Deux Français sur trois pour ou contre ?
Les troubles actuels autour de projet de loi El Khomri sont une démonstration de plus de la difficulté d’entreprendre des réformes en France.
Est-ce le fruit d’un défaut de contenu dans le projet, d’explication, de méthode ? Pourquoi une telle incapacité chronique à mettre en œuvre des politiques, que l’on soit de droite comme de gauche ? Y aurait-il une impossibilité à reformer en France ?
Écoutons donc ce que disait en 1973, Pierre Mendès France, en réponse à la question posée par Jacques Chancel sur l’incapacité d’un homme politique au pouvoir à avoir le temps de la réflexion : « C’est pourquoi il doit toujours travailler quand il n’est pas au pouvoir. Il doit arriver au pouvoir préparé. Dire : « Eh bien quand j’y serai, je verrai. Il sera toujours temps de décider. Il sera toujours temps de déterminer. » Cela, c’est une erreur. » Et un peu avant, il avait dit : « Il faut que l’homme qui a des responsabilités politiques ne néglige jamais de réfléchir profondément aux problèmes qu’il a à traiter, avec le concours de ceux, s’il ne les connaît pas suffisamment, de ceux qui les connaissent ou les ont approfondis plus que lui. La conciliation de la science, de la connaissance des choses, de l’approfondissement des problèmes d’une part, et de la volonté de réaliser d’autre part, c’est cela en définitive la responsabilité de l’homme politique. »
Voilà l’erreur commune à tous nos politiques : ne pas avoir compris que, si un cap n’a pas été fixé à l’avance, s’il n’arrive au pouvoir qu’avec seulement une vision théorique de ce qu’il veut faire, s’il n’a pas pris le temps d’élaborer avant un plan d’actions cohérent, il n’a aucune chance de calculer un azimut quelconque. Ballotté par les évènements, un coup à gauche, un coup à droite, rapidement il n’est plus que le jouet de ce qui advient, incapable d’entreprendre une réelle transformation.
La présidence de Nicolas Sarkozy a largement souffert de cette impréparation concrète, celle de François Hollande en est une caricature.
Tourné dans les ors du Palais de l’Élysée, entre mai 2012 et janvier 2013, le film de Patrick Rotman, le Pouvoir, est une mise en abyme de l’improvisation et l’amateurisme des équipes élyséennes et du Président. C’est flagrant tout au long du film, et d’autant plus que ce n’est pas intentionnel : on sent bien que Patrick Rotman ne se veut ni juge, ni accusateur. Il se contente de filmer ce qu’il voit, et nous faire entendre ce qui est dit.
Et voilà le Président qui avoue : « Je ne pensais pas que la situation de la France était si grave ». Mais sur quelle planète avait-t-il vécu ces dernières années ? Est-ce que la rue de Solferino l’avait à ce point isolé de la réalité de son propre pays ? N’avait-il donc rencontré aucun Français pendant sa campagne, aucun dirigeant d’entreprise, aucun économiste ? N’avait-il jamais quitté l’hexagone ? Shanghai, Singapour, Bangalore, ou Palo Alto n’étaient-elles pour lui que des points théoriques sur une mappemonde ?
Un peu plus loin, son Secrétaire Général, Pierre-René Lemas, lui indique qu’il va falloir faire des économies dans la dépense publique, mais que cela ne sera pas facile. Sic ! Et François Hollande de compléter : « Cela comprend aussi les dépenses des collectivités locales et les dépenses sociales, n’est-ce pas ? ». Oui, bravo, remarque pertinente et exacte. A l’oral de l’ENA que vous avez jadis brillamment intégrée, vous auriez la note maximale. Simplement, Monsieur François Hollande, vous n’êtes plus un étudiant mais le Président de la France. A ce titre, vous êtes sensé avoir un projet. Mais cet échange montre que ni lui, ni Lemas n’avaient réfléchi avant à ce qu’il faudrait faire.
Résumons : les deux premiers dirigeants du pays – car dans le fonctionnement de la 5ème République, le Secrétaire général de l’Élysée dispose de pouvoirs considérables –, découvrent la réalité en marchant, et improvisent au gré de leurs imaginations. Ainsi François Hollande n’avait aucune idée de ce qu’il ferait, si jamais il était élu. Son seul projet était de l’être. L’élection comme but, et non pas comme moyen… ainsi que ses prédécesseurs.
Ce « retard à l’allumage » n’a jamais été rattrapé, et trois ans plus tard, l’improvisation est toujours là. Preuve la succession récente des mouvements chaotiques autour de la perte de nationalité ou le projet de loi El Khomri. Décidemment Pierre Mendès France a raison : il est indispensable d’arriver préparé au pouvoir.
Alors messieurs les candidats pour 2017, merci de vous intéresser dès à présent au comment et réfléchir à l’avance à ce que vous voulez faire. Sortez du « D’abord l’élection, ensuite l’action. », et du « Construisons un programme pour être élu, pour le reste on verra après ». Surtout ne croyez pas que l’intendance suit toujours !
Imaginez un candidat à la reprise d’une entreprise qui se contenterait de dire : « Faites-moi confiance : en trois ans, je doublerai le chiffre d’affaires, diviserai par deux les coûts tout en relançant l’emploi et l’innovation, et atteindrai une marge opérationnelle de plus de 40 %. Comment, me demandez-vous ? On verra bien ! ».
Messieurs les candidats, comprenez que les citoyens ne vous croient plus et ne vont plus vous signer des chèques en blanc. Lisez les sondages qui, tous, montrent combien peu nombreux sont ceux qui vous suivent encore.
Fut un temps, Valery Giscard d’Estaing rêvait de voir deux Français sur trois le suivre. Aujourd’hui vous avez réussi le tour de force que ce sont plus de deux sur trois qui vous rejettent !
Voilà un des enjeux des mois qui nous séparent de mai 2017 : enclencher et cristalliser au plus vite le réveil citoyen autour d’un homme ou une femme qui aura compris que le comment compte autant que le quoi. Sinon deux Français sur trois resteront contre, et rien ne sera possible...
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