encore plus fou, la BCE, ainsi que les dirigeants européens, pourraient tout simplement choisir d’aider la Grèce en lui permettant de se financer auprès de la BCE directement, mais ces derniers s’obligent à respecter les règles de système qui peut provoquer une grave crise en Grèce. ( qu’on ne nous parle pas de l’état de droit, les dirigeants européens ont déjà violé certaines règles des traités européens en prétextant le cas de force majeur à cause de la crise ).
C’est ensuite que Daniel Cohen déçoit. S’il admet volontiers la folie du système européen, et la folie de cette création "artificielle" de la crise en Grèce par les agences de notation et par les dirigeants de la BCE. Sa critique ne va malheureusement pas plus loin. Pourtant beaucoup de choses sont ici critiquables.
D’abord s’il explique que la raison qui a poussé les constructeurs du système européen à mettre en place un tel système ( l’interdiction, le passage obligatoire par les marchés privés ) étaient de rendre ainsi la BCE indépendante des états, à aucun moment il ne remet en cause le fondement ou non de cette raison, de cette indépendance. Il explique que d’autres pays comme les Etats unis n’ont pas une banque centrale indépendante, il explique que cela peut se retourner contre nous, mais il n’a visiblement pas d’opinion tranchée sur le sujet.
Pourtant il y a quand même un gros point à souligner, obliger les états à passer par les marchés privés, c’est quand même offrir un très beau cadeau aux acteurs de ces marchés privés et notamment aux banques privées.
De plus tout ce système, de quoi est-il indépendant au final ? Il est surtout indépendant des peuples et de leurs gouvernements, indépendants donc de la volonté générale de ces peuples, indépendants de leur souveraineté. Qualifier ce système de fou est bien gentil alors que ce système place au final l’autorité de la BCE et l’autorité d’agences de notation privées au dessus de la souveraineté des différents peuples, au point même de pouvoir provoquer la faillite artificielle de leurs états, c’est tout bonnement anti-démocratique ...
D’ailleurs les propos de Daniel Cohen, dès que le journaliste évoque le "gros mot" de peuple sont tout ce qu’il y a de plus parlants, il ricane puis explique sans complexe que "s’il n’y avait pas le peuple tout serait réglé ( comprenez par là démantelé ) plus facilement, du-moins pour eux.
Et en effet le peuple dans l’histoire c’est quand même lui le gros dindon de la farce.
Non seulement, le peuple n’a certainement pas choisit de mettre en place tout ce système, enfin si ça s’est déroulé de la même manière qu’en France, tout le système monétaire européen s’est plus construit dans les couloirs technocratiques des institutions européennes ou du FMI, et certainement pas dans le débat public en tout cas.
La seule question qui a été posée aux français par exemple fut la signature du traité de Maastricht, et au moment du débat lors du référendum qui a précédé sa ratification, aucune question dans le débat public n’a jamais portée sur ces différentes questions.
Mais de plus, le peuple est celui qui paye toujours et encore les différentes décisions de ces gens qui brillent de plus en plus par leurs incompétences et par le caractère néfaste de leurs politiques, vu les crises qu’ils créent.
L’autre intérêt a souligné dans cette histoire vient de la situation de dégradation de la note des états par les agences de notation. En cas de crise où les états ont de forts déficits, c’est évidement une mine d’or pour tous les acteurs des marchés financiers qui pourront ainsi acquérir des titres à de bons taux d’intérêts et complètement sécurisés. ( Les états payent toujours, aucune de ces notes n’est basée en réalité sur la moindre difficulté de paiement)
Il y a évidement aussi un intérêt politique indéniable à ce genre de situation, dans un climat d’hostilité grandissante de l’opinion public aux politiques libérales ( ou de dérégulation / privatisation ), une situation artificielle de faillite ( ou simplement de risque par la dégradation de la note ) est ainsi un bon moyen psychologique d’imposer quand même ces politiques à travers des plans de redressement des finances ( les fameux plans de rigueurs dont le FMI est friand ).
Tous les pays qui subissent ce genre de plans en sortent à chaque fois dévastés, les services publics étant systématiquement privatisés, les prix augmentés, les états démantelés, tout cela pour le profit d’intérêts privés qui les achètent pour une bouchée de pain.
C’est là où on voit la limite de la critique de Cohen qui même s’il est plus sévère continue quand même de défendre cette idéologie.
A plusieurs reprises Daniel Cohen se défend face aux interrogations de Demorrand en expliquant que cette crise était IMPREVISIBLE.
Si elle était si imprévisible, comment se fait-il que des économistes comme Frédéric Lordon ou Paul Jorion l’avaient prévu ... eux ?
On a donc un système anti-démocratique, qui sert plus des intérêts privés que l’intérêt général, qui peut générer artificiellement la faillite d’un état européen, et à aucun moment Daniel Cohen n’envisage de totalement le remettre en cause ...
La solution passe logiquement par la simple solidarité, permettre aux états de se financer auprès de la BCE impliquerait l’impossibilité pour un état de faire faillite, permettrait aux différents états à terme de réduire leur dette publique ( le paiement des intérêts correspondent souvent aux déficits des budgets des états, ne plus en payer permettrait facilement de les rééquilibrer et de rembourser petit à petit la dette ) et évidemment cela permettrait aux états de venir en aide à un autre état de la zone en difficulté, en jouant sur la monnaie. Et enfin cela permettrait évidemment de libérer la capacité d’investissement des états, investissements qui permettraient des relances de l’économie bien plus intéressantes que les non-plans appliqués actuellement ou que des plans d’austérité et de coupes budgétaires néfastes socialement.
Cette mesure ( qui passe par la suppression tout simplement de l’article 104TM / 101TL ) correspondrait beaucoup plus à une mission de la part de la BCE qui lui donnerait comme principal objectif l’emploi ( ce qui serait quand même plus logique vu la crise actuelle ), et non pas la paranoïa inflationniste.
Il faudrait évidemment mettre aussi fin à son indépendance, cette indépendance étant anti-démocratique.
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