École : à qui profite le désordre ?
Dans cet article, nous souhaitons expliquer que les puissants sont les ordonnateurs et les bénéficiaires du désordre scolaire, quand les enfants des classes populaires en sont les exécutants et les victimes.
En France, les établissements scolaires difficiles sont des symptômes. Ils ne sont pas tout le problème, mais en sont une manifestation significative. Ils sont le reflet direct des inégalités sociales aggravées par les inégalités territoriales. Mais ils sont également le lieu où sont encore en contact d’une part une classe moyenne éduquée, et d’autre part des enfants des classes populaires qui pâtissent d’un niveau d’éducation qu'ils peinent à élever.
Pour simplifier la situation, voire la caricaturer, les professeurs issus des classes moyennes adoptent deux attitudes face au désordre scolaire qu’ils ont pour mission de contenir : ils le définissent d’une part comme le résultat des inégalités de la société, mettant ainsi en avant l’irresponsabilité des élèves, et d’autre part, comme le fait des élèves eux-mêmes, insistant dans ce cas sur leur responsabilité, attitude que l’on pourrait résumer par un type de discours que l’on entend souvent dans les salles des professeurs : « Qu’est ce qu’on attend pour virer la minorité d’élèves qui empêche les autres de travailler ? ».
Ces deux types d’attitudes, de positionnement, non seulement cohabitent dans les établissements, créant des tensions entre les professeurs, mais elles créent également des conflits internes aux acteurs, qui se retrouvent, plus ou moins consciemment, traversés par des attitudes contradictoires. Ce conflit intra et interindividuel a pour conséquence de neutraliser la recherche active de solutions, l’une des parties reprochant à l’autre son angélisme, et l’autre partie accusant la première d’autoritarisme.
Une piste pour débloquer la situation pourrait être de tenter de concilier ces deux tendances, à savoir lutter pour une école plus égalitaire dans une société meilleure, et en même temps (sic) se donner les moyens coercitifs nécessaires au rétablissement de l’ordre dans les établissements scolaires. Et pour ne pas être accusé de produire une resucée scolaire de la gauche du travail (lutter contre les inégalités sociales) et de la droite des valeurs (imposer un ordre avec une part d’arbitraire), il faut tenter d’expliciter cette démarche et de la justifier en produisant un certain nombre d’arguments.
Le premier argument est que le désordre scolaire nuit au développement et à l’émancipation des élèves. Il n’est même pas nécessaire d’aller chercher à la rescousse les travaux d’un Debarbieux sur le climat scolaire pour avoir plus que l’intuition que les établissements où les élèves ont le pouvoir crée un cadre de développement préjudiciable à l’enfant, agissant tant sur son développement cognitif et sa maturité affective que sur sa réussite académique. A partir de ce constat, on peut se dire qu’attendre tranquillement que l’amélioration des conditions sociales des élèves, ainsi qu’une société moins inégalitaire dans l’ensemble, vienne changer la donne est au mieux irresponsable, au pire criminel.
Le second argument est que les quelques élèves agités qui ont la faculté de mettre le bazar dans un établissement scolaire n’ont absolument aucune conscience politique qui viendrait justifier et expliciter leurs comportements (pas plus que leurs familles, d’ailleurs), et que les sanctionner ne revient donc pas à adopter une attitude répressive contre des syndicalistes ou des militants.
Le troisième argument est que le désordre scolaire profite in fine aux riches, qui parviennent à ne jamais fréquenter les établissements difficiles, ainsi qu’au pouvoir autoritaire, qui a fortement le vent en poupe en ce moment (Cf. Castaner et sa vieille idée de mettre des flics dans les écoles), étant donné que l’impact médiatique anti classes populaires du désordre scolaire est potentiellement dévastateur.
Il devrait donc être possible de dire que le « pas de vague » a assez duré, que le seuil d’acceptabilité entrainant des sanctions doit être abaissé, que les familles doivent être responsabilisées (par exemple, en leur imposant un devoir de suivi de leurs enfants, sous la forme d’une obligation de moyen et non de résultat, cela va de soi, ce qui n’est même pas le cas aujourd’hui), tout en promouvant dans le même temps des pédagogies alternatives, basées sur la coopération plus que sur la compétition, et en luttant pour obtenir plus de moyens pour l’école et plus d’égalité d’une manière générale dans la société.
La crainte d'une telle position est-elle de servir un système (scolaire) que l’on ne croit pas capable d’être une solution aux problèmes de ce monde ? L’école ne serait-elle que le bras, armé de savoir, du pouvoir ?
Nous pensons que, de la même manière que la police n’est pas que le bras armé du Capital, mais peut également être parfois utile à réguler les conflits dans la société et éviter que le plus fort ne gagne systématiquement, l’école est autant un instrument de domination et de perpétuation des inégalités que d’émancipation. Elle est les deux à la fois, n’en déplaise à ceux qui voudraient y voir en clair-obscur. Et le bilan objectif du waï (de l'italien guaio) dans les établissements scolaires est d’abord de nuire aux plus vulnérables.
Et peut-être serions-nous également surpris de voir que la démarche que nous proposons permette un rapprochement des classes populaires et des classes moyennes, sur des bases assainies et non perverties par un vernis de pitié et de condescendance venant recouvrir un ras-le-bol bien légitime.
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