Du Panthéon à la Villa Médicis : des Beaux-Arts aux bas arts !
À l’heure qu’il est, le pendule de Foucault a dû reprendre ses lentes oscillations à la croisée du transept du Panthéon de Paris, rendu au faste grandiose de son architecture à la fois baroque et néo-classique.

De septembre à décembre 2006, le 35e Festival d’automne avait, en effet, livré son intérieur aux fantaisies créatrices d’un plasticien brésilien, Ernesto Neto. Léviathan Thot était le nom de l’œuvre avec laquelle il avait « investi l’espace » du Panthéon. Inutile de chercher dans l’annuaire ! Ce patronyme n’est porté par personne. Léviathan est un monstre marin biblique qui menace les hommes, Thot le dieu égyptien créateur du monde par le verbe et l’écriture. L’association audacieuse de ces deux mythologies sentait déjà son oxymore, à faire tomber raide, occis, mort, le visiteur le mieux disposé dans un abîme de perplexité !
- L’œuvre offerte donnait-elle au moins la clé de l’énigme ? La trouvait-on sous ces voûtes et cette coupole, preuves du génie de Soufflot et de Rondelet, instruits d’une tradition multiséculaire, remontant au moins au Panthéon d’Hadrien à Rome, et qui rend les hommes capables de braver l’abîme dont la loi de la pesanteur menace leurs édifices toujours plus insensés d’audace ? Pas le moins du monde ! Libération, le 22 septembre 2006, y voyait cependant « la forme gigantesque d’un monstre en tulle polyamide lycra » de « 2000 m2 » « comme une peau translucide », « sorte de pieuvre dont les multiples tentacules (ondulaient) et (croissaient) selon les quatre axes du bâtiment » avec « grâce et sensualité ».
- Va pour le monstre, puisque monstrueux c’était ! Mais quant à son identification, on avait le choix. On pouvait, par exemple, regretter de voir voûtes et coupole disparaître dans des amas de toiles d’araignées géantes d’où pendaient des sacs gonflés de sable, étirés comme des bas de nylon lestés, voire comme des préservatifs bien remplis ou même des testicules de taureaux exténués. Appeler ça Léviathan Thot, pourquoi pas ? On aurait pu tout aussi bien imaginer « Halloween for ever », « Hollywood chewing-gum » ou, pour faire français, « Carnaval Panthéon », puisqu’on n’hésitait pas à affubler d’un nez rouge un joyau de l’architecture française.
- Mais l’appellation aurait sans doute manqué de profondeur de pensée quand le fatras qui pendouillait des voûtes comme du chewing-gum filant et collant aux doigts était incapable, à lui seul, d’élever l’esprit du visiteur qui gardait pourtant la tête en l’air. Par une malheureuse homophonie, d’ailleurs, le nom du plasticien se prêtait mal à cette assomption : à une lettre près, on reconnaissait une filiale à bas prix d’un supermarché. De là à penser que les Beaux Arts ont eux aussi aujourd’hui leurs officines de bas arts, il n’y avait qu’un pas.
- Franchement, a-t-on le droit de souffleter Soufflot de la sorte ? Qu’on choisisse un hangar, un gymnase ou un marché couvert, pour en « investir l’ espace », comme ils disent ! On n’y voit pas d’inconvénient ! Mais le Panthéon ! Pourquoi pas Notre-Dame de Paris ? N’est-ce pas à l’œuvre d’art d’embellir les lieux qui l’accueillent et non à un chef-d’œuvre hébergeur de lui donner le crédit qu’elle n’aurait pas par elle-même ?
L’exposition à la Villa Médicis à Rome en l’an 2000
C’ est devenu une triste mode. Des sites prestigieux sont réquisitionnés systématiquement pour des opérations promotionnelles. L’exposition qui a eu lieu en 2000 à la Villa Médicis, à Rome, en est un autre exemple malheureux. Sise entre les verts jardins du Pincio et l’inventive place d’Espagne à Rome, la Villa Médicis est, on le sait, une merveille de la Renaissance, siège de l’Académie de France où est reçue, depuis deux siècles, la fine fleur des artistes. Elle a accueilli entre juin et septembre 2000 une curieuse exposition, intitulée La Ville / le Jardin / la Mémoire avec, à l’affiche, une trentaine d’artistes, architectes, paysagistes, et même... « promenadologues » (sic) ! Les plus hautes institutions avaient apporté le lustre de leur autorité. De quoi lever l’hésitation du visiteur le plus réticent ! Sous le patronage des présidents des républiques française et italienne et des ministres compétents, cette manifestation était réalisée, dans le cadre de la Mission nationale pour la célébration de l’an 2000, avec la collaboration de la Mairie de Paris, de son Musée d’Art moderne, et de sa direction des parcs, jardins et espaces verts ; et parmi les parrainages, on relevait la Fondation Electricité de France et celle de la BNP-Paribas. On était donc assuré d’être mis en présence des réalisations artistiques les plus officiellement accréditées.
« Misère de l’art ».
Un critique d’art, Jean-Philippe Domecq, a parlé de Misère de l’art (Calmann-Lévy, 1999) au sujet de la production du dernier demi-siècle. Ce ne sont pas les expositions du Panthéon et de la Villa Médicis qui peuvent le démentir. Il faut être ignorant, fulminera-t-on bien sûr, pour se permettre un tel blasphème, et avoir une bonne dose de culot pour oser rejeter l’argument d’autorité qui garantit la qualité des oeuvres exposées. Eh bien ! Qu’on en juge, après le Panthéon, sans même parcourir « le chemin de croix » exhaustif de cette exposition de la Villa Médicis. Quelques stations devraient suffire.
- Passe encore la Cabane éclatée pour un obélisque du bien connu au Palais Royal à Paris Daniel Buren, qui a une tendresse particulière pour le zèbre au point d’affubler un peu trop souvent les objets de rayures noires. Cette fois, il avait planté au milieu de la cour d’honneur de la Villa Médicis, autour de l’obélisque, des panneaux couverts de miroirs carrés encadrés de... rayures noires. L’effet n’était pas déplaisant : obélisque, pins parasols et villa s’y miraient en images multiples mises en abyme. Mais, outre que le jeu de miroirs n’est pas nouveau, l’artiste ne pouvait mieux avouer qu’il n’avait rien à dire et qu’au mieux, il ne servait que d’écho par quelques trouvailles, qui, une fois la surprise passée, n’avait pas leur place dans ce jardin : il se contentait de refléter les oeuvres d’art qui le dépassaient, par exemple... des pins parasols, un obélisque ou les délicieuses lignes « Renaissance » de la Villa Médicis. C’était, il est vrai, un acte d’humilité dont il fallait le créditer.
- Auparavant, le visiteur était passé par la loggia ouverte sur le parc, cadre d’une oeuvre à couper le souffle : Un hommage à Napoléon le Grand ! En fait, une accumulation, dans les quatre coins de la loggia, d’objets quotidiens hétéroclites, y compris des disques vinyle de la trilogie de Pagnol, Marius, César, etc. ! L’artiste, originaire du Bénin, était loin du Bernin : « L’installation, notait le programme, (mettait) en évidence des questions d’interprétation culturelle dans notre époque post-coloniale marquée par la globalisation ». Grands dieux ! Comme il est intéressant qu’un Africain célèbre ainsi le bourreau qui a rétabli l’esclavage de ses ancêtres aux Antilles en 1802, malgré la résistance opposée par Delgrès et ses compagnons à Matouba sur les flancs de la Soufrière de la Guadeloupe, et aujourd’hui honorée au Panthéon de Paris.
Neuf kilomètres de cordelette
- La ravissante fontaine de la cour , elle, disparaissait dans un fagot de tuyaux d’arrosage colorés. Commentaire : « Au centre du piazzale, la fontaine semble prise dans un bouquet multicolore qui rappelle les compositions florales d’un jardin ikebana ». Il fallait y penser.
- C’était ainsi une trentaine de facéties qui étaient offertes. Une artiste irakienne avait même relié en multiples boucles avec une cordelette rouge les fûts élancés d’un groupe de pins parasols qui en frissonnent encore de dédain sous le vent : « Construit comme un labyrinthe oblique, disait le programme avec une précision mathématique, neuf kilomètres de corde se tendent, se plient et s’enroulent pour créer un réseau fluide qui s’étend au-delà de l’ordre Renaissance du carré. Par ces champs de lignes, l’architecte irakienne crée un événement théâtral qui nous libère des contraintes historiques des jardins de la Villa Médicis. » Evident , en effet !
- Enfin, le long d’une allée, de fins jets d’eau, indigente imitation des Jardins de l’Alhambra à Grenade ou des farces d’un Prince-archevêque de Salzbourg au château d’Hellbrunn, étaient présentés comme des « pergolas » ou une « série d’arcades, tangibles et pourtant impalpables (qui venaient) surcadrer la perspective des haies et parachever un parcours dessiné à la mesure du corps ».
Le coeur se soulève à cette logorrhée d’inepties dont l’œuvre exhibée paraît devoir impérativement être assaisonnée sous peine de ne pas exister. Il est, en effet, bien singulier de ressortir de la Villa Médicis ou du Panthéon non vibrant de plaisir mais mortifié de honte. Il est vrai que l’art contemporain officiel n’a peut-être rien à voir avec le bonheur des êtres. Paul Villach
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