La foule du grand soir un 7 septembre 2010
Ayant déjà participé à des manifestations, je vais en être ce 7 septembre. Mais pour tout vous dire, je m’en tape des retraites, je m’en fous de l’âge légal, je ne me sens pas concerné et si je pouvais avoir la possibilité d’enseigner dans un contexte intelligent, face à des étudiants passionnés, je le ferais volontiers jusqu’à 70 ans et même plus, avec la recherche et l’écriture. Même sans être concerné, on peut être solidaire avec ceux qui refusent la réforme des retraites. Solidaire, oui, je le suis, solidaire avec les routiers, les maçons, les mineurs, les électriciens, bref, tous ceux qui ont un travail usant et qui méritent de quitter l’activité salariée pour s’offrir un peu de repos bien mérité, avant le repos éternel. Néanmoins, il est impossible de laisser le système en l’état puisqu’il ne pourra pas être financé. Pour ma part, je ne fais confiance ni aux syndicats, ni aux gouvernants. Et même pas aux Français. Hélas, c’est chacun pour soi. Les retraites certes, mais aussi l’emploi et surtout la solvabilité. Bref, il faut tout revoir et je me sens un peu désarçonné à voir comment la société se gère, créant de plus en plus d’exclusion et de précarité pour maintenir le niveau des uns et l’élévation matérielle des autres. Nous vivons dans un système qui pratique l’apartheid économique. Non pas un apartheid racial comme naguère en Afrique du Sud mais un système de développement séparé offrant des perspectives aux uns et des galères aux autres. Certes, il existe des passerelles mais ce n’est pas en sauvant quelques précaires qu’on rétablit l’équité républicaine et ma foi, il n’y a même plus de république. La question des retraites dévoile en vérité un marasme social, un délitement de la société, une incapacité de cette même société à se penser dans l’avenir, une démission collective, une corruption généralisée, une gestion incompétente du système par des oligarques et autres managers. Bref c’est le merdier ! Et il n’y a plus personne pour le gérer correctement.
Ces grandes célébrations collectives que sont les mouvements sociaux de la rue appartiennent à la culture française. En général, il n’en ressort rien, excepté quelques reculades ayant valeur de symbole mais l’irrésistible fleuve du développement industriel et des machines désirantes et gérantes fait que tout finit par aboutir comme résultat de l’équilibre des forces pas tant physique que morales, mentales, persuasives, manipulantes. Traduction please ! Les puissants l’emportent et façonnent le monde en fonction de leurs intérêts. Voilà. Après, on passe au peuple. Les citoyens sont en majorité des (…) inaptes à saisir le cours du monde mais suffisamment doués par instinct de préservation des intérêts pour défendre la mise et sauvegarder leurs positions. Les esclaves et les exclus sont démunis. Ils leur reste la charité populaire et les dons défiscalisés des lotis et nantis qui pour quelque obole peuvent se sentir en bonne conscience.
C’est terrible comment j’écris. Quel pessimisme, quelle mécréance à l’égard de la société ! Mazette ! Faut de la joie et du bonheur ! Le monde est sombre, il faut jouer la gaîté ! C’est Jean d’Ormesson qui l’a dit. Je le suis volontiers en suggérant un amendement. Accéder à la gaîté est aisé quand on a les moyens mais c’est un exploit de la sagesse spirituelle quand on est un peu sur les marges et carrément un miracle quand on est sur le carreau ! Politique du rebelle, érotisme solaire, j’emmerde Onfray, le philosophe qui a une prostate à la place du cerveau !
Verrons-nous des agités prostatiques dans le défilé du 7 septembre ? Chut, c’est le grand soir, enfin, disons, un matin de revendications et d’occupation de la rue. J’irai faire un tour, tel un promeneur solitaire appréciant les grandes manifs parce que ça a de la gueule et ça donne quelque ivresse de se sentir porté dans un mouvement de la foule mais lorsque le promeneur se fait contemplateur, émerge un sentiment de déception. Cette foule n’a rien de sentimentale ni d’historique. Je n’ai pas capté de générosité dans les précédents défilés. Juste l’impression d’une foule égoïste et narcissique se repaissant de son nombre et fière d’être dans la rue pour narguer le pouvoir. Une foule où j’étais transparent, une foule où tous étaient dans leur petit univers, comme s’ils avaient devant les yeux un smartphone leur permettant de se couper du monde. Une foule pas si intelligente mais ça fait de la substance humaine et ça donne le sentiment d’un peuple uni. C’est à la fois vrai et faux. Mais c’est un moment délicieux que de sentir ce flux d’hommes et de femmes contestant le gouvernement. On voit parfois apparaître une barricade de mai en guise de madeleine de Proust. La politique se déroule parfois dans la rue. Une politique de l’émotion. Mais comment condamner ces êtres venus partager un ressentiment et une colère quand le Parlement pratique la politique de la démission, se couchant face aux arbitrages d’un seul homme qui prétend être le Salomon du 21ème siècle, alors qu’il règne sur et avec la saleté du 21ème siècle.
Ma foi, c’est un petit plaisir ordinaire plus excitant qu’une gorgée de bière que de se fondre dans la foule manifestant et qui sait, rencontrer quelque vieille connaissance ou alors un ami avec lequel on partage le même goût pour la fronde contre le gouvernement. C’est cela, la magie du grand soir qu’on rejoue chaque fois quand l’occasion se présente. Parfois, je retrouve des vieux potes oubliés depuis des lustres. Parfois, de la famille. Lors des manifs contre le CPE j’ai croisé mes enfants. Et quand c’était la manif contre Le Pen en avril 2002, j’ai revu des gens oublié depuis une décennie. Qui verrais-je ce 7 septembre 2010 ? Je goûterai sans doute le plaisir de m’installer comme un spectateur allées de Tourny en contemplant le flot des participants, de voir la caravane se déplacer, les manifestants arriver, les cortèges, un peu comme le carnaval de Nice, avec les têtes isolées et les figures typés, la CGT, la CFTC, FO, les gens d’EDF, les hospitaliers, les professeurs, les Crack, les Boum et les Hue ! Comme un jouet aux mains d’un Dieu venu aux premières loges, dépêchant un prophète pour s’enquérir du cours des affaires humaines en cette époque de mécroyance. Dans quel état d’âme, dans quel état j’erre, ainsi questionne le clampin qui une fois dans la manif, ne sait plus trop pourquoi il est là, ni qui il est, ni d’où il vient, ni où il va. La foule n’a pas de contenu métaphysique, elle ne fait pas l’Histoire mais se donne comme une ivresse communautaire remontée contre le cours des choses, la matière, l’inexorable machine à faire des profits et broyer les hommes.
Les retraites, c’est quoi au juste, un minimum pour vivre quand on ne peut plus travailler comme cela a été au moment où elles ont été instituées ou bien une indemnisation du système face aux individus qu’il a contraint à travailler, une sorte de dédommagement, excusez-nous, prenez ces pensions, ainsi parle le faux Salomon du 21ème siècle. Personne ne pose la question du sens de l’existence. Une foule, ça ne pense pas, ça foule le bitume de la rue, ça fume en pensant au pouvoir et puis c’est tout !
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