Démissions éducatives
La question des incivilités dans le monde éducatif est particulièrement complexe à traiter. Néanmoins, il semble illusoire de penser que les solutions récemment envisagées par le ministère soient adéquates. Par expérience, les meilleures réponses sont celles mises en oeuvre au sein des équipes éducatives. Elles nécessitent discernement, et travail dans la durée.
Permettez-moi, en tant que collègue, actuellement enseignant en université mais ayant exercé précédemment dans des lycées de banlieue, de réagir à la récente affaire d’Etampes (une enseignante d’arts appliqués poignardée par un élève) et aux réactions de la hiérarchie mises à notre connaissance, en particulier par la presse.
Ces réactions paraissent en effet d’un classicisme affligeant, et répondent au triptyque : « ne pas entendre, ne pas voir et surtout, ne pas parler ». Partout, dans tous les établissements scolaires, les enseignants sont confrontés à des problèmes éducatifs, à des dérapages verbaux, à des comportements provocateurs. Légers, graves, ou gravissimes (cas de celui d’Etampes).
Ceux-ci constituent une part du vécu habituel des enseignants, presque systématiquement occultée lors de leur formation initiale. Il existe, me semble-t-il, trois façons d’y faire face :
- Les nier : « Tout va très bien dans ma classe » ; « Ah ! vous avez des problèmes avec cet élève, vous. Moi non ! Il se comporte très correctement », ou encore « Oui, cet élève m’a posé quelques soucis, mais tout est rentré dans l’ordre ». Quelques variantes bien connues des salles des professeurs pourraient être ajoutées. Ceci génère un certain nombre d’effets en chaîne chez l’enseignant ayant osé exprimer le problème. Il se perçoit comme incompétent, sa pédagogie serait déficiente, puisque les autres ne sont pas confrontés à la même déstabilisation (tout du moins, le prétendent-ils...). Il vaudrait mieux pour sa réputation et pour la suite de sa carrière qu’il n’expose plus ses problèmes. Il entre alors dans une logique d’isolement., profondément destructrice, car les menaces sont doubles : celles pouvant survenir de la classe, celles résultant du regard des autres enseignants. À une autre échelle, le chef de l’établissement scolaire (école, collège, lycée voire du supérieur) peut agir de même, en acceptant ou non de reconnaître l’existence de difficultés. Son rôle est déterminant dans la confiance qu’il peut insuffler à une équipe.
- Déléguer à une autorité policière. Réponse pavlovienne du sarkozysme ambiant. À tout problème, une réponse sécuritaire, ou (et) une reconduite à la frontière... La présence policière, les permanences justice-police seraient censées rassurer dans les établissements scolaires... Il ne s’agit en fait, ni plus ni moins, que d’une sur-réaction destinée à donner l’impression d’une intervention ferme, sans évidemment résoudre le moindre problème de fond. Ceci exigerait de la patience et du sang-froid. À ce rythme, pourquoi ne pas installer des caméras vidéo dans les salles de classe ? Il est étonnant que personne n’y ait encore pensé. Quelques expériences seront probablement tentées dans certains établissements dits sensibles, lors du prochain problème, avant d’être généralisées. Au pas suivant, pourraient être mis au point des radars détecteurs de comportements déviants, avec sanction automatique à la sortie de l’établissement scolaire, ou pénalités sur les allocations familiales. Caricature ? À vérifier.
- Réagir en équipe éducative responsable, ceci nécessite d’être prêt à entendre les difficultés et à trouver des réponses collectives afin d’y faire face. J’entends déjà les ricanements : le dialogue, voilà bien une réponse typiquement soixante-huitarde ! Et pourtant, si l’on n’est pas décidé à enclencher un tel travail de cohérence éducative, si l’on n’est pas capable de discerner et de hiérarchiser les problèmes, si l’on n’est pas capable de les exprimer, mieux vaut trouver une autre occupation professionnelle. Travailler en équipe, cela signifie accepter que l’enseignant s’appuie sur ses collègues, puisse pour les plus jeunes recourir à l’expérience des plus anciens. Cela signifie que, lorsque surgit une difficulté (il y en aura toujours, de l’école maternelle à l’université, le nier revient à faire la politique de l’autruche et ne pas comprendre les mécanismes parfois chaotiques des relations éducatives), une réponse collective soit adoptée, susceptible de marquer des lignes, orange, voire rouges, aux élèves, avec des sanctions clairement établies. Ils saisissent ainsi les limites à ne pas franchir, perçoivent que « déraper » avec tel ou tel enseignant entraînera nécessairement une réponse de l’équipe éducative.
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