Espagne-Catalogne : la liberté démocratique outragée
ESPAGNE-CATALOGNE : LA LIBERTE DEMOCRATIQUE OUTRAGEE
Ce dimanche 1er octobre 2017 restera dans l’Histoire comme une date douloureuse pour, sinon ce magnifique pays qu’est l’Espagne, du moins le gouvernement central (et conservateur) de sa capitale, Madrid. Il rappelle même, de sinistre mémoire et certes toutes proportions gardées, les jours les plus noirs de la funeste dictature franquiste : voir, comme nous le montrent de terribles images télévisées, des policiers lourdement armés - ceux de la « guardia civil » - investir avec violence des écoles, en y enfonçant les portes et en y brisant les vitres, ou charger sur la foule afin d’empêcher, boucliers et matraques en main, des citoyens de leur propre pays de s’exprimer librement, par un vote pacifiste, au sein du référendum portant sur l’indépendance de la Catalogne, a quelques chose d’insupportable et d’indigne, de choquant et de révoltant tout à la fois, sans compter son aspect anachronique, voire rétrograde et même carrément fascisant à l’aune de nos temps prétendument modernes. C’est là, en cette deuxième décennie du XXIe siècle, un déni, pur et simple, de la démocratie en ce qu’elle a de plus noble et sacré. Injustifiable ! Inacceptable pour un pays faisant partie intégrante de l'Union Européenne, bien silencieuse sur cet épineux dossier !
Certes ne s’agit-il pas, dans cette tribune, de prendre position, sur le plan politique, quant à l’indépendance, ou non, de la Catalogne. C’est là une question que seuls les Espagnols peuvent, bien sûr, trancher, même si la Cour constitutionnelle de ce pays y a déjà répondu, quant à elle, par la négative en interdisant ce scrutin, qu’elle juge illégal. Loin de nous, donc, la volonté de nous immiscer dans un débat qui ne nous regarde pas, même s’il nous concerne sur le plan humain, si ce n’est, à l’échelon philosophique, des idées. Mais ce que, en revanche, nous tenons à y dénoncer, opinion que nous pensons saine et légitime en tant que personne attachée aux imprescriptibles valeurs de la démocratie, c’est cette arbitraire et honteuse négation, quels qu’en soient les motifs (tel, par exemple, le souhait de voir l’Espagne demeurer un Etat unifié), de la simple liberté d’expression, à travers le suffrage universel, pour tout un peuple - sept millions et demi d’habitants - quant à son avenir, qu’il soit national ou régional.
AU NOM DE LA LIBERTE
A cela s’ajoute le fait, sur le plan social, que le gouvernement central de Madrid, son Premier Ministre en tête, Mariano Rajoy, ne fait ainsi, par cet intolérable acte de force, qu’attiser, y compris chez les plus modérés des Catalans, les volontés sécessionnistes, sinon le sentiment nationaliste (à l’instar de son leader, Carles Puigdemont) : un calcul stupide et contreproductif, dépourvu de toute sagesse politique, de la part des dirigeants espagnols, qui se révélera fatalement être, tôt ou tard, un cruel boomerang pour eux. On ne peut humilier de la sorte, de manière aussi brutale et aveugle, tout un peuple ! On ne peut bafouer impunément, quel que soit le pouvoir en place, la démocratie ! On ne peut bâillonner ainsi, devant les yeux du monde entier, la liberté !
LE DROIT A L'AUTODETERMINATION DES PEUPLES
Dernier argument enfin, mais non des moindres, en faveur de ce scrutin. De quel droit en effet, par quel injuste principe et au nom de quelle absurde raison, pourrait-on donc interdire aujourd’hui aux Catalans, qu’ils soient pour ou contre cette indépendance, ce que, par exemple, la communauté internationale en son ensemble, y compris une instance aussi suprême que l’ONU, a autorisé hier en ex-Yougoslavie, en plein cœur de l’Europe donc, aux Slovènes, Croates, Bosniaques, Macédoniens, Monténégrins, Serbes ou Kosovars : le droit à l’autodétermination, intangible pour toute démocratie qui se respecte !
UN INIQUE ET INEQUITABLE "DEUX POIDS, DEUX MESURES"
Cet incompréhensible « deux poids, deux mesures », aussi inique qu’inéquitable, vaut d’ailleurs aussi aujourd’hui, soit dit en passant, pour le Kurdistan, que l’on prive non moins arbitrairement, pour de vils intérêts de stratégie géopolitique, de toute autonomie.
Reste donc à espérer, pour en revenir à ce dangereux bras de fer mettant aux prises, ces jours-ci, l’Espagne à sa région la plus prospère et peuplée - la Catalogne précisément, presque aussi grande que la Belgique et plus riche, avec 20% du PIB national, que le Portugal - que la contestation qui y est aujourd’hui en acte ne débouchera pas, à court ou moyen terme, sur une situation bien plus grave : le spectre de la guerre civile, traumatisme qui n’est guère si lointain, y hante encore, malheureusement, certains esprits.
Car, sans aller jusqu'à cette extrémité, un peuple qui n'obtient pas gain de cause par les urnes, risque alors de le gagner par la rébellion : c'est le pire des scénarios !
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
*Philosophe, auteur, notamment, de « Philosophie du dandysme – Une esthétique de l’âme et du corps » (Presses Universitaires de France), « Oscar Wilde » et « Lord Byron » (Gallimard – Folio Biographies), « Critique de la déraison pure – La faillite intellectuelle des ‘nouveaux philosophes’ et de leurs épigones » (François Bourin Editeur), « Du Beau au Sublime dans l’Art – Esquisse d’une Métaesthétique » (L’Âge d’homme), « Oscar Wilde – Splendeur et misère d’un dandy » (Editions de La Martinière), « Le Testament du Kosovo – Journal de guerre » (Editions du Rocher). A paraître : « Traité de la mort sublime – L’art de mourir, de Socrate à David Bowie » (Alma Editeur).
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