M. Sarkozy ne peut en effet ignorer que le désengagement d’Afghanistan est plus facile à dire qu’à faire. Prévue d’ici deux ans, en 2014, l’évacuation de nos valeureuses troupes risque entre-temps de se heurter à la mauvaise humeur des Américains et plus encore à la mauvaise volonté des Russes, lesquels pourraient voir dans la mise à disposition conditionnelle de leurs gros transporteurs aériens - dont nous sommes hélas totalement dépendants - et de la traversée de leur espace aérien, un argument de poids dans les discussions qu’ils ont actuellement avec le camp occidentaliste.
En premier lieu, dans les tractations relatives à l’installation du « bouclier anti-missiles » américain en Europe orientale 2. Et aussi, et surtout, en raison du veto mis par Vladimir Poutine - en principe de nouveau au Kremlin d’ici quelques semaines - à toute intervention étrangère contre le régime laïc syrien. En l’occurrence, Russie et Chine sont décidées à camper sur leurs positions et à refuser à la « Communauté internationale » leur feu vert au Conseil de sécurité en vue d’une action armée contre Damas ; celle-ci orchestrée par Mme Clinton et interprétée par la « Bande des Quatre », France, R-U, Allemagne et Turquie… Cette dernière jouant double partition : néo-ottomane avec les Palestiniens qu’Ankara cajole et avec les nouveaux pouvoirs islamistes du Maghreb ; euratlantique avec l’Otan, malgré ses fâcheries avec l’Élysée à propos de lois scélérates électoralement rentables auprès des communautés arméniennes et israélites, et sa brouille avec Tel-Aviv pour des questions de préséances et d’excuses refusées.
Les Français sont donc « mal-partis » pour se désengager du guêpier afghan dans les meilleurs délais et dans des conditions optimales, même si pour l’heure Kaboul ne paraît pas devoir se transformer - ce qu’à Dieu ne plaise - en « piège infernal » façon Diên Biên Phu… Cela malgré les hommes qui tombent régulièrement mais sûrement : 82 en tout depuis le 6 décembre 2001 et le premier déploiement de 220 combattants à Marzar-e-Sharif… les trois premiers morts attendront 2004 avec le début du soulèvement contre l’occupant à la suite de la rébellion irakienne.
Reste que la presse hexagonale, toujours aussi « objective », oublie de rappeler que quelques jours avant le tir groupé du « traître » afghan, une vidéo de 39 secondes 3 diffusée sur Youtube montrait des GI’s se soulageant sur des cadavres afghans… Du meilleur goût ! Car comme de bien entendu, qui songerait à établir un quelconque lien de causalité entre le spectacle peu ragoûtant de la soldatesque yankee et la morts des soldats professionnels « francaoui » ?
Un scandale donc survenant au moment où Washington s’efforce de négocier son retrait avec les chefs de la résistance pachtoune, autrement appelée « Taliban » pour les besoins de la cause… quand il s’agit de déshumaniser l’ennemi pour le détruire sans état d’âme, il faut en faire un diable repoussant, barbu et voilant ses femmes 4 n’est-ce pas ? Quoi de pire que les infâmes Taliban en sourde révolte contre le monde moderne (excepté le Coca-Cola) ?
La guerre qui n’existe pas vue de Paris plage
Le 25 janvier 2012 à Varces dans l’Isère, devant le 93e régiment d’artillerie de montagne auquel appartenaient les victimes, M. Sarkozy nous a livré le fond de sa pensée « l’ennemi aujourd’hui, c’est, une fois encore, le terrorisme qui prenant le visage de nos alliés, sous les dehors de l’armée régulière, a voulu frapper, à travers la France, l’idée même de liberté. Nous ne nous laisserons pas impressionner par cette barbarie, par cet obscurantisme d’un autre âge, qui doit nous renforcer dans notre détermination à œuvrer pour la paix ».
Sans décortiquer le propos assez fade, empreint d’un pathos factice, notons que M. Nagy-Bocsa, nous administre - et pas seulement aux militaires rassemblés et à leurs familles - une « piqûre de rappel » : l’ennemi, évidemment sans visage, est le « terrorisme, barbare, obscurantiste », venu du plus profond de l’âge des ténèbres et animé d’une haine viscérale à l’égard de la « Liberté » chérie 5.
Du même ordre discursif, dans son court éditorial du 24 janvier, le directeur de la rédaction de l’Express 6, Christophe Barbier enfile les perles comme d’autres collectionnent les papillons. Notre intention n’étant pas d’épingler le papillon Barbier - ni pire ni meilleur que la plupart de ses confères de la gentocratie médiatique - cela n’interdit pas de le commenter (et cela en vaut la peine) en raison de l’expression particulièrement emblématique de la cécité schizophrénique dont il fait preuve comme tout bon sujet de la « négapensée » dominante... Mais nos sociétés ne sont-elles pas atteintes presque universellement de pathologies mentales lourdes ?
Gageons que le directeur de la rédaction de l’Express croit mordicus en son propre discours, que, de sorte, il en est la première victime et que malheureusement ses facilités de plume en font un propagateur virulent d’une pensée profondément falsificatrice ou « distorsive » du réel. À ce titre, en tant que pécheur récidiviste et non repenti contre l’Esprit, il devrait être puni par la loi… dans la mesure, bien sûr, où la Loi ne servirait pas expressément les intérêts supérieurs du Mensonge, grand maître ès qualité du « Nouvel Ordre du Monde » !
« Quand on tire dans le dos des soldats, la guerre n’est plus la guerre, elle est la jungle. En Afghanistan, désormais, l’armée française en est là. Confrontée déjà à un ennemi invisible, sans règles ni uniforme, sans pitié ni limites… ».
Le code du Bushido nippon ne voyait aucun déshonneur à frapper un homme dans le dos pourvu qu’il fût armé, pour la bonne est simple raison que l’homme d’armes est supposé se trouver en état d’éveil (et de veille) permanent 7. Foin de billevesées ! De façon récurrente les commentateurs se plaignent que ceux qu’ils combattent leur rendent des coups. À les entendre, eux seuls, les envahisseurs, auraient le droit de porter le fer et ceux d’en face seraient censés dire merci ! Quand Barbier geint « la guerre n’est plus la guerre… l’armée française [étant] confrontée à un ennemi invisible, sans règles ni uniforme, sans pitié ni limites… » on en reste pantois. Qu’attendent-ils des combattants d’en face ? Qu’ils leur fassent des risettes, qu’ils leur proposent poliment « Messieurs les Angliches tirez les premiers » ?
Barbier ne manque pas d’air pour leur reprocher de s’afficher « sans règles » alors que la coalition a refusé d’entrée de jeu, en octobre 2001, de leur accorder le bénéfice de toutes lois et coutumes de guerre, les combattants afghans étant considérés, lorsqu’ils étaient capturés, comme « prisonniers du champ de bataille » auxquels les Conventions de Genève ne s’appliquaient pas et à ce titre détenus ab libitum, torturés le cas échéant ! À ce propos, le Secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld n’avait-il pas eu l’extravaguant cynisme d’annoncer que les É-U n’avaient « pas les moyens de faire de prisonniers du champ de bataille », en clair déclarant par là qu’il n’y aurait pas de quartier, que le bain de sang et les massacres étaient à l’ordre du jour…
Ce qui n’avait rien ni de surprenant, ni de nouveau, au vu des antécédents répertoriés de l’Amérique en guerre… habituelle d’un mode opératoire largement inspiré des multiples génocides de l’Ancien Testament. Reste que les forces yankees procèdent de façon moins artisanales, et par conséquent plus industrielles, que les Hutus de base : les sabres d’abatis n’étant pas en dotation dans les armées de l’Organisation du Pacte Atlantique, force est de se rabattre sur le napalm, les bombes à fragmentation, les munitions à l’uranium appauvri, et cætera…
Maintenant il faudrait avoir mauvais esprit pour considérer que l’actuel modèle occidental de la guerre soit « sans règles » et « sans limites »… Mais, détrompez-moi, n’était-ce pas justement « une guerre sans limites », dans l’espace, le temps et les moyens utilisés 8 que GW Bush nous avait annoncés le 12 septembre 2001 ?
Voici donc l’armée française « obligée de se méfier aussi de ses alliés, de ces fantassins auxquels elle apprend à défendre leur patrie (mais ont-ils une patrie ?), à servir leur chef (mais reconnaissent-ils un chef ?), à protéger leur peuple (mais aiment-ils un peuple ?). Des talibans devant, dissimulés dans la nuit des vallées ; des talibans derrière, infiltrés dans les rangs de l’armée dite régulière ». Horreur !
« Les Français sont encerclés » brièvement, ce n’est pas la cuvette de Diên Biên Phu, mais cela commence en effet à y ressembler un peu ! Signalons, ce que savent nos décideurs et les médiacrates, mais qu’ils se gardent bien de dire, que le retrait des troupes françaises va coûter un max - à condition avons-nous écrit que les Russes acceptent de nous louer leurs avions cargos - alors que les « caisses sont vides ». Concluons-en que M. Sarkozy joue les matamores à rebours en annonçant le départ de nos troupes alors qu’ils sait pertinemment qu’il n’en a pas les moyens et que ce « retrait anticipé » désorganiserait complètement l’actuel dispositif de l’Otan.
Cependant, comme le souligne si bien M. Barbier, « c’est être une nation ambitieuse qu’avoir réintégré complètement l’Otan, principal bouclier de l’Occident ». Oui da, mais cela impose des contraintes que feignent d’ignorer tout autant MM. Sarkozy et Hollande tout à leurs vaticinations de campagne électorale, que le « griot » chanteur de louanges de l’Express : être de retour au bercail du commandement intégré de l’Otan signifie que le vrai patron militaire est américain… pour partir il faudra en conséquence négocier et harmoniser les agendas, bref les biffins français ne sont pas sortis de l’auberge et de loin, sauf bien entendu si l’envie devient pressante à Washington et à Tel-Aviv d’aller exercer leurs talents et leurs armes en Syrie.
« C’est être une grande nation qu’avoir répondu à l’appel du droit, en 2001, et chassé Al-Qaeda de son antre ; c’est être une nation lucide qu’avoir cureté au mieux cette région du monde, pour la sécurité de ceux qui y vivent et surtout pour la nôtre ; c’est être une nation ambitieuse qu’avoir réintégré complètement l’Otan, principal bouclier de l’Occident, en attendant une vraie défense européenne. En cette contrée où Alexandre le Grand, Tamerlan, les troupes britanniques et l’Armée rouge s’épuisèrent, la France a tenu son rang, accompli son devoir et préparé l’avenir, car ces conflits vénéneux aguerrissent les hommes et améliorent les armes - ce n’est pas du cynisme, c’est du réalisme pour un monde dangereux ». Si c’est Barbier qui le dit, alors !?
Quant à nous nous poserons cette simple question « que sommes-nous allés faire dans cette galère ? ». un nouveau Vietnam assurément pour les Américains qui eussent dû savoir que « l’Afghanistan est un pays où l’on entre mais dont on ne ressort pas », et méditer longuement l’exemple des Anglais écrasés en janvier 1842 à la bataille de Gandamak par Wazir Akbar, fils du roi afghan Mohammad Khan, avec la participation des aïeux directs de ces sous-hommes - puisqu’exclus des Conventions de Genève et des lois ordinaires de la guerre - qu’affrontent maintenant les forces atlantistes coalisées pour leur plus grand préjudice.
Le Dr. William Brydon, chirurgien de l’armée de la Cie des Indes orientales fut le seul survivant des 4 500 Anglais et des 30 000 indiens ayant vécu et trépassé un jour funeste de janvier 1842. Il n’y a aura évidemment pas aujourd’hui de second Gandamak, les drones et autres robots tueurs gardent les arrières, mais d’ores et déjà la défaite morale de l’Occident est consommée et la honte en rejaillit sur chacun d’entre nous, électeurs et non électeurs des ci-devant Obama, Sarkozy, Cameron, Merkel et consort…