Dominique l’insubmersible
Lorsque ce lundi 16 mai, la juge Melissa Carow Jackson du tribunal de New York, finit d’énumérer les sept chefs d'accusation, rejette la mise en liberté sous caution et décide du maintien en détention provisoire à la prison de Rikers Island, tout un monde s’écroule sur un illustre personnage. Le Procureur de Manhattan, Cyrus Vance Jr., assure disposer d’un dossier solide contre la plus grosse prise de sa carrière. Le monde retient son souffle. Il va y avoir des révélations terribles sur l’infâme prédateur sexuel qui aurait sévi même en France et en Afrique. Aux quatre coins de la planète on amoncelle des pierres dans l’imminence d’une lapidation sans état d’âme. Il ne reste qu’une infime minorité de gens accrochés au principe de la « présomption d’innocence »… A juste titre. En effet, quelle que fût la légitimité de l’émotion qu’elle avait suscitée, l’affaire du Sofitel de New York n’aurait jamais dû échapper à ce principe élémentaire commun à tout Etat de droit.
L’accusé est à la fois un brillant économiste et un remarquable homme politique à la tête d’une prestigieuse institution financière. En ce moment-là, son enviable carrière ne peut plus être sauvée. Elle va finir inexorablement dans un crash judiciaire. Mais quoi qu’il arrive, sa condition matérielle sera toujours préférable à celle de sa présumée « victime ». On veille donc à ne pas occulter le sort de cette modeste femme africaine qui s’est retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment. Sa malheureuse vie d’immigrée et les petits secrets qui l’entourent vont être étalés sur la place publique par l’implacable tempête médiatique et judiciaire que son accusation vient de soulever.
Quant à l’homme politique, tout le monde – ou presque - s’accorde à dire, à ce moment-là comme aujourd’hui encore, qu’il est fini. Ici aussi on est une infime minorité à croire qu’un homme politique n’est jamais mort que physiquement mort. Encore que… Même physiquement mort, l’ombre d’un poids lourd politique continue de planer sur la mémoire collective durant plusieurs générations de suite. On sait, par exemple, que l’architecture institutionnelle de la Vème République est l’œuvre du Général de Gaulle et qu’elle tiendra encore longtemps. Avant cette consécration pour la postérité, l’Homme a surmonté d’innombrables épreuves et survécu à au moins une vingtaine de tentatives d’assassinat qui n’ont pas atteint son flegme !
Le parallèle est assez osé, je le concède, mais il y a indiscutablement quelque chose de commun aux hommes politiques lorsqu’ils ont franchi un certain cap pour basculer dans la catégorie de « monuments ». Ils ont pris des coups et enduré de terribles épreuves dont le commun des mortels ne se serait jamais relevé. Ils y ont survécu et, vivants ou morts, leur ombre plane sur la vie politique du pays.
Dominique Strauss-Kahn, qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, est de cette trempe-là. Ceux qui s’attendaient à ce qu’il s’effondre au cours de la walk of shame (marche de la honte) ou qu’il rende les armes face à la stratégie du bluff concoctée par le Procureur Vance, ont vite compris qu’ils s’étaient trompés de personnage. Car ce n’était pas la première fois que DSK se retrouvait au milieu de la tempête. Et, comme par hasard, chaque fois, tout se terminait par un « happy end ».
Lorsqu’en 1998 éclate l’affaire de la Mnef, un certain Dominique Strauss-Kahn est ministre de l’économie et des finances dans le gouvernement Jospin. La Mutuelle nationale des étudiants de France – Mnef - est accusée par la justice d'avoir mis en place un système d'enrichissement personnel et d'emplois fictifs profitant, en partie, à des personnalités du Parti socialiste. Dominique Strauss-Kahn est rattrapé du fait de son activité d’avocat d’affaires. Il est accusé de « faux et usage de faux » pour avoir produit des justificatifs d'honoraires antidatés, ce qui le contraint à démissionner du gouvernement Jospin. Il est finalement relaxé en 2001.
Mais avant même l’heureuse issue de l’affaire de la Mnef, Dominique Strauss-Kahn est rattrapé par une autre affaire, l’affaire de la cassette Méry. L’homme d’affaire Jean-Claude Méry, décédé en 1999, avait enregistré une vidéo trois ans auparavant dans laquelle il avouait avoir orchestré un système de financement occulte du RPR, l’ancêtre de l’UMP. L’originale de la cassette avait été remise à DSK soupçonné par ailleurs de trafic d’influence. Il avait reconnu avoir détenu la fameuse cassette, mais n'en avait jamais regardé le contenu et ne savait plus où elle se trouvait. Finalement, ses ennuis étaient restés au stade de simples soupçons. Pas de mise en examen.
Ce qui n’a pas été le cas de l’affaire Elf dont les ramifications avaient fini par atteindre le même Dominique Strauss-Kahn, soupçonné d'avoir fait prendre en charge une partie des rémunérations d'une de ses secrétaires par une filiale du groupe pétrolier. Il rencontra, dans le cadre de cette affaire, une certaine Eva Joly, juge d’instruction au Pôle financier de Paris. La rencontre fut mémorable puisque pour l’anecdote, en août 2010, la candidate EELV dira du « favori des sondages » : « DSK, je le connais bien, je l'ai mis en examen ». Une mise en examen qui se termina par un non-lieu en 2001.
Au sein même du FMI, Dominique Strauss-Kahn avait, en 2008, provoqué une tempête d’avertissement pour sa liaison avec une certaine Piroska Nagy, économiste hongroise, mariée, mais qui avait succombé aux charmes du célèbre « homme à femmes » et non de son supérieur hiérarchique au FMI, une nuance qui a eu toute son importance. L’affaire s’était soldée par des excuses publiques. Rien à voir avec l’affaire du Sofitel. Cette fois-ci, l’accusation avait du lourd ! Un autre aurait choisi de négocier une peine aménagée en plaidant coupable. Mais à quoi cela aurait servi puisqu’il encourait plus de 70 ans de prison. Un aménagement de peine, même particulièrement généreux, n’aurait pas permis d’écourter son séjour sous les verrous en-deçà d’une dizaine d’années.
Connaissant mieux que quiconque l’insondable vérité de ce qui s’était passé dans la suite 2806, il a pris appui sur sa stoïque épouse Anne Saint-Claire et son imperturbable avocat Benjamin Brafman pour montrer à un monde incrédule que la bataille vaut toujours la peine d’être menée lorsque subsiste une chance, même infime, de l’emporter. C’est aussi la particularité des « monuments » politiques. Même lorsque toute la France a rendu les armes, ils restent au combat. On connait la suite.
L’accusation s’est fissurée avant de sombrer comme un Titanic. L’insubmersible éléphant est revenu dans sa douce France, la tête haute, et, comme les phares d’une voiture, a repoussé dans la pénombre de la discrétion tous ceux qui avaient rivalisé de « courage » en piétinant un homme à terre.
Comme pour se rattraper, quelques irréductibles malins se sont cru bien inspirés en fouillant dans les poubelles pour sortir cette sordide affaire du Carlton de Lille et lui coller dans le dos l’effigie d’un ténébreux personnage. Aux dernières nouvelles, on apprend que le fameux Dodo La Saumure ne risque finalement pas grand-chose devant la justice. Tout ça pour ça ! Mais pour Dominique Strauss-Kahn, il y a longtemps que l’affaire avait fait pschitt ! Même pas une mise en examen. Pschitt aussi l’affaire Tristane Banon… La pauvre.
Une dernière polémique de désespoir, en novembre, lui prêtant de vouloir s’exiler à Tel-Aviv pour fuir… quoi ? Il n’y a plus rien à fuir. Donc, re-pschitt ! DSK est bien là. Et il a eu l’occasion de le démontrer en se faisant inviter à Pékin où il a prononcé un remarquable discours sur la crise et l’euro le 19 décembre 2011. Il interviendra à nouveau fin janvier début février à Bruxelles à l’invitation de l’association U 40[1].
Maintenant que ses ennemis se sont cassé la figure, il a en plus compris le mystère révélé par le très sérieux journaliste américain Edward Jay Epstein. Deux guignols s’étaient livrés à une danse de joie alors que le pronostiqué Président de la République se faisait passer les menottes. Il peut à nouveau se dire, Dieu, protège-moi de mes amis, mes ennemis, je les connais déjà et je vais m’en occuper.
Ceux qui s’accrochent à l’infime espoir que le donjuanisme du bonhomme le disqualifie à vie aux yeux des Français se trompent de pays. En France, sur ce sujet, on ne joue jamais à « qui va lancer la première pierre ». La cour se vide avant même d’avoir fini de prononcer la phrase. Puisqu’on n’est pas de tradition puritaine, plus aucun obstacle ne subsiste entre Dominique Strauss-Kahn et ses compatriotes. Quelques formules bien ajustées par les communicants, qu’il a tout à fait les moyens de recruter, des paroles touchantes à l’oreille de l’électeur, une goutte de larme sur un coin de l’œil et une bise publique sur la joue de son adorable Anne Saint-Claire, et hop, au Palais Bourbon ! Ou du Luxembourg ! Matignon est à deux pas de là. Et, à Matignon, on ne rêve que de l’Elysée.
Le scénario d’un retour plus rapide sous les feux de la rampe est même envisageable. La droite, en dix ans de surendettement vertigineux, a fini par humilier la France en lui faisant perdre le précieux triple A. En face, le bateau Hollande ne finit pas de tanguer et, quelle que soit l’issue de la Présidentielle, la Gauche en sortira bien amochée. Les quelques têtes roses qui tiendront encore sur les épaules résisteront quelques mois face à l’implacable crise avant de sombrer. Il faudra trouver du renfort quelque part. Qui serait assez stupide pour se priver des atouts d’une véritable carapace blindée au milieu d’une crise où ça caillasse de tous côtés ?
Non, sérieusement, Dominique Strauss-Kahn est toujours là !
Boniface MUSAVULI
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