De la dépénalisation/légalisation du cannabis
Le débat sur la dépénalisation et/ou légalisation1 du cannabis, dans le grand néant des idées, fera sans aucun doute parti des futurs thèmes de campagne pour l'élection présidentielle 2017. D'ailleurs, les déclarations2 du secrétaire d’État aux relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen (affilié au Parti socialiste), souhaitant que le PS « ouvre un débat sur la dépénalisation du cannabis », et appelant de ses propres vœux « la fin de la prohibition », en constituent les premiers signes annonciateurs. En effet, il s'agira pour la gauche dans son ensemble – en grande difficulté sur tous les plans – de capter un certain électorat à l'idéologie « libérale-libertaire », tandis que la droite prendra logiquement le contre-pied des éventuelles propositions de son adversaire sur ces questions.
Parallèlement aux considérations purement électoralistes – où de nombreux arguments techniques et statistiques seront avancés de part et d'autre – le débat pourrait aussi s'inscrire dans le cadre de sinistres projets européens à venir, visant a faire basculer des pans entiers de l'économie souterraine et criminelle – auxquels le trafic de drogue appartient – vers l'économie réelle, dans le but de maintenir en vie un système fou en voie d'implosion, reposant entièrement sur l'endettement et le crédit. Aussi dans cette optique, droite et gauche pourraient bien se retrouver, avec l'opportunité, au niveau français, d'une manne considérable pour un État au bord de la faillite.
Toutefois, fort est à parier que les deux bords éviteront – à l'instar de toutes les grandes questions sociétales – d'appréhender le problème du cannabis dans une dimension plus symbolique et philosophique, pourtant essentielle. C'est ce qui selon moi devrait être l'objet de la (vraie) Politique : Donner du sens et une vision pour la société – dans le souci de l'intérêt général et du bien commun – qui aillent au-delà des chiffres et des considérations creuses.
Les arguments récurrents : commentaire et déconstruction
Tout d'abord, revenons sur un ensemble d'arguments récurrents, essentiellement portés par la gauche, lesquels à n'en point douter, structureront les futurs débats :
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La pénalisation du cannabis est excessive et hypocrite : Le produit n'est pas « plus dangereux » que le tabac et l'alcool, qui « tuent plus » par années en France et qui ne sont pourtant pas prohibés. Par ailleurs, prohibition et niveau de consommation ne seraient pas nécessairement corrélés. Le meilleur exemple étant sans doute celui des Pays-Bas, où la consommation n'a pas augmenté (hors tourisme narcotique) depuis la dépénalisation du produit en 1976.
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La légalisation du cannabis permettrait à l’État d'installer un monopole de vente comme pour le tabac, contrôlant ainsi les étapes de la production à la vente (vers un « label qualité » du cannabis ?). Cela permettrait de lutter efficacement contre le trafic de drogue et les mafias.
Si nous mettons de côté une certaine idéologie et que nous faisons abstraction des seules données statistiques – qui comme on le sait, peuvent faire dire tout et son contraire – nous nous rendons bien compte, par simple bon sens, de la non-crédibilité de ce discours.
Premièrement en ce qui concerne la dangerosité du cannabis, en comparaison avec celle du tabac et de l'alcool, il est évident que l'argument n'est pas pertinent, en ce sens que dans le premier cas, nous avons affaire à une substance interdite par la loi, dont la consommation « réelle » et ses effets sont par conséquent difficilement chiffrables et évaluables, contrairement à des produits circulant de façon légale, bien encadrée et transparente. De plus, la mortalité dont il est question ici, est liée directement à l'usage de ces substances. Quid du taux de mortalité lié au trafic de drogue et aux activités mafieuses ? Enfin, qui connaît l'usage du cannabis, sait que le tabac est largement utilisé dans la confection de joints. Les statistiques relatives à la mortalité de la cigarette prennent-elles en compte les fumeurs de shit ?
Deuxièmement, si rien ne prouve effectivement qu'une dépénalisation entraînerait automatiquement une augmentation de la consommation, rien ne prouve non plus le contraire. En effet, ce qui a fonctionné aux Pays-Bas ne fonctionnera pas nécessairement chez nous en France. Dans le premier cas nous avons affaire à un pays de culture essentiellement protestante, horizontale et de consensus, où l'autonomie et la responsabilité individuelle sont bien ancrées dans les mentalités, tandis que dans le second cas, nous vivons dans un pays de culture latine et catholique, verticale et d'obéissance, où l’État donne traditionnellement le la, avec de surcroît hélas, un terreau favorable à la consommation de psychotropes (antidépresseurs et anxiolytiques). Ainsi, l'attitude face aux drogues et aux interdits ne peut être que différente, voire totalement opposée. Bien sûr, l'idéologie « libérale-libertaire » n'a souvent que faire de ces considérations, pourtant fondamentales pour pouvoir penser le politique.
Ainsi, d'aucun m'avanceront que la meilleure manière de mettre fin à « l'hypocrisie » serait sans doute la prohibition étendue au tabac et à l'alcool. Cet ultime argument a le même fond relativiste (au fond, « tout se vaut ») que celui utilisé par ceux qui, refusant d'attaquer l'islam de front, préfèrent un laïcisme absolu, quitte à faire table rase sur tout un héritage culturel (chrétien), en appelant notamment à la destruction pure et simple des églises et à la suppression de toutes les fêtes religieuses. Nous y reviendrons dans la seconde partie de cet article.
Enfin, si « hypocrisie » il y avait, c'est plutôt autour des questions relatives à une légalisation du cannabis qu'il faudrait sans doute aller la chercher. En effet, sous couvert d'intentions bienveillantes, l’État pourrait profiter d'une manne considérable grâce à un nouveau produit fortement taxé et sous son contrôle. Surtout, cette mesure n'aurait aucun effet sur le trafic de drogue et les activités mafieuses qui lui sont liées. Dans un espace mondialisé avec libre-circulation des biens et des personnes, où il n'existe pas de législation unique à l'échelle planétaire, la France deviendrait avec les Pays-Bas avant elle, une nouvelle plaque tournante européenne du trafic de cannabis. Et c'est évidemment sans compter le développement d'une contrebande sur le modèle du tabac et de l'alcool, entre notre pays et ses voisins frontaliers.
Pour une approche authentiquement politique de la question
C'est là que des considérations d'ordre symboliques et philosophiques rentrent en ligne de compte et donnent un sens à l'action politique. Je précise, avant toute chose, qu'il ne s'agit pas ici d'attaquer les fumeurs de cannabis à titre individuel. Mon propos ne s'intéresse pas aux individus, mais au plus grand nombre, dans la logique de l'intérêt général et du bien commun, ce qui implique « hélas » des généralités.
Pour commencer revenons sur la question des effets du cannabis sur la santé et sur sa dangerosité. Contrairement à l'alcool et au tabac, celui-ci n'est pas associé immédiatement à la mort dans la conscience collective. Ceci serait pourtant une raison suffisante pour beaucoup de défenseurs de la dépénalisation du produit : puisque le produit ne semble pas tuer, sa prohibition n'a par conséquent aucun sens. Certains vont même jusqu'à vanter ses vertus thérapeutiques (dans des cas bien particuliers toutefois) pour renforcer cette position relativiste. Mais quid des effets observables du cannabis sur le système nerveux et des conséquences psychosociales qui en découlent ? Tout ceci est donc difficilement tenable sinon dangereux lorsque l'on a le souci du bien commun.
Par ailleurs, les comparaisons entre le cannabis, le tabac et l'alcool qu'induit le débat, nous amène – un fois les considérations d'ordre sanitaires évoquées – à réfléchir en termes de symboles. En effet, peut-on mettre sur le même plan un bon verre de vin rouge et un joint de cannabis d'origine inconnue ? Dans le premier cas, la charge symbolique est sans commune mesure, en ce sens que le vin représente la Civilisation et ses savoir-faire millénaires ainsi qu'un certain art de vivre à la française qui fait notre identité sinon notre lien social. De plus, sa consommation implique un certain raffinement, où la recherche du plaisir immédiat et de la « défonce » ne sont pas les buts premiers. Peut-on en dire autant et de bonne foi à propos du cannabis ? A-t-il la capacité d'élever l'homme à ce niveau ? Bien sûr, un rapport aussi sain et transcendant à l'alcool implique une certaine éducation et la transmission de certaines valeurs, que la politique pourrait toutefois contribuer à préserver.
Ainsi, l'on comprend mieux la notion « d'interdit » qu'implique la pénalisation du produit. Si bien sûr il s'agit, en premier lieu, de protéger le collectif contre un danger sanitaire et des troubles à l'ordre public, il y a aussi une volonté de traduire symboliquement, dans la loi, le refus de la banalisation et du relativisme évoqué plus haut. Ceci donne donc du sens à la vie en société – dans laquelle tout « ne se vaut pas » - et l'existence de barrières symboliques est le signe du bon fonctionnement de celle-ci. La levée des interdits et le refus de certaines normes ne peuvent que provoquer une fuite en avant nihiliste. Dans le cas du cannabis, cela signifierait, à terme, la porte ouverte à la légalisation et à la libéralisation de toutes les drogues, ce qui ne rentrerait pas forcément en contradiction avec la logique marchande et ultralibérale.
Hélas, fort est à parier que les candidats ou autres personnalités politiques qui s'empareront de ce débat sur la dépénalisation/légalisation du cannabis éviteront d'orienter celui-ci sur ces questions. Si la politique doit nécessairement s'occuper d'administration et de gestion, elle doit surtout donner du sens et proposer une vision pour l'avenir, en aidant à la préservation du « beau et du vrai ». La question fondamentale qui est posée est la suivante : A quoi voulons-nous que la société dans laquelle nous vivons ressemble ?
1 La « dépénalisation » consiste à ne plus sanctionner une infraction : l'usage des substances dépénalisées est autorisé et ne donne donc lieu à aucune sanction pénale. La « légalisation » consiste à rendre légale une chose qui ne l'était pas jusque-là, comme la distribution et la vente (sous contrôle de l’État) de ces mêmes substances. Notons que la première n'implique pas nécessairement la seconde.
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