• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > Démissions éducatives

Démissions éducatives

La question des incivilités dans le monde éducatif est particulièrement complexe à traiter. Néanmoins, il semble illusoire de penser que les solutions récemment envisagées par le ministère soient adéquates. Par expérience, les meilleures réponses sont celles mises en oeuvre au sein des équipes éducatives. Elles nécessitent discernement, et travail dans la durée.

Permettez-moi, en tant que collègue, actuellement enseignant en université mais ayant exercé précédemment dans des lycées de banlieue, de réagir à la récente affaire d’Etampes (une enseignante d’arts appliqués poignardée par un élève) et aux réactions de la hiérarchie mises à notre connaissance, en particulier par la presse.

Ces réactions paraissent en effet d’un classicisme affligeant, et répondent au triptyque : « ne pas entendre, ne pas voir et surtout, ne pas parler ». Partout, dans tous les établissements scolaires, les enseignants sont confrontés à des problèmes éducatifs, à des dérapages verbaux, à des comportements provocateurs. Légers, graves, ou gravissimes (cas de celui d’Etampes).

Ceux-ci constituent une part du vécu habituel des enseignants, presque systématiquement occultée lors de leur formation initiale. Il existe, me semble-t-il, trois façons d’y faire face :

  1. Les nier : « Tout va très bien dans ma classe » ; « Ah ! vous avez des problèmes avec cet élève, vous. Moi non ! Il se comporte très correctement », ou encore « Oui, cet élève m’a posé quelques soucis, mais tout est rentré dans l’ordre ». Quelques variantes bien connues des salles des professeurs pourraient être ajoutées. Ceci génère un certain nombre d’effets en chaîne chez l’enseignant ayant osé exprimer le problème. Il se perçoit comme incompétent, sa pédagogie serait déficiente, puisque les autres ne sont pas confrontés à la même déstabilisation (tout du moins, le prétendent-ils...). Il vaudrait mieux pour sa réputation et pour la suite de sa carrière qu’il n’expose plus ses problèmes. Il entre alors dans une logique d’isolement., profondément destructrice, car les menaces sont doubles : celles pouvant survenir de la classe, celles résultant du regard des autres enseignants. À une autre échelle, le chef de l’établissement scolaire (école, collège, lycée voire du supérieur) peut agir de même, en acceptant ou non de reconnaître l’existence de difficultés. Son rôle est déterminant dans la confiance qu’il peut insuffler à une équipe.
  2. Déléguer à une autorité policière. Réponse pavlovienne du sarkozysme ambiant. À tout problème, une réponse sécuritaire, ou (et) une reconduite à la frontière... La présence policière, les permanences justice-police seraient censées rassurer dans les établissements scolaires... Il ne s’agit en fait, ni plus ni moins, que d’une sur-réaction destinée à donner l’impression d’une intervention ferme, sans évidemment résoudre le moindre problème de fond. Ceci exigerait de la patience et du sang-froid. À ce rythme, pourquoi ne pas installer des caméras vidéo dans les salles de classe ? Il est étonnant que personne n’y ait encore pensé. Quelques expériences seront probablement tentées dans certains établissements dits sensibles, lors du prochain problème, avant d’être généralisées. Au pas suivant, pourraient être mis au point des radars détecteurs de comportements déviants, avec sanction automatique à la sortie de l’établissement scolaire, ou pénalités sur les allocations familiales. Caricature ? À vérifier.

  3. Réagir en équipe éducative responsable, ceci nécessite d’être prêt à entendre les difficultés et à trouver des réponses collectives afin d’y faire face. J’entends déjà les ricanements : le dialogue, voilà bien une réponse typiquement soixante-huitarde ! Et pourtant, si l’on n’est pas décidé à enclencher un tel travail de cohérence éducative, si l’on n’est pas capable de discerner et de hiérarchiser les problèmes, si l’on n’est pas capable de les exprimer, mieux vaut trouver une autre occupation professionnelle. Travailler en équipe, cela signifie accepter que l’enseignant s’appuie sur ses collègues, puisse pour les plus jeunes recourir à l’expérience des plus anciens. Cela signifie que, lorsque surgit une difficulté (il y en aura toujours, de l’école maternelle à l’université, le nier revient à faire la politique de l’autruche et ne pas comprendre les mécanismes parfois chaotiques des relations éducatives), une réponse collective soit adoptée, susceptible de marquer des lignes, orange, voire rouges, aux élèves, avec des sanctions clairement établies. Ils saisissent ainsi les limites à ne pas franchir, perçoivent que « déraper » avec tel ou tel enseignant entraînera nécessairement une réponse de l’équipe éducative.
Voilà d’ailleurs probablement les mots qui heurtent : « équipe », « collectif ». Ces mots désuets semblent sortir tout droit du modèle soviétique. Et pourtant, permettez-moi de douter que l’individualisme enseignant, prétendument protégé par le regard policier, puisse s’ériger en solution éducative pertinente. Il ne fragilisera que davantage l’institution et les collègues dans leur travail quotidien, en les déresponsabilisant. Le courage, dans le cas de l’affaire d’Etampes, était du côté de l’enseignante, qui a osé exprimer les difficultés plutôt que de les nier, qui attendait une aide de la part de sa hiérarchie, proche ou lointaine. Quant aux démissions éducatives, vous trouverez aisément de quels côtés elles se situent.

Moyenne des avis sur cet article :  5/5   (7 votes)




Réagissez à l'article

10 réactions à cet article    


  • supéraleur (---.---.146.238) 31 décembre 2005 18:28

    « À ce rythme, pourquoi ne pas installer des caméras vidéo dans les salles de classe »

    En Grande-Bretagne (vu aux infos, « Big Brother is watching you »), ce mode de surveillance et de contôle des élèves est en train de se généraliser et « porte ses fruits au-delà de toutes les espérances.... !!! » (dixit le commentaire de la police anglaise). Bien que non-enseignant, je touve votre réaction pleine de bon sens concernant la concertation collective afin de résoudre les problèmes de violence posés à un professeur dans le cadre de sa fonction.


    • Philippe (---.---.93.175) 1er janvier 2006 12:11

      La 3eme solution n’est-elle pas celle qui est déjà préconisée ?


      • Un vieux serviteur de l’Etat français (---.---.162.122) 2 janvier 2006 06:00

        Il existe aussi un autre axe d’action tout aussi efficace, déjà présenté dans la « Tribune Libre » d’AgoraVox intitulé « Etude ou travail de la maternelle jusqu’au collège » du 26 décembre 2005 concernant les écoles incendiées.

        Bien cordialement et avec tous mes respects.

        Le vieux serviteur de l’Etat français et du droit ainsi que du devoir de chaque citoyen français d’être maître nécessairement collectif et partagé de tout le pays à travers la République française, de l’Europe et du monde à travers les organisations réellement démocratiques européennes et mondiales.


        • Scipion (---.---.37.85) 2 janvier 2006 09:55

          « La question des incivilités dans le monde éducatif est particulièrement complexe à traiter. »

          Cette complexité ressortit à l’origine elle-même des incivilités. A savoir, la disparition du respect à tous les échelons de la société.

          Personnellement, je ne souffre pas de l’irrespect que certains témoignent à Benoît XVI ou à Chirac, mais je demande à quel titre des enseignés devraient éprouver plus de respect pour leurs enseignants, que n’en ont les Guignols de l’Info envers le pape ou le président de la République ?

          Par ailleurs, l’expérience enseigne aussi qu’en matière de respect, on obtient infiniment plus avec une beigne ajustée en une fraction de seconde qu’avec trente minutes de dialogue ou trois jours de colloque.

          A ceux qui seraient tentés de riposter qu’on n’est plus au moyen âge, ou en Hitlérie - parce que leurs références sont aussi étriquées que leur savoir - je rétorque :

          - Et bien, démmerdez-vous donc avec votre « modernité », puisque vous y tenez tant. Et ne venez pas chialer à propos de ses conséquences aussi naturelles que prévisibles.


          • cultilandes (---.---.149.131) 2 janvier 2006 11:16

            Il faudrait dénouer la des enseignants et de leurs syndicats entre
            -  la sacro-sainte indépendance pédagogique de chaque professeur face à ses élèves et le discours du projet pédagogique,
            -  le corporatisme professoral, le refus de hiérarchie et le rejet de toute responsabilité vers la hiérarchie et le pouvoir politique,
            -  la responsabilisation des parents (ou des élèves) et leur victimisation,
            -  le réflexe sécuritaire ou anti-sécuritaire,
            -  le pédagogisme et l’efficacité... Votre exemple d’attitude en salle des professeurs indique bien cet état d’esprit : solidaires en paroles et en grèves, trop souvent individualistes repliés sur soi en pratique quotidienne.


            • Gil (---.---.93.79) 12 janvier 2006 11:27

              La transgression fait partie intégrante de la problèmatique adolescente. Elle a une fonction psychologique qui permet à l’ado de grandir, de s’affranchir... et de se responsabiliser. Il n’en est pas forcément très conscient, mais quand il transgresse, il fait directement appel à la Loi en tant qu’élément structurant de la personnalité, il recherche la limite. Pour lui, c’est fondamental. Ne pas lui répondre, c’est lui dire « tu ne m’intéresse pas », c’est l’abandonner. Sans réponse, sans limite perceptible, il sera toujours tenté d’aller la chercher plus loin, même si cette limite finit par arriver sous la forme... d’une privation de liberté (la prison).

              Est-on obligé d’atteindre de telles extrêmités avant de dire à notre jeunesse : « stop ! Parce-que je te respecte, je te transmets cette loi, ces règles de comportement, qui te signifient que tu rentres progressivement dans la communauté des hommes responsables et adultes ».

              Il y a eu, il faut bien le dire, une démission collective et pas seulement celle des chefs d’établissements scolaires, mais aussi celle des parents, des voisins, etc... une démission coupable dans la transmission de ce savoir. Aujourd’hui, on atteint des situations extrêmes auquelles on apporte des réponses extrêmes, collectives et généralisées : police, etc... Le monde des adultes a maintenant le devoir impératif de reprendre la main et de donner un signal fort à la jeunesse du pays : « non, je ne te laisserai pas faire n’importe quoi, ni contre la société, ni contre toi-même, parce que je crois en toi et que je souhaite que tu rejoigne la communauté de l’humanité ». Sans cette démarche de respect envers nos prochains, nos fils, ne nous étonnons pas de voir surgir délinquants et nazillons, paumés , sans valeurs et sans espoirs.


              • Paul Villach Paul Villach 24 janvier 2006 18:44

                Comme je voudrais, « cher collègue » croire à vos propositions de prise en charge collective ! J’y ai cru à une époque révolue où les salles de professeurs connaissaient un débat politique et syndical sérieux. Je relève aujourd’hui deux obstacles que je ne vois pas comment surmonter : 1- l’un est la rivalité et la surenchère infantiles des profs que vous analysez parfaitement : le plus bordelisé soutiendra qu’il n’a pas de problèmes et qu’il est plus proche des élèves que ses collègues. Les Commissions de remédiation (inventées pour ne pas réunir un conseil de discipline ! ) sont parfois de jolies pantalonnades où on se demande ce qu’on fait là, puisque, comme par enchantement, personne n’a plus rien à reprocher à l’élève transgresseur pour lequel on s’est pourtant réuni ! Ce sont sans doute des conduites de compensation ou d’exutoire , dues à la souffrance (souvent « inconsciente ») que secrète la soumission aveugle à l’autorité, imposée par une administration implacable, qu’on le veuille ou non. Faut bien essayer de faire croire qu’on existe ! 2- Le second obstacle est la politique d’une administration qui a pour priorité de vulnérabiliser les professeurs (Voyez mon article sur AGORAVOX) Que faire quand « l’élève dit en difficulté » est utilisé par un chef d’établissement comme indic ou provocateur pour tenter de troubler la classe d’un professeur ? Ne me dites pas que vous ignorez ce genre de scénario fréquent ! Le problème, en somme, est que les quatre partenaires de l’École (élèves - parents - professeurs - administration) ne poursuivent pas les mêmes objectifs ! « L’intérêt de l’élève », vous le savez, n’est souvent qu’un alibi ! Alors, l’École est devenue un tapis de billard à quatre bandes, où claquent les boules les unes contre les autres...pour en atteindre d’autres et servir ses intérêts d’abord ! Paul VILLACH


                • auguste (---.---.137.30) 9 février 2006 11:19

                  Il ne suffit pas de préconiser la concertation, il faut l’institutionnaliser : rien n’est possible si il n’y a pas un minimmun de consensus ; la définition de ce qui est acceptable ou non ne doit pas dépendre de la force physique ou psychique d’un professeur, et doit se traduire en règles pratiques ( conseils de professeurs non obligatoires (sauf pour le prof principal, le professeur « plaignant », et...ceux qui souhaitent donner leur avis, en partant du principe que les absents ont toujours tort).

                  Et les videos, pourquoi pas (avec ou sans le son selon le degré de gravité estimée par le professeur), elles serviraient de témoins, de bases à la concertation, mais sans plus : c’est quand on constate de la nervosité (attention à votre voiture, Scipion)et l’insolence de la part d’ enfants de parents alcooliques, oisifs (chômeurs), ou plus généralement démissionnaires, que peut commencer la discussion sur les sanctions à appliquer d’après l’opinion majoritaire. Mais nos pédagogues attendent pour agir que la société réapprenne le respect (quel que soit son état de délabrement économique ou culturel), les psys auront encore beaucoup de dépressions à soigner.


                  • Hélène Goldet (---.---.89.28) 24 mars 2006 10:33

                    Je ne suis pas enseignante, j’ai eu des enfants, sans jamais m’investir dans les associations de parents d’élève, faute de temps, un peu et assez convaincu par ailleurs que l’école n’avait pas besoin des parents pour régler ses problèmes et s’améliorer.

                    Vous avez raison, bien sûre. La plus part des activités professionnelles sont aujourd’hui assurées par des équipes, et travailler seul est généralement considéré comme une épreuve. On a tous besoin de sortir de son bureau pour aller discuter avec un collègue d’un dossier merdique, d’appeler un copain pour lui montrer un drôle de truc...Ne pas pouvoir le faire c’est une souffrance repérée comme telle par les ergonomes. Par un étrange renversement, les enseignants font de leur solitude sûrement douloureuse un rempart identitaire. Pourquoi ? Je l’ignore. Mais il est évident que tous ou presque compensent en entretenant avec leurs élèves des relations trop complexes pour des adolescents. En clair, il faut que les profs travaillent comme tout le monde. Ca aidera leurs élèves à devenir adultes.

                    Il y a une trentaine d’années, au lycée Bergson à Paris, l’expérience suivante a été menée pendant un an en classe de seconde : Les profs de la classe se réunissaient toutes les semaines pour déterminer l’emploi du temps. Chacun demandait les heures qui lui paraissaient nécessaire, groupées ou dégroupées, en conservant bien sûre la contrainte de respecter le nombre d’heure prévu pour chaque matière dans le trimestre. Résultat : baisse de l’absentéisme des profs et des élèves (on s’ennuie moins, et, pour les profs, on peut prendre quelques jours qu’on rattrapera) Les profs sont obligés de se réunir ensembles très régulièrement pour parler...de la classe. Bilan archi positif mais expérience abandonnée notamment parce que les parents d’élèves ont protesté parcequ’ils ne pouvaient plus surveiller les horaires des enfants. (On était à Paris)...

                    Bon courage

                    HG


                    • Marsupilami (---.---.168.42) 24 mars 2006 11:17

                      A la racine de tout cela, il y a avant tout la démission des adultes de plus en plus laxistes et irresponsables.

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès