Très tôt dans mon existence, j’ai compris la chance que j’ai eue à la naissance de venir au monde avec un pénis et non un vagin. En effet, dès l’enfance, j’ai pris conscience qu’en dépit de mon âge, mon statut de mâle en devenir me conférait des droits auxquels aucune femme ne pouvait prétendre. Bien avant l’adolescence, ce statut m’exemptait déjà de certains devoirs et obligations – les plus contraignants et fastidieux – qui incombent exclusivement aux femmes et aux filles, quel que soit leur âge.
Né au Maroc, au début des années 1970, j’ai évolué dans une de ces sociétés où les hommes – adultes, adolescents et enfants – ne dressent pas la table et ne la débarrassent pas après le repas. Il s’agit là de tâches dévolues aux femmes qui, dès leurs premiers pas dans la vie, encore petites filles, sont éduquées et formées à nettoyer et laver, à servir et obéir aux hommes ; hier le père, le frère, l’oncle et le cousin, demain le mari, sans oublier Allah et tous ses prophètes, Muhammad en tête, tous des hommes.
Dans mon pays de naissance, toutes les filles sont élevées pour être des épouses capables de s’occuper à la perfection et avec dévotion de leur futur mari et d’assurer avec application l’éducation de leurs enfants pour en faire de bons musulmans. Elles sont ainsi programmées pour devenir des expertes en cuisine et en tâches ménagères, conditionnées à baisser la tête et à courber l’échine.
Nul ne peut contester ou nier qu’au cours de ces vingt dernières années, la condition des femmes marocaines s’est nettement améliorée. En nombre, elles ont investi le monde du travail et celui de la politique. « L’émancipation est en marche ! » disent les optimistes, ravis de voir que les femmes ne sont plus cantonnées à jouer toutes leur vie le rôle de la fée du logis. Malheureusement, ils oublient que, certes désormais encadrée, la polygamie est toujours autorisée et que la loi permet au mari de battre son épouse pour « la remettre sur le droit chemin ». Bien que les femmes soient actives au sein de la société civile marocaine, aucune d’entre elles ne dirige de parti politique. Le monarque, qui désigne le premier ministre, n’a toujours pas nommé de femme à la tête du gouvernement. Il n’est pas inutile non plus de rappeler, ici, que selon la constitution, aucune femme ne peut hériter du trône et, la reine – désormais l’unique épouse du roi – n’a aucune existence officielle ni rôle protocolaire défini par la loi.
En France, mon pays de résidence, et plus largement en Europe, les femmes jouissent-elles des mêmes droits et disposent-elles des mêmes chances dans la vie que les hommes ? En théorie, oui ; car disons-le sans détour, les femmes sont toujours, dans les années 2010, victimes de préjugés, de clichés et de discriminations.
En dépit des lois sur la parité, les hémicycles des différentes assemblées européennes, nationales ou supranationales, demeurent – à en désespérer – composer majoritairement d’hommes. En Espagne et dans d’autres monarchies européennes, la couronne se transmet également selon la règle de primogéniture masculine. Quand une femme dirigera-t-elle le gouvernement italien ou espagnol ? Angela Merkel semble bien seule. En France, jamais une femme n’a été élue présidente de la république. Pis, en plus de cinquante années d’existence, la cinquième république n’a connu qu’une seule femme premier ministre, Édith Cresson dans les années quatre-vingt. C’était au siècle dernier, souvenir déjà lointain.
De nombreuses études réalisées en Europe démontrent et confirment que bien qu’elles occupent les mêmes postes, effectuent les mêmes tâches et assument les mêmes responsabilités, les femmes sont toujours moins bien rémunérées que leurs collègues masculins. Ces études révèlent également qu’au moment de l’embauche, à compétences égales, par trop souvent, l’homme est choisi et la femme est écartée.
Ici, en Europe, il n’est pas rare d’entendre dire que les femmes qui aspirent à réussir une brillante carrière professionnelle devraient se garder d’avoir des enfants ou, tout au moins, bien choisir le moment. Comme chacun sait, l’éducation des enfants nécessite beaucoup de temps. Certaines femmes se voient même conseiller de demeurer célibataires, cela ne peut-être que bénéfique pour leur carrière !
En France, comme partout ailleurs, les préjugés sont tenaces et demeurent sournoisement ancrés dans les mentalités. Une femme ne peut pas mener de front une vie de famille épanouie et une vie professionnelle bien remplie est une idée encore répandue dans la société française. Partant, beaucoup de femmes abandonnent tout espoir d’évolution professionnelle dès lors qu’elles décident d’avoir des enfants. À leur retour de congé-maternité, elles constatent, non sans regrets, que les regards de leurs responsables et de leurs collègues ont changé. La plupart, sans le savoir, sont désormais cataloguées comme des employées sur qui la hiérarchie ne peut plus compter. Hier éléments moteurs car elles étaient toujours volontaires, les voici aujourd’hui mises au placard, au mieux ignorées car, selon la rumeur, elles sont toujours pressées de quitter les réunions pour aller chercher leurs enfants à l’école et sont souvent absentes parce que leurs petits sont malades. En France, où les employeurs et les autorités font la chasse aux arrêts-maladies de complaisance, ceux délivrés pour cause d’ « enfant malade » ne peuvent-être considérés autrement que comme des handicaps pour les entreprises, une perte certaine de productivité et une source de déficit des finances publiques.
En 2010, partout dans le monde, sur les cinq continents, des familles, afin de préserver la virginité de leurs filles, les enferment à double tours. Chaque jour, où que l’on soit, des femmes, que la vie tutoie, sont battues par des hommes, qui un mari ou un frère, qui un père ou un tuteur légal brutal.
Partout, une femme qui réussit dans la vie s’entend dire, à un moment ou à un autre : « C’est sûr ! Elle a couché pour réussir ! »
Ici et là-bas, où qu’elles soient, les femmes continuent d’être perçues, surtout et avant tout, comme des objets sexuels que les hommes désirent – ou pas – obtenir ; détenir pour en jouir. Un individu de sexe masculin qui attire les regards est un bel homme. S’il aime la fête et multiplie les conquêtes, c’est un Dom Juan, un libertin quelque peu coquin. « Voyons, il n’y a rien de bien méchant ; n’est-ce pas ? » Quand il s’agit d’une femme, aussi belle que rebelle, qui laisse libre cours à l’expression de ses passions : « C’est une salope ! » Hommes et femmes, pour une fois à l’unisson, nul ne s’embarrasse de précaution, tous la qualifient de « pétasse ». Les prêcheurs de belles morales ne manquent aucune occasion pour lancer leurs imprécations. Le verbe haut et les mots acerbes, ils jugent son mode de vie. À vrai dire, ils meurent d’envie et de jalousie. Les hommes aimeraient l’avoir dans leur lit toute une nuit et les femmes rêvent, secrètement, de jouir de sa liberté, ne serait-ce qu’une journée.
Là-bas, au nom de leur respectabilité, elles sont punies pour oser porter des tenues qui laissent voir des parties de leurs corps. Ici, parait-il, c’est au nom de leur dignité qu’elles sont verbalisées pour s’entêter à se couvrir de la tête aux pieds.
Partout, elles ne sont jamais vraiment libres de choisir ; partout, les hommes – et parfois d’autres femmes – décident pour elles.