Du droit de ne pas être Charlie, réponse à Mohamed Sifaoui
L’inénarrable humoriste Mohamed Sifaoui a encore frappé. Comme à son habitude avec des propos fait de condamnations sournoises, de préjugés très réducteurs, de moralisme à géométrie variable et d’ironie pleine de vulgarité qui masque mal l’idéologie qui la sous-tend. Le gueux se présente comme « intellectuel, journaliste et écrivain ». Cela a des avantages de se présenter ainsi afin qu’il soit pris au sérieux mais dans le cas de notre loustic ça reste encore trois objectifs à atteindre. Car, vous l’aurez compris, Sifaoui n’est ni l’un ni l’autre ni rien du tout. Qui peut le prendre au sérieux ? Tout juste peut-on le ranger dans la catégorie des essayistes (rayon humoristes) qui encombrent nos médias avec leur demi-science faite de trop de prétention et de lieux communs avec, circonstances atténuantes, l’appui de certains milieux dont il ne peut se départir par souci de carriérisme.
Etre railleur en argumentant ne vous dispense guère d’être une grande lumière. Et bon nombre de nos grands esprits, a commencé par saint Voltaire, maitrisaient le sens de l’ironie avec maestria pour éclairer la connaissance, protéger un argument, en contredire un autre, etc. L’ironie est une belle arme rhétorique. Le sarcasme, par contre, n’est que la maladie de l’ironie quand celle-ci est en mal d’inspiration.
Au menu de la semaine, notre humoriste pédant, qui accumule les clichés et les truismes des médias mainstream sans même une once d’esprit critique, nous somme d’être Charlie[1] non plus seulement au nom de la compassion envers les malheureuses victimes mais avec la prétention de nous instruire, nous autres, « esprits étriqués » et « derviches tourneurs de la rhétorique pro-islamiste ». Comme s’il n’y avait pas un combat doctrinaire derrière ce slogan devenu, hélas, idéologie, voire l’Idéologie de la mise au pas à la Pensée unique ; « Tu ne penses pas comme moi ? Au diable ! »
Nous observons toutefois un paradoxe chez quelqu’un qui nous martèle les bienfaits de la liberté d’expression absolue et des échanges contradictoires et sort immédiatement ses crocs, insultes et sarcasmes à l’appui, dès lors que l’autre-qui-ne-pense-pas-comme-lui en fait un usage qui lui déplait.
Ainsi, selon Sifaoui, les « esprits tordus » qui ne sont pas Charlie interprètent la chose comme « Nous condamnons les attentats pour endormir l'opinion publique, mais nous n'avons aucune empathie pour les victimes ». Misère de l’intelligence. Et c’est notre Charlot qui nous convie à la décence.
Je lui ferais simplement remarquer que derrière ce slogan, il y a un jeu politique et idéologique et qu’en jouant abusivement au « Je suis X, Y, Z », Sifaoui s’empêtrera dans une spirale impossible à sortir. Du reste, je l’ai très peu entendu dire « Je suis Irakien », « Je suis Afghan », « Je suis Palestinien ». Et pourtant ces peuples méritent ô combien notre compassion. Du reste encore, si l’on suit sa logique, je pourrais aussi être islamiste ou fasciste ou nazi ou sataniste si ceux-ci sont victimes-d’une-injustice-qui -pousserait-à-être-empathique. Vous imaginez Sifaoui dire : « Je suis Quaradawi » après que celui-ci fût victime d’un assassinat injuste ? Mais non. Sifaoui sélectionne ses victimes comme il choisit les slogans dignes d’être affichés. Nous sommes tous égaux mais certains le sont un peu plus que d’autres… Misère de l’intelligence disais-je.
Moi je veux être Charlie et Juif et policier et humain et civique et démocrate mais (eh oui il y toujours des mais) je me refuse que des personnes m’obligent à être tout cela sous un vocable indécent (pour reprendre ses propres termes). Je refuse dans ce pays que la pensée unique soit instaurée derrière des slogans comme on a instauré l’Ordre moral. Je me refuse qu’on diabolise, comme c’est souvent la coutume dans les médias français, les non-Charlie ou même les anti-Charlie. Je refuse qu’une personne, dont l’honnêteté reste à démontrer et dont les condamnations sont si sélectives et si idéologiques qu’il se discrédite tout seul, passe au peigne fin les éléments qui refusent de suivre son sentier. En ce sens, je suis un démocrate (puisque Sifaoui a invoqué la démocratie pour être Charlie) qui laisse exister et s’exprimer ses opposants même si je n'ai pas attendu Charlie pour être démocrate.
En gros pour bien résumer, je refuse de tomber sous le dogme des slogans et de l’idéologie dissimulée.
Et si Sifaoui nous somme d’être Charlie de peur d’être un « esprit tordu » ou « étriqué », nous lui sommerons en retour d’être cohérent avec lui-même et passablement décent. Mais ça, ce sera plus difficile.
36 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON