De Gaulle en passe d’être chassé de son cher paradis
La phrase des Mémoires de guerre de De Gaulle que nous allons lire maintenant ne fait que délimiter, en réalité, l’objectif final défini par Jean Moulin, à travers les recommandations déjà formulées par Pierre Cot avant même son arrivée à Londres, recommandations que celui-ci développera bien plus largement durant l’année 1943, lorsqu’il sera occupé à rédiger, aux États-Unis, le second tome de son « Procès de la République » :
« Nous avions convenu qu’il agirait, d’abord, sur les mouvements de la zone Sud, pour les déterminer à former, sous sa présidence un organisme commun qui serait directement lié au Comité national, affirmerait l’union, donnerait des mots d’ordre et réglerait les litiges internes. Cela fait, il aborderait la zone Nord et tâcherait d’instituer, pour l’ensemble du territoire, un conseil de toute la résistance rattaché à la France Combattante. » (Idem, page 234.)
Faisant contraste, la suite nous montre dans quel état d’esprit De Gaulle s’est trouvé lorsqu’il lui a fallu aborder, avec Jean Moulin, et en février 1943, le texte fondateur du Conseil politique de la Résistance qui émanait si directement des positions adoptées par Pierre Cot dès sa note du 13 septembre 1941 si vigoureusement corrigée par De Gaulle :
« Étant donné le caractère de représentation, et non point de direction, que je voulais voir prendre à ce futur conseil et qu’il prendrait, en effet, je ne comptais pas en exclure les partis. Qu’il y en eût, c’était inévitable. » (Idem, page 234.)
En réalité, le 21 février 1943, à Londres, et en présence de Jean Moulin, Charles de Gaulle a dû apposer sa signature au bas d’un texte qui affirmait que l’activité des membres du Conseil de la Résistance allait devoir s’exercer « souverainement ». Dès lors, pour en venir à la disparition subséquente de ce terme, il faudrait passer sur le corps de Jean Moulin. Ce qui fut fait.
Il reste à voir pourquoi, du point de vue de Charles de Gaulle, il était impératif d’en arriver à un tel niveau de bassesse. Mais, déjà, l’affaire qui l’avait opposé à l’amiral Muselier, sur cette même question de son acharnement à affirmer sa dictature sur l’ensemble de la France Libre et au-delà, nous a révélé son aptitude à envisager le pire dans un contexte bien moins grave que celui qui le mettra en opposition frontale avec Jean Moulin :
« […] je prendrai les mesures nécessaires pour que vous soyez mis hors d’état de nuire […] ».
La réception de Jean Moulin par Charles de Gaulle, à Londres, le 25 octobre 1941, répond au fait que l’ancien préfet d’Eure-et-Loir a remis un rapport au Général…
Ce rapport nous permet, tout d’abord, de découvrir le gros mensonge proféré par celui-ci lorsque, comme nous l’avons vu précédemment, il écrivait : « L’ « Intelligence », en effet, s’efforçait de s’attacher Jean Moulin. Mais lui, inversement, réclamait de m’être envoyé. »
Il ne s’agit pas de cela. C’est, pourrait-on dire exactement l’inverse. Car, dans l’ensemble de ce rapport, De Gaulle est toujours en seconde position derrière les Britanniques. C’est vraiment tout ce qu’il y a de plus systématique. Reprenons-en le détail :
« [R]emettre aux Autorités Anglaises et au général de Gaulle le présent message », « connus des services de renseignements britanniques et de ceux des F.F.L. », « Ralliement à la cause britannique et au général de Gaulle », « événements les plus marquants de l’actualité (discours de M. Churchill, du Président Roosevelt, appels du général de Gaulle, actions militaires importantes, etc. », « communiquer avec l’Angleterre qui s’était constituée le champion de la résistance et avec les Forces Françaises Libres qui poursuivaient la lutte ». » (Daniel Cordier, Jean Moulin, L’Inconnu de Panthéon, tome III, Jean-Claude Lattès, 1993, pages 1218 et 1220.)
L’Angleterre, « champion de la résistance », et les F.F.L. (Forces françaises libres), citées, sans même évoquer De Gaulle, tout occupé qu’il est à se tailler un Empire en Afrique et ailleurs… Comme on le voit, la coupe est pleine.
Mais il y a mieux. Jean Moulin se paie le luxe d’expliquer à Charles de Gaulle en quoi consiste la notion même de résistance, pour un peuple. Il le fait à partir de l’expérience qu’il a des trois groupes de résistance avec lesquels il a pu prendre contact dans la zone sud (non-occupée) : Liberté, Libération et Libération Nationale. Voilà De Gaulle au pied du mur :
« Les Mouvements L.L.L. étudient actuellement les possibilités d’encadrement, d’entraînement et d’armement des patriotes français en vue d’une action éventuelle de coopération avec les forces alliées, en territoire français. Ont-ils raison ? » (Idem, page 1223.)
Mais la leçon ne fait encore que commencer…
Michel J. Cuny
20 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON