Des petits pots pour son bébé
Ou de la marche d’une mère devant les portes closes de la solidarité.
Aujourd’hui, sur le pas de la porte de mon immeuble, une femme surgissant de l’anonymat du trottoir s’est accrochée à mon bras, visiblement paniquée. Elle m’explique rapidement qu’elle ne sait pas lire et qu’elle ne comprend pas ce qui est écrit sur la porte du secours catholique à quelques centaines de mètres.
Sur le trajet où je l’accompagne, malgré l’oreille engourdie par la neige et mon envie de rentrer rapidement au chaud, elle m’explique qu’elle vient de Reims, qu’elle a été éloignée de sa ville parce que son mari la battait, comprendre mesure d’éloignement décidé pour elle et ses deux enfants, et qu’elle vient d’arriver dans un petit appartement dans la banlieue d’à coté de Nancy en Lorraine. Elle est en manque de petits pots pour son bébé et a besoin d’aide.
Une fois devant le secours catholique, l’écriteau indique « fermé pendant les vacances », je lui lis et elle s’effondre en larmes. Elle m’explique que chez Coluche c’est fermé et que son assistante sociale est en vacances. L’association d’aide aux femmes battues de Reims est bien loin pour l’aider, son avocate aussi depuis que son dossier est plaidé, et elle est là, seule avec un inconnu, planté dans le froid devant cette porte close et la conscience oppressante qu’il lui faut des pots pour son bébé.
Nous allons jusqu’à l’annexe de la mairie de quartier, où j’espère qu’elle trouvera de quoi pallier a l’urgence de sa situation. Si vous vous demandez pourquoi je n’ai pas simplement sortie quelques euros, ou ne l’ai renvoyé a son anonymat, c’est simple, je suis rmiste, je ne les ai pas après le 10 du mois.
J’ai bien appris à ne pas donner ce que je n’ai pas, et aussi appris à repérer ceux que la précarité pousse à mentir pour obtenir quelques euros, et aucun de mes radars à arnaqueur mu par l’indigence n’a sonné ses alarmes devant la consternante franchise de cette femme désemparée.
Et je vous prie de croire qu’avec une vie en banlieue, mon premier réflexe est de ne jamais prendre ce que l’on me dit comme vrai, la norme c’est de commencer par chercher où est l’arnaque.
Mais une fois rendu à la Mairie, la sacro sainte solidarité féminine se résume par une employée qui explique à cette détresse qu’il ne lui reste qu’à rentrer chez elle, et d’attendre que les services dont elle a besoin ré ouvrent. Rien d’autre.
Je lui demande si je peux passer un coup de fil à un ami, plaisantant à moitié sur ce n’est pas mon dernier mot Jean-Pierre. Un ami engagé dans la vie associative solidaire, au cas où une porte quelque part dans ma ville puisse s’ouvrir de manière urgemment utile. Même résultat, lui aussi est en vacances et son portable ne répond pas.
Il y a des jours comme ça, où la violence du fonctionnement de la société toute entière semble s’acharner sur l’unicité du destin d’une mère.
On réfléchira sur l’ensemble des intervenants dans la gestion de son drame qui ont justifié leurs salaires, légitimé leur combat contre la violence conjugale, appelé au dons, et même chanté à la télévision, et dont la résultante collective dans leur gestion disparate et sans concertation lui à fait faire chaque pas dans la grisaille nancéenne vers d’inexorables portes closes.
Chacune de ses foulées laissait dans la neige la trace d’une obstination souveraine, nourrir son bébé. Il est hors de question qu’elle rentre m’explique-t-elle, "j’ai peur de faire une connerie si je rentre sans rien devant avec ses enfants".
Chacune de ses foulées effaçaient aussi, brûlé par ma colère que je gardais loin d’une expression sur mon visage, loin de sa vue d’ancienne femme battue, le sens du mot solidarité du fronton de ma mairie de quartier.
J’ai maudit l’incapacité de cette multitude d’intervenants, cette absence de suivi pragmatique de leurs dossiers, et de constater au travers de cette femme qui leur a fait confiance pour sortir de la violence des coups d’un mari, bien obligée de les croire sur parole faute de savoir lire.
A elle qui a remis son destin et celui de ses enfants à la solidarité organisée à la française, et qui finalement la mène concrètement à ce qu’on lui inflige la violence de n’être qu’un dossier négligé.
Eloignée de sa ville natale, seule avec sa charge d’enfants qui ont faim maintenant, leur estomac n’étant pas encore synchronisé à la lenteur administrative, et finalement obligée de s’en remettre au premier inconnu dans la rue d’une ville qu’elle ne connait pas.
Inconnu qui, et je digresse sur ma personne pour vous permettre de mesurer la subjectivité de mon témoignage et l’ampleur de l’incompétence avec laquelle elle a été conduite.
Avec ma gueule de bagnard mal rasé, j’inspire naturellement une violence dont on préfère spontanément et légitimement s’éloigner. En situation moins extrême elle se serait tournée vers n’importe qui sauf ce à quoi je ressemble. Et le sens même de sa démarche démontre bien qu’elle n’est pas attirée par la violence masculine ni dans une tentation victimaire.
En toute circonstance, amener une situation de femme illettrée et battue rennoise à livrer la survie de sa famille au premier passant nancéen n’est pas une méthode admissible de gestion des drames liés a la criminalité dans une société qui prétend à être civilisée.
Et seule l’impasse dans laquelle l’ensemble des promesses qu’on lui a faite et les garanties qu’on lui a donné l’ont amenée à ça.
L’issue à son urgence, nous l’avons finalement trouvée chez la pharmacienne de mon quartier, qui me connaissant a minima comme honnête homme au delà de l’apparence, m’a cru si rapidement que j’ai loué la grâce d’une formation médicale ancrée dans un cœur capable de réagir de manière extra ordinaire à une situation extraordinaire.
Elle a pris des petits pots, des compléments vitaminés, des couches, deux biberons, du lait, de quoi soulager le rhum naissant qu’elle a diagnostiqué dans la foulée, puis demandé le regard complice la promesse convenue que cela reste entre nous.
En partant, du coin du regard, j’ai vu ma pharmacienne mettre de sa poche a sa caisse ce qu’elle ne voulait pas que la mère en détresse voit, l’argent qu’à aucun moment elle n’a demandé. Elle voulait juste de l’aide, pour des petits pots, pour son bébé, en février pendant les congés.
A Nancy, en Lorraine, 16 février 2009, début de l’année du plein fouet de la crise selon les spécialistes.
amicalement, Barbouse.
15 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON