De ma main jaillira la Lumière !
Dès que je suis arrivée chez Mireille (le prénom a été changé) une personne avec qui j’ai sympathisé il y a quelques temps, et qui m’a très gentiment invitée à déjeuner, j’ai immédiatement été mise à l’aise. Son salon est accueillant et chaleureux avec ces fauteuils et ce canapé qui entourent une table basse. La fenêtre grande ouverte offre une belle vue sur les plantes qui ornent le balcon.
Cela fait peu de temps, donc, que je connais Mireille, mais nous avons eu le contact facile, et j’ai vu en elle une personne ouverte et positive, mais aussi une personne déterminée et de caractère, quelqu’un qui n’a jamais baissé les bras devant la difficulté. Et au début, sans pouvoir l’affirmer complètement puisque cela n’a pas été dit clairement, il m’a semblé sentir dans certains de ses propos l’aveu d’une vie difficile.
C’est sans doute pour cette raison, me dis-je, que Mireille est devenue aussi croyante. Elle a cherché un réconfort et l’a trouvé dans sa foi en Dieu. Chacun trouve chaussure à son pied, comme on dit. Et croyante, je sais qu’elle l’est vraiment, car depuis que son invitation a été lancée et que je l’ai acceptée, elle me fait très souvent parvenir, en plus des messages ordinaires que tout un chacun peut échanger, des emails contenant des prières, des appels à Dieu, ou des liens vers des sites plutôt ésotériques. Elle m’a ajoutée à une de ses listes de diffusion et, que je le souhaite ou non, je recevrai sans doute régulièrement ces messages. Je me pose alors la question de savoir si elle appartient aux Témoins de Jéhovah, aux Evangélistes, ou à autre chose de plus ésotérique. A la base, je n’ai rien contre le fait de croire en Dieu ni contre l’appartenance à tel ou tel mouvement religieux, je me dis que chacun fait ce qu’il souhaite du moment qu’il n’empiète pas sur la vie des autres, mais ce qui m’agace est que je ne lui ai rien demandé, et que je ne me sens pas concernée par tous ces emails que je reçois désormais au moins une fois par semaine, et dont je me doute bien que l’envoi n’est pas innocent. Pendant un moment, je me demande s’il ne vaudrait pas mieux annuler ma visite, mais je décide finalement de ne pas le faire. Je veux savoir exactement à quel mouvement religieux elle appartient. Je prends donc le parti de ne pas lui demander de stopper ces envois, mais de ne pas répondre à ces messages là, de les ignorer, et de ne répondre qu’au reste.
Ma curiosité est piquée au vif. Je sais pertinemment qu’une absence de prosélytisme serait en contradiction totale avec les principes de son éventuel mouvement religieux, mais je sais aussi qu’elle n’a aucune chance avec moi. Ca ne m’intéresse vraiment pas. Dans le pire des cas, si la personne devient insistante, je prends mes distances et l’affaire s’arrête là. Je ne m’intéresse qu’aux idées, absolument pas aux pratiques et rituels religieux que l’on a collés par-dessus. Cela m’intéresse donc de discuter, une fois dans ma vie, avec une personne appartenant visiblement à l’un de ces groupes, parce que je cherche toujours à comprendre, à en savoir plus. Je veux savoir jusqu’à quel point on peut discuter, quels blocages peuvent surgir dans l’échange, si échange d’idées il y a, si je n’entendrai que des discours préfabriqués, si d’autres discussions seront possibles que celles liées aux croyances, comment la personne accepte ou non les opinions divergentes, la contradiction, et en général en quoi l’appartenance à tel ou tel groupe va conditionner sa vie quotidienne.
J’ai eu l’occasion de rencontrer deux personnes qui étaient rentrées, sans même s’en rendre compte, dans des sectes, qui en sont sorties et m’ont un jour raconté leur expérience. Déconcertée par le fait qu’on puisse entrer dans une secte tout en restant persuadé que non seulement on a conservé sa liberté, mais qu’en plus on ne fait absolument pas partie d’une secte, je me suis alors documentée, et j’ai lu quelques livres expliquant, dans un but de mise en garde, les techniques de recrutement et de manipulation mentale de ces mouvements. J’ai également lu dans ces livres les descriptions du quotidien des adeptes, fait d’idées immuables et figées, de croyances dont on se demande parfois où l’on a bien pu aller les chercher, le tout ponctué de réunions obligatoires, d’obligations diverses et de rituels contraignants, parfois en apparence inoffensifs, et parfois tellement farfelus que l’on s’étonne qu’une personne ait à ce point perdu sa capacité à réfléchir et son sens critique, tout en étant très profondément convaincu de les avoir conservés.
Je me rends donc chez Mireille le jour dit, moins enthousiaste qu’auparavant mais convaincue que je vais en savoir plus long, sans imaginer une seconde de quoi sera faite notre rencontre, ni qu’une surprise aussi spirituelle qu’incroyable m’attend.
Nous nous installons à table et commençons à manger, tout en continuant notre conversation. Elle ne demeure pas très longtemps sur des généralités. Elle est très rapidement recentrée par Mireille sur le sujet, l’unique sujet dont elle semble à tout prix vouloir m’entretenir. Elle me fait tout d’abord remarquer qu’il n’y a pas de hasard dans la vie, et que si nous nous sommes rencontrées, c’est parce que Dieu l’a voulu. Je sais qu’elle me parle avec confiance car je n’ai pas mis fin à ses envois d’email. En effet, poursuit-elle, il se trouve justement que nous avons de nombreux centres d’intérêts en commun ! Cela ne peut en aucun cas être une coïncidence !
Après un moment durant lequel une conversation à peu près normale est encore possible, Mireille se lance dans une longue tirade. Elle seule veut parler. Je sens que le dialogue est, petit à petit, en train de se couper, et je pense que c’est volontaire. Je décide de ne pas contredire ses propos, mais de continuer à jouer les candides, la laisser parler et la questionner avec un certain intérêt. Je ne me prends évidemment pas pour Socrate, et n’imagine pas que je pourrais la faire accoucher de contradictions que j’aurais su repérer. Même si j’en étais capable, ce ne serait pas mon objectif, j’y laisserais trop de plumes, d’autant plus que que son discours est sans doute suffisamment rôdé pour éviter de laisser paraître des contradictions. Je souhaite seulement voir où elle veut en venir, et savoir ainsi où elle veut m’emmener. Elle est complètement partie dans son truc, maintenant, et soudain elle m’annonce qu’elle a une relation personnelle avec Dieu, qu’Il l’a choisie, Il lui parle et l’a investie d’une mission dans ce monde.
J’ai le choix entre couper court de façon brutale, ou la laisser continuer. J’ai très envie de partir, mais si je partais maintenant, je n’aurais pas appris ce que je veux savoir. Je choisis donc de rester.
Dieu l’a investie d’une mission dans ce monde, et cette mission, elle a compris en quoi elle consistait depuis qu’elle pratique un art japonais. Elle a trouvé la voie. Je réprime une soudaine envie de me marrer car cela me rappelle un dialogue dans « Le Lotus Bleu », quand le fou dit, à peu près, à Tintin :
« Lao Tseu l’a dit : il faut trouver la voie. Moi je l’ai trouvée. Vous devez la trouver aussi. Je vais donc vous couper la tête » etc.
Et déjà, il est devenu difficile, à ce stade de la « conversation », de l’interrompre pour lui poser une question. Je ne sais pas si c’est dû au fait qu’elle s’est elle-même laissé emporter dans son torrent d’enthousiasme, comme si elle était entrée dans une sorte de transe, ou si l’intention consciente est de me noyer dans un flot ininterrompu de paroles afin de m’empêcher de réagir, de m’empêcher de réfléchir, de poser des questions, et ainsi de m’abrutir et me mener sans encombres là où elle veut me conduire. Vu comment elle semble, aussi discrètement que possible, agacée par mes questions, auxquelles pourtant elle trouve toujours une parade, je n’ai plus guère de doute. C’est incroyable ! Même après un temps d’hésitation ou de surprise, elle a réponse à tout. Même si son argument est absurde ou sa réponse formatée, elle s’exprime avec une telle force de conviction que c’en est déconcertant. Je n’en reviens pas. Et quand elle n’a pas de réponse, elle annonce calmement qu’elle ne peut me donner de réponse car au stade où j’en suis, je ne pourrais pleinement comprendre. Il faudrait d’abord que j’approfondisse davantage ma connaissance spirituelle...
Je ne me souviens plus exactement des détails du discours de Mireille. Elle seule pourrait le refaire. Et si elle le refaisait, ou plutôt quand elle le refera à quelqu’un d’autre, à la prochaine occasion, je suis sûre qu’elle le refera exactement de la même façon. En gros, elle me révèle au fur et à mesure de son développement d’où se dégage une conviction totale et inébranlable, et qui est mené avec une logique si parfaitement incohérente qu’elle en devient imparable, avoir vu Dieu et
Je suis estomaquée d’entendre cela. J’ai l’impression depuis mon arrivée chez elle d’avoir affaire à quelqu’un d’autre. Elle n’a strictement plus rien à voir avec
Elle me parle presque avec amour de ce Japonais, passé dans le « monde astral » en telle année, qui a ressuscité ou je ne sais plus quoi un chien en pratiquant le premier cet art, qu’il a ensuite transmis. Elle me confirme qu’il est toujours vénéré de nos jours. C’est clair que son gourou doit faire l’objet d’un véritable culte, me dis-je.
Je prends alors un air aussi intéressé que possible et lui demande de but en blanc quel est le nom de son mouvement. Elle semble très mal à l’aise. J’imagine que je ne suis pas encore prête, à ce stade de mon initiation, à recevoir un tel enseignement, mais devant mon insistance, elle finit par l’énoncer en marmonnant. « Excuse moi, j’ai pas compris. Attends, je prends un papier et un stylo dans mon sac. Tu m’as dis que ça s’appelle comment, exactement ? » Je lui extorque littéralement le nom de sa secte et lui demande, tandis que je note, d’épeler. C’est bon, je sais ce que je voulais savoir. Je me rendrai compte en essayant de trouver des informations sur internet que l’orthographe qu’elle m’a donnée est fausse. Je ne sais pas si elle l’a fait exprès ou non.
Il faut absolument que je vienne un jour au Dojo pour pratiquer ! lance Mireille avec un enthousiasme débordant. J’ai dû faire une drôle de tête à ce moment là, car immédiatement après, elle me rassure : bien entendu, cela ne m’engage strictement à rien ! C’est juste pour voir, puisqu’elle m’en a parlé, ce serait bien que je voie comment la pratique se déroule. J’explique que je ne suis pas intéressée. Elle a l’air surprise. Je suis intéressée par le monde des idées, et pas du tout par une quelconque pratique religieuse. Attention ! me coupe-t-elle presque sèchement, nous ne sommes pas une église ! C’est un art ! Je lui aurais dis que je n’étais pas intéressée parce que je déteste les arts japonais, elle m’aurait sans doute rétorqué qu’il ne s’agit pas vraiment d’un art, mais en fait d’une pratique religieuse.
Je commence désormais à m’énerver intérieurement et n’ai plus du tout envie de jouer les innocentes. Alors je n’ai plus le choix, et je mets les choses au point, du moins je le crois. Je dis poliment mais très fermement que ce n’est pas la peine d’insister, que je ne suis pas du tout intéressée et que je ne viendrai jamais à son Dojo. Son visage prend l’espace d’un instant une expression où se mêlent la colère et la déception, mais elle se reprend très vite.
Quel dommage que je me braque comme ça, alors que ce serait juste pour une fois et que ça ne m’engage à rien ! Puis elle glisse habilement : « tu sais, avant, quand j’ai connu pour la première fois cet art et qu’on m’a invitée à venir, j’ai eu peur, j’ai eu des doutes, tu sais, j’avais entendu parler de la secte Moon, ou d’autres sectes, et je me suis dis, oh la laaaaaa, je sais pas dans quoi je vais tomber, je veux surtout pas entrer dans une secte !! » Le coup classique : on met la personne en confiance en anticipant ou verbalisant à sa place ses craintes les plus évidentes, puis en y apportant la réponse adéquate pour la rassurer. Non, non, ne t’inquiète pas, tu n’as rien à craindre, nous ne sommes bien sûr pas une secte, la preuve, je ne serais jamais entrée dans une secte puisque je ne les aime pas. En plus, ajoute-t-elle, visiblement convaincue par son propre discours, on peut arrêter quand on veut, il n’y a absolument aucune obligation. « Personne ne viendra te dire, ‘Quoi ? Tu arrêtes ? Mais non, tu dois continuer !’ »
De toute façon, Mireille a trouvé la solution. Puisque j’ai peur d’aller au Dojo, je suis la bienvenue pour pratiquer chez elle, avec elle, chaque fois que je le désirerai. Pourquoi serais-je inquiète, en effet, puisque nous ferons cela ensemble et que ça ne m’engage strictement à rien ? D’ailleurs, aujourd’hui, il y a justement une amie qui va nous rejoindre, elle ne va sûrement pas tarder, elles vont pratiquer ensemble pendant dix minutes, comme ça je pourrai regarder, et ensuite, si je le désire bien sûr, poser toutes les questions que je veux. Je pense alors : "ben voyons..." Elles se retrouvent ici tous les vendredis pour pratiquer. Je comprends à cet instant que ce n’est pas un hasard (puisqu’il n’y a pas de hasard dans la vie…) si elle m’a invitée à venir un vendredi. Là, c’est le moment où je devrais me lever, la saluer et partir sous un prétexte quelconque (mais lequel ? Là est la question…). Mais une fois encore, la curiosité l’emporte. Pour être honnête, après avoir lu tous ces livres décrivant les pratiques rituelles des mouvements sectaires, j’ai vraiment envie, puisque l’occasion m’en est donnée, de voir des adeptes en réaliser une sous mes yeux. L’occasion ne se renouvellera jamais, car je ne permettrai évidemment plus qu’elle puisse se renouveler.
L’amie arrive. Appelons
Nous entrons dans la pièce, ce que Mireille appelle la « salle de prière », et je m’assois sur une chaise. Tout est blanc. Au mur est accrochée une sorte d’étagère supportant divers objets, un gros pot de fleurs (il y a des fleurs partout dans cette pièce), et un cadre dans lequel est représenté un signe japonais. C’est l’autel, me dit-on. Ca me rappelle celui que l’on m’a décrit d’une autre secte japonaise, dans laquelle une des personnes citées plus haut était entrée, introduite (puis suivie comme son ombre et littéralement surveillée) par une sorte de chaperon, qui l’a ensuite, durant des semaines, harcelée de coups de fils à l’intonation abasourdie ou attristée, et fortement culpabilisatrice, lorsqu’elle est partie.
Les deux femmes s’assoient l’une en face de l’autre. Daisy ferme les yeux, Mireille met en route un minuteur, comme celui qui sert à cuire les œufs à la coque, puis lève alternativement, durant une minute environ, sa main droite, puis sa main gauche, devant le visage de la personne à qui elle va transmettre sa lumière intérieure, tout en déclamant avec le plus grand sérieux une longue prière en Japonais, apprise par cœur. Daisy émet périodiquement des petits soupirs, gigote un peu tandis que Mireille continue de psalmodier. En la voyant avec son ample tunique, en voyant ses gestes, en entendant ses incantations, j’ai l’impression de me trouver face à une espèce de Grande Prêtresse de science fiction. J’hallucine complètement et je commence à avoir envie de rire, en même temps que mon agacement augmente.
La pièce est maintenant plongée dans un silence total. Mireille continue avec conviction de transférer dans l’esprit de Daisy son énergie et sa lumière... Tic, tic, tic… Le minuteur égrène le temps avec une lenteur exaspérante. Ca dure, ça dure… Soudain, Mireille hurle à trois reprises une sorte de formule magique, en Japonais bien sûr, en effectuant de grands mouvements avec ses mains. Daisy rouvre les yeux, sourit et remercie sa prêtresse. Puis elle se tourne vers moi et m’explique que
« Vous savez, je vais vous laisser pratiquer tranquillement, je vais rentrer chez moi.
- Je crois qu’elle ne se sent pas en sécurité, s’amuse Mireille en jetant un coup d’œil à Daisy, comme on se moquerait d’une personne complètement parano, qui n’a donc pas de raison valable de s’effrayer. Peut être souhaite-t-elle que je me sente ridicule, que je démente et décide finalement de rester ? Ca me fait évidemment l’effet inverse. Ca m’énerve encore plus et achève de me convaincre qu’il est plus que temps que je file d’ici.
- Je suis fatiguée, il fait chaud, et je vais rentrer.
- Si tu veux, je peux te transmettre de l’énergie…
- Non. Je préfère rentrer. »
Mireille me laisse partir, après avoir tout de même tenté de me retenir en me parlant des desserts que j’ai apportés, et que nous n’avons pas eu le temps de manger. C’est pas grave, mange les avec Daisy. Je sors de la « salle de prière », remets mes chaussures, la remercie pour le repas qu’elle a préparé et je pars, à la fois soulagée, énervée par la découverte que j’ai faite mais également contente de savoir à qui j’avais affaire, et aussi, pourquoi pas, vaguement amusée par le fait d’avoir assisté à un truc complètement hallucinant, qui va me faire bien réfléchir. Normalement je me montre tolérante envers les idées et croyances diverses mais là, j’ai bien vu que j’avais largement dépassé mes limites. Même si elle n’avait pas cherché à m’imposer ses croyances, je les aurais rejetées. J’en viens à me demander si, dans certaines situations, trop de tolérance, se montrer tolérant par pur principe, n’étouffe pas le libre arbitre et le sens critique. Je retiendrai évidemment de cette après midi qu’il n’y a aucune discussion possible avec ce genre de personnes, mais ça, finalement, je le savais déjà. Pour l’anecdote amusante, je retiendrai également qu’il ne faut jamais hésiter, en de pareilles circonstances, à passer pour la pire des malpolies en décidant de fausser brutalement compagnie à des hôtes aussi attentionnés.
Je ne pense pas que Mireille se serait lâchée ainsi, de façon si évidente et finalement si maladroite, en essayant aussi ouvertement de me recruter, si je n’avais pas, au début, écouté son discours avec intérêt et posé des questions. Si d’emblée je m’étais montrée méfiante ou peu réceptive, elle aurait sûrement décidé d’appliquer une autre méthode avec moi. J’imagine qu’elle y serait allée plus lentement, qu’elle aurait étalé davantage le processus de « préparation » psychologique dans le temps. Mais là, elle s’est complètement dévoilée en l’espace d’une heure ou deux seulement. Elle a commis l’erreur de croire que j’étais réceptive, peut être en raison de mon intérêt pour le Japon, peut être trompée par celui pour le Bouddhisme et les philosophies orientales en général, et donc recrutable.
Le problème est que ces personnes n’ont pas le sentiment d’être en train de manipuler qui que ce soit. Elles sont intimement persuadées que ce qu’elles font, elles le font pour notre bien. Elles sont investies d’une mission, (en l’occurrence ici une mission divine trouvant son mode de réalisation dans la pratique d’un « art » japonais) et elles sont donc nées dans le but de l’accomplir. Elles ont eu
Lorsqu’on est amené, pour diverses raisons, à revoir régulièrement à l’avenir des personnes ainsi embrigadées, mais avec qui l’on avait auparavant sympathisé, il semble que l’on soit contraint de prendre définitivement ses distances, parce qu’il n’y a plus d’autre alternative possible. Refuser systématiquement toute éventuelle invitation future, toute sortie avec cette personne, si toutefois elle se manifeste à nouveau. On n’a plus le choix. On se trouve face à quelqu’un qui se croit détenteur de la vérité révélée, et quoi que l’on dise, quoi que l’on fasse, il est probable en effet que cette personne ne soit tellement prisonnière de son monde intérieur et de ses certitudes, qu’elle soit intimement persuadée que les réticences que l’on a montrées la première fois, voire même un départ brutal, ne sont qu’une étape normale à franchir dans le cheminement intérieur vers la révélation, que l’on atteindra forcément un jour ou l’autre. Grâce à elle.
Il est clair que les personnes qui entrent dans des sectes sans même se rendre compte dans quelle galère elles se sont embarquées ne le font pas du jour au lendemain. Elle le font au bout d’un certain temps, parfois un temps certain, parce qu’elles ont subi, sans s’en rendre compte, une longue et patiente préparation psychologique, faite de manipulation mentale subtile et d’un enseignement que l’on distille au compte goutte, bouchée après bouchée, afin de ne pas provoquer des questionnements embarrassants, des doutes...
Il faut donc préparer mentalement cette personne, en s’adaptant à son profil psychologique. Et surtout, toujours laisser entendre que rien n’est imposé, que l’on ne s’engage à rien, qu’on reste libre de faire ce qu’on veut, de partir quand on veut, et puis aussi, ne pas oublier d’éclater de rire en évoquant les stupides détracteurs du mouvement qui l’ont si ridiculement qualifié de secte ! On n’est pas dans une secte ! Quelle idée !
On parle aussi beaucoup dans les livres des privations de sommeil infligées, dans certaines sectes, aux adeptes (mais il faut donc déjà être adepte, et de plus résider sur place), qui ont bien entendu pour effet, par l’épuisement qu’elles provoquent, de réduire les capacités mentales de la personne, ses facultés de réflexion et son sens critique, rendant ainsi l’embrigadement définitif d’autant plus rapide et facile à mettre en place. Qui n’a jamais eu l’impression, après une belle insomnie, d’avoir la tête comme une pastèque et les idées embrouillées ?
Peut-être est-il possible, dans la théorie, de sortir d’une secte, mais après un tel lavage de cerveau, la réalité est que peu de gens parviennent à le faire. On ne peut le faire que s’il reste en soi un soupçon de sens critique, et la faculté de prendre du recul par rapport à soi-même et à ce qu’on vit au quotidien, de se rendre compte, soudain ou peu à peu, je ne sais pas, qu’on s’est complètement fait berner, qu’on s’est laissé persuader de la véracité de croyances fantaisistes imposées, ou encore que ce qu’on vit ne correspond finalement pas à ce que l’on est au plus profond de soi-même, et qu’on aspirait en réalité à autre chose. Cela ne peut se faire que si l’on prend au final la décision de partir, sans avoir le sentiment culpabilisateur de trahir la confiance de qui que ce soit, de commettre un acte répréhensible. Pour finir, même si l’entourage tente d’aiguiller la réflexion de la personne par une sorte de questionnement socratique, si toutefois il n’est pas déjà trop tard pour le faire, la prise de conscience doit venir de la personne elle-même. Sinon, toute tentative de ramener l’adepte à la raison sera vécue comme une persécution.
Le réveil doit être particulièrement douloureux. Il doit être difficile de recommencer à se faire confiance lorsqu’on s’est ainsi laissé, sans même s’en rendre compte, abuser, complètement manipuler, infantiliser, dominer, humilier… et que l’on n’était plus maître de soi-même ni de sa propre existence.
Qu’en est-il des personnes qui choisissent de rester ? On peut en effet arguer que si l’on n’y croit pas, c’est son problème mais que l’on n’a pas à juger les autres, ou que chacun fait ce qu’il veut, que si l’on a envie de croire en telle ou telle chose, même en les pires absurdités, on devrait pouvoir le faire sans que des donneurs de leçons crient au scandale et se croient autorisés à qualifier de ‘secte’ un mouvement quelconque, simplement parce que le mode de vie ou la pensée que l’on y pratique sont différents. Qu’on devrait pouvoir le faire sans que quelqu’un cherche systématiquement à nous sauver contre notre gré (raison pour laquelle les adeptes se coupent très souvent, et de façon définitive, de leur famille et de leurs anciens amis, parce qu’ils sentent chez eux une inquiétude et un questionnement qui leur sont insupportables.) Certes, s’il est triste que des personnes se soient laissé manipuler, on ne peut en effet les sauver contre leur gré, et chacun a, dans le principe, le droit de faire ce qu’il veut de son existence, penser ce qui lui plait… à partir du moment où il ne cherche pas à convertir les autres.
Si chacun est libre de faire ce qui lui plait, on devrait alors se demander pourquoi les adeptes sont obsédés par l’idée de recruter de nouveaux adeptes. Cette tâche de recruteur fait d’ailleurs partie de la mission des adeptes dans de nombreuses sectes, et plus ils parviennent à recruter, plus ils « montent en grade » dans le mouvement ou reçoivent de félicitations. Pourquoi tous les moyens psychologiques, y compris les pires, sont-ils mis en œuvre pour parvenir, à terme, à l’assujettissement de la personne aux croyances du groupe, puisqu’on est supposé être libre de croire ce qu’on veut, de faire ce qu’on veut ? Les sectes savent avancer des arguments lorsqu’il s’agit de se défendre, alors que les principes mêmes énoncés dans ces arguments ne sont jamais appliqués dans l’organisation de leur groupe.
Pourquoi un adepte convaincu de détenir
A partir de quand peut-on considérer qu’un groupe est, ou risque de devenir, sectaire ? Que penser par exemple d’un patron qui distribue à ses candidats un questionnaire d’embauche contenant des questions sur leur vie spirituelle, leur attitude face à la mort ou la magie, comme cela est arrivé un jour à une amie en quête d’un nouvel emploi ? Fait-il lui-même partie d’une secte ? Cherche-t-il « simplement » à s’inspirer des méthodes des sectes pour mieux dominer ses employés, ce qui est déjà en soi répréhensible ?
Certains pensent aussi à tord que seules les personnes peu instruites courent le risque de tomber dans une secte. Des personnes souvent très éduquées, qui ont suivi de longues études, se retrouvent elles aussi, un jour, embrigadées dans des sectes, et leur entourage ne les reconnait plus. Ces faire-valoir sont d’ailleurs ouvertement utilisés par les recruteurs comme de solides références pour mettre la personne visée en confiance. « Tu sais, on a de tout chez nous, des enseignants, des avocats, des médecins… »
Pour comprendre, il est important de se documenter, d’apprendre à repérer les techniques –car il s’agit bien de techniques- de manipulation mentale, afin de pouvoir les contrer le mieux possible lorsque quelqu’un tente insidieusement, subtilement, ou même maladroitement, de les mettre en place.
Nous ne sommes pas des oiseaux fragiles que l’on doit pouvoir enfermer dans des cages. D’ailleurs, l’oiseau en cage rêvera des nuages, comme dit le proverbe japonais…
On trouve bien entendu des informations sur Internet et de nombreux ouvrages sur la question dans les bibliothèques.
Pour commencer, on peut lire par exemple :
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