Devise : es-tu toujours la plus belle ?
Liberté, égalité, fraternité...
Cela n'est peut-être pas le moment le mieux choisi pour parler de ces mots-là, pour essayer de savoir ce qu'ils cachent, alors qu'ils deviennent un roc sur lequel s'appuyer, une bouée à laquelle se raccrocher.
Peut-être, oui, vaudrait-il mieux les laisser en l'état. L'état où personne ne sait ce que cela veut dire à moins d'y mettre sa propre définition, non formulée, le plus souvent.
Et pourtant !
La liberté : peu de renseignements sur elle, donnés à l'école ; pas de définition universelle.
À part qu'elle s'arrête ou une autre commence ! Ce qui tout de même empêche l'interprétation du « toujours plus » !
On naît libre ; oui, de quoi ?
De vivre dignement, d'agir à sa guise, de s'exprimer, y compris des opinions contraires aux opinions majoritaires. Libres aussi de voyager, de déménager, d'avoir des enfants. Oui.
Être libre, est-ce pouvoir ce que l'on veut ?
Cette liberté ne semble pourtant accessible qu'à un petit nombre inscrit dans la mouvance du temps, dans les valeurs en vogue ; sinon les entraves, qui ne sont pas forcément légales, sont pourtant bien réelles.
Au moyen-âge, libre veut dire « qui n'appartient qu'à soi, qui n'est soumis à aucune autorité ».
Vous me direz, nous ne sommes plus au Moyen-âge ; donc ne nous arrêtons pas sur cette définition qui évoque plus l'anarchisme que le système oligarchique que l'on subit actuellement.
Un peu plus tard ; « qui n'appartient à aucun maître ». Contentons-nous donc de ne plus être des esclaves matériellement achetés par un maître.
Très vite, dès le XVIe siècle, le mot évolue vers « qui n'éprouve pas de gêne » et puis « non prisonnier, non captif ». ces deux définitions côte à côte aujourd'hui peuvent prêter à sourire !
Mais au siècle de Montaigne, un nouveau sens philosophique se fait jour :
« Qui a le pouvoir de se déterminer » englobant son acceptation politique, pour un peuple par exemple.
Cela nous amène à la démocratie première mouture.
Et aussi : « une personne qui n'est pas soumise à des entraves de la part des autorités ».
Il faut attendre le XIXe siècle pour aborder d'autres sphères de la liberté ; aussi est-on en droit de se demander si, au tout début de ce même siècle, naître libre ne voulait pas seulement dire : n'être ni esclave ni serf.
En effet, après la révolution, avec une acceptation politique, le mot s'étend à de nouveaux objets : économiques, juridiques, syndicaux.
Il est à noter qu'à l'heure actuelle, l'enseignement libre est privé, et les radios libres de François Mitterrand ne sont pas restées longtemps politiques, écologiques ou farfelues : elles sont devenues les propriétés de sponsors.
Ne faut-il donc pas se méfier de ce mot à l'ère du capitalisme ultra libéral ?
À noter que « libéralité », ne peut se dire que d'un supérieur à un inférieur dans son sens de « disposition à donner ».( Littré)
Quant à la vie de tous les jours des hommes libres, elle ne donne pas le confort et l'aise qu'on espérerait y trouver.
Reich a très bien parlé de ce problème : l'homme libre, c'est-à-dire vivant, dans le jargon psychanalytique ( sans carapace ni complexe ni névrose), l'homme qui a mené au bout son processus d'individuation, dans le jargon de Jung, vit le déni, le rejet, l'exclusion ( car la liberté ne se plie guère au mimétisme, à l'acceptation consensuelle des valeurs imposées).
Bien sûr, ne confondons pas cet homme véritablement libre aux nantis et penseurs de tout poil qui sévissent sur nos ondes et dans nos journaux ; ni bien entendu aux stars dont la liberté ne réside que dans le pouvoir de l'argent.
La liberté aujourd'hui, j'en fais le pari, est liée au pouvoir de l'argent.
Oui, gare ! Gare à mettre un sens sous les mots, un sens commun, va sans dire.
Il ne nous reste plus qu'à savoir si la servitude décrite gentiment comme volontaire, est une servitude et si l'exploitation d'un salariat précarisé, très vaguement assisté, et payé un euro de l'heure est de l'esclavage.
Égalité.
Reprenons le même chemin :
Au XVIIe siècle, le mot s'emploie pour désigner le fait, pour des humains, d'avoir les mêmes droits, d'être de conditions égales.
Mon dictionnaire préféré s'arrête là !
Quand on voit ça ! On a envie de se taper sur les cuisses de rire !
On est tous bien d'accord qu'il ne s'agit pas d'égalité de taille, de poids, de milieu culturel, de richesse, de santé, de longévité, de capacités, de lieu de naissance, de sexe, d'époque, de talents... ( vous remarquerez que je n'ai parlé ni d'intelligence ni de beauté, étant intimement convaincue que c'est question de mode, de goût, et d'objet d'application).
Alors nous sommes égaux en droits. Est-ce si simple ?
Le droit d'aller à l'école ?
Non, l'école est un devoir puisqu'elle est obligatoire.
Qu'est-ce que le droit ?
Du latin « directum »
VIe siècle : justice, application de la loi ; verbum directum : parole juste, principe d'équité, la justice.
VIIIe siècle : règles, ensemble des lois ;
Donc, premier sens : sens moral, de justice et principes moraux, qui doit régir les lois et les coutumes d'un peuple.
Dès le XIe siècle, il est employé couramment au singulier comme au pluriel à propos de ce qui est permis ou exigible selon les principes d'une morale, ou selon la législation.
Dès 1774, au sens « comptable » le mot entre dans de nombreux syntagmes dont : les droits de l'homme, avoir le droit de...avant la Révolution donc .
Nous sommes aujourd'hui bien au-delà de ce dernier sens restrictif avec notre « droit à l'enfant », notre « droit à une mort digne », notre droit ou non droit d'ingérence,etc.
Du sens premier ( qui n'est gardé que dans l'expression « faire son droit », pour l'étude du droit ) , il ne reste plus grand chose ; car ce droit-là me fait furieusement penser à « devoir moral », devoir d'un comportement décent !
Une des premières choses que disent les gosses c'est : « j'ai bien le droit ».
Rendus à l'individualisme, il ne nous reste qu' un « dû ».
Pas de quoi rêver !
Donc nous n'avons pas tous les droits mais il ne nous reste que ce que « l'on nous doit ».
On nous doit donc à tous la même chose- sûrement quantifiable- mais personne ne dit qui est « on » ni le contenu de ce qu'il nous doit..
L'égalité des chances ?
Du latin « cadentia » : tomber ( nous reste « choir » de la même origine)
Puis « hasard », bon ou mauvais.
Jusqu'à nouvelle édition agréée par l'Académie, nous en sommes là :
nous sommes égaux devant le hasard. Bravo ! Cela nous avance fort dans l'élaboration d'une société.
La foudre tombe où elle veut, peut-être sur vous.
Lle chanceux réussit ; le malchanceux se ramasse !
Oui, c'est plus complexe, je sais : la chance sourit aux audacieux, j'ajouterais aux confiants en eux. Et la chimie de ces deux composantes n'est pas simple à dire en trois phrases, et peut-être impossible à définir, tout court. Il y a des ingrédients connus tout de même : amour non névrotique de la mère, soutien du père , classe privilégiée culturellement ( quelle que soit la culture ; une culture populaire solide est aussi favorable que n'importe quelle autre)...
Et si c'est toujours vrai ( je veux dire : de toute éternité !), est-il nécessaire de le poser comme principe ?
En réalité l'égalité des chances veut dire tout bêtement que si nous sommes tous placés dans des starting blocks, personne, en principe, ne nous empêche d'arriver premier. Sachant que seulement trois auront une place sur le podium ( travail, argent,etc.), on ne peut qu'applaudir à ce sommaire présupposé !
Peut-être que l'égalité dont il est question me crève les yeux et que je ne la vois pas !
Il n'en manquera pas, dans ce cas, pour m'éclairer.
On peut dire juste un mot des « classes défavorisées » :
De « faveur » : de qui avons-nous la faveur si ce n'est d'une femme – si on est un homme-, d'un seigneur d'un monarque ou d'un dieu ?
Je vous le demande.
Fraternité.
Avant de reprendre le chemin du passé, j'ai deux mots à dire sur ce mot magnifique.
Il évoque des groupes d'hommes et de femmes en lutte, qui établissent entre eux des liens fraternels. Ces liens ne peuvent se tisser que dans l'action, dans le courage et l'héroïsme : la force du groupe qui encourage ! Des liens devenus « familiaux » qui dépassent l'amitié puisque l'expérience les a soudés et que chacun y restera fidèle jusqu'à son dernier jour.
Extrêmement exigeante la fraternité. C'est sans doute pour cette raison qu'elle est peu nommée ou tant édulcorée.
De :
(1140 : fraternited, emprunt au latin classique fraternitas : relations entre frères, entre peuples » ;
en bas latin : entre chrétiens.
Ainsi, à moins d'être tous croyant en un même et seul Dieu, Père tout-puissant, comment imaginer une fraternité universelle, une fraternité qui englobe tous les humains ?
Aujourd'hui, rarement employé comme terme de parenté ( fratrie semble plus approprié).
Dans son premier sens : « lien entre des personnes se considérant comme appartenant à la famille humaine », cela suggère une conscience d'espèce dont on peut se demander si elle a jamais existé.
Ainsi donc, dans l'acceptation de son sens le plus large, nous sommes aussi le frère de son tyran ( à condition qu'il soit de la même confession).
Ce n'est guère envisageable.
Si nous sommes dans une réalité sociale de classes , chaque classe possède le potentiel de la fraternité ; chaque enclos ésotérique, politique, religieux..( confrérie).
Qu'en est-il aujourd'hui ?
De fraternité, on glisse naturellement vers la solidarité.
Chaque jour, et plusieurs fois par jour, dans les médias, dans les discours politiques et dans les chaumières, on la nomme.
On peut la regarder d'un peu plus près, voulez-vous ?
Plus que la fraternité, la solidarité implique une conscience de classe, d'union entre différents protagonistes d'une même réalité ; elle implique aussi, et plus que la fraternité, une action, un engagement... contre.
Une défense donc.
Contre le pouvoir, l'abus de pouvoir, l'injustice ( ce qui revient au même).
Or, dans notre société contemporaine, et dans tous les pays capitalistes à tendance ultra libérale, on met en place des structures, dans le travail de manière flagrante, mais dans l'habitat, à l'école... qui empêchent la solidarité.
Je n'ai pas le besoin de m'étendre, je suppose que tout le monde le sait.
Cela n'empêche ; on nous exhorte à être solidaires, sous-entendu : vous seriez coupables d'indifférence, d'égoïsme si vous ne vous y livreriez pas !
Question : suis-je solidaire d'une victime, quelle qu'elle soit ?
Réponse : non.
Je ne peux ressentir dans ce cas que de la compassion. Inutile, il est vrai.
Solidaire :
« se dit de personnes liées par une responsabilité et des intérêts communs »
« la solidarité...pour le fait d'être solidaires et de s'entraider . Cette valeur révolutionnaire, théorisée au début du XXe siècle ( cf. solidarisme) est devenu dans le vocabulaire sociopolitique un substitut prudent à « égalité » sur le plan économique, d'où ' impôt de solidarité '. »
Je ne peux être solidaire d'une lutte, si je n'y suis pas impliquée moi-même ; je ne vois guère la possibilité de m'imposer dans la lutte légitime de quelles que revendications que ce soit ; en tant que militante, je peux juste soutenir, et, en nombre, aider à un règlement politique du problème.
La solidarité ne peut pas – à moins d'en avertir l'Académie !- traverser les strates de la société.
( Ne croyez pas que je sois respectueuse à ce point de l'Académie, mais il me semble tout de même que les mots doivent avoir le même sens pour tout le monde sous peine de faire régner une confusion dommageable.)
Ainsi il semble convenu que la classe dominante, consciente des injustices qu'elle engendre, ordonne et impose la « solidarité » pour tous ses administrés !
La solidarité aujourd'hui me paraît plus être une aumône obligée qui crée ou envenime la jalousie et la haine du bas de l'échelle qui aide vis à vis du haut de l'échelle qui est aidée, qu'un réel élan engagé.
Merveilleux outil que cette solidarité qui désolidarise !
Non ! Ça suffit l'hypocrisie !
La fraternité ni la solidarité ne se commande !
Chacune d'elle est une création spontanée, donc, sincère. C'est ce qui en fait la beauté.
Sinon, il faut changer de mot.
Mais nous avons peur des mots, ces mots sur lesquels nous avons fondé toutes nos valeurs !
Nous gardons les mots- qui sonnent joliment- et nous changeons les valeurs.
Compliquant à souhait tout ce qui nous guide, nous ne pouvons qu'errer.
(« Aller de côté et d'autre », d'où « se tromper ».)
L'errance et l'erreur ont la même origine.
(Toutes les définitions sont tirées du Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, sous la direction d'Alain Rey.)
La devise de la première République était :
Liberté, fraternité, ou la mort.
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