Gaza : la « bombinette futée » GBU-39 SDB
L’illusion d’une guerre propre en ville.
Outre les bombes au phosphore blanc, dont il a été question sur Agoravox, la population de Gaza a le privilège d’expérimenter en grandeur réelle les nouvelles "bombinettes futées" ("smart small bombs") mises au point par Boeing pour l’US Air Force.
Après les bombardements en zone urbaine, et leurs "dommages collatéraux" (victimes civiles) à Belgrade en Serbie, en Irak, Afghanistan, ou Pakistan, et les expériences antérieures de Tsahal (Liban et assassinats ciblés), l’US Air Force a éprouvé en avril 2006 un "besoin opérationnel urgent d’une arme à faible dommage collatéral" et lancé la mise au point de "munitions à mortalité concentrée" ("Focused Lethality Munitions FLM"). Très précises, ces munitions sont susceptibles d’être utilisées au milieu d’une population civile en détruisant les cibles sans faire trop de dommages collatéraux qui sont fâcheux pour l’image de marque de l’expéditeur.
Ainsi a été mise au point la mini-bombe guidée par GPS, la GBU-39 (pour Guided Bomb Unit modèle 39) encore appelée, du fait de sa miniaturisation, la Small Diameter Bomb SDB (la "bombe taille de guêpe" ?), développée depuis 2002, et sa nouvelle ogive à charge DIME.
Aucun caméraman n’a encore filmé à Gaza l’explosion d’une telle bombe. Qu’il nous soit permis d’inviter le lecteur à visualiser différents essais de cet engin, ici même (video wmv 8 Mo) :
http://www.f-15estrikeeagle.com/weapons/gbu39/videos/gbu39_impacts.wmv
La "bombinette futée" GBU-39 Small Diameter Bomb
La "Smart Small Bomb" GBU-39 Small Diameter Bomb est une bombe larguée par un avion de combat tel que le F-15E et le F-16. Il est prévu qu’elle puisse l’être par des drones, avions sans pilotes. Elle est miniaturisée, ne pèse que 113 kg, soit huit fois moins que la précédente, (la BLU-109) pour la même puissance explosive. Un F-15 peut en emporter et larguer un lot de quatre, destinées à des objectifs différents, en une seule mission. La bombe est munie d’ailes déployables, en forme de losange ou de diamant, ce qui lui permet de planer lors de sa descente : le bombardier peut ainsi la larguer à plus de 110 km de distance de sa cible. (Cela évite au pilote de devoir se cacher parmi des civils comme l’adversaire méprisable).
Elle est guidée, non par un éclairage laser de l’objectif, ce qui nécessitait un avion ou un drone à vue de la cible mais par un système GPS embarqué qui pilote la descente. L’adresse de livraison peut être mise à jour au cours même de la mission, avant le largage par l’avion bombardier. "Fire and forget", selon les termes militaires : "tu tires et t’oublies".
La charge explosive peut être réglée de même pour exploser avec retard : en ce cas, du fait de sa capacité exceptionnelle de perforation (2,4 m de béton armé, lors des essais avec l’ogive DIME) sans se déformer, elle est donnée pour devenir une arme anti-bunker redoutable ; lancée sur le toit d’un immeuble (nous y voilà), elle peut traverser proprement chacun des planchers de béton avant d’exploser au rez-de-chaussée ou au sous-sol ; elle peut aussi être réglée pour une explosion à l’impact avec un effet de souffle horizontal, ou même en l’air quelque mètres avant l’impact, permettant, si elle est munie d’une ogive métallique, une fragmentation et un mitraillage du sol par des éclats ("shrapnels"). Dans la vidéo des essais, c’est une explosion avant impact qui arrose d’éclats un camion lance-roquettes.
Les charges explosives DIME au tungstène.
La charge explosive de la GBU-39 SDB est grandement améliorée par l’utilisation, devenue opérationnelle en 2007, de DIME, ("Dense Inert Metal Explosive") charge explosive à métal lourd inerte. Dans cette charge explosive, l’enveloppe, au lieu d’être en acier destiné à se fragmenter, est en matériau composite (fibre de carbone). Cette composition, jointe au profil de l’ogive, lui permet de perforer du béton armé, sans se déformer, avant d’exploser. Lors de la détonation, la fibre de carbone absorbe peu d’énergie, et ne projette pas d’éclats. L’ogive est remplie d’un mélange très homogène d’explosif brisant, et de nano-particules d’un alliage métallique dense composé essentiellement de tungstène. La détonation de l’ensemble donne un effet de souffle ("blast") surpuissant, mais s’atténuant vite avec la distance, au bout de quelques mètres. Lors des essais, les manomètres utilisés pour mesurer la surpression atmosphérique n’ont pas résisté et il a fallu fabriquer des instruments de mesure spécifiques.
Surtout, les nano-particules de tungstène en fusion forment autant de micro-shrapnel, d’une vitesse inouïe, sur une courte distance.
Des chirurgiens, sur place, ou de retour de Gaza, font état de blessures ou de dégâts humains jamais vus jusqu’alors (sauf au Liban) : des amputations de bras, de membres, des décapitations, comme si les chairs avaient été coupées au scalpel. Une victime s’est retrouvée à côté de ses deux jambes coupées net. Nombreux, parmi les 5.000 blessés resteront sévèrement mutilés, amputés. Les effets biologiques du tungstène projeté dans le corps semblent dramatiques et menacent la survie à court terme des blessés survivants.
Quelqu’un osera-t-il encore utiliser le terme de "frappe chirurgicale" ?
L’équipement d’Israël en GBU-39 SDB.
La GBU-39 Small Diameter Bomb a fait l’objet d’un marché, proposé par l’US Air Force, remporté par Boeing pour la maîtrise d’oeuvre, en compétition avec Lockheed Martin. Les premières livraisons de SDB ont eu lieu en 2006-2007, les essais avec l’ogive DIME ont été conclus en septembre 2007 et les 50 premières bombes livrées à l’US Air Force, selon la notice documentaire de Boeing, en mars 2008.
Le coût d’une bombe est chiffré à environ 53.000 € (70.000 $).
En septembre 2008, le congrès américain a autorisé la vente à Israël sur 3 ans, de 1.000 bombes GBU-39 SDB avec équipement, formation, simulateurs d’entrainement, maintenance, SAV, pour un budget estimé de 77 millions de $, ce qui donnerait un prix de revient unitaire de 58.000 € (77.000 $ ) par bombe.
Le journal israélien Jerusalem Post rapporte qu’un premier stock de bombes a été livré à Tsahal début décembre 2008, juste à temps pour la fin de la trêve conclue avec le Hamas.
L’illusion d’une "guerre propre" en ville.
L’existence de telles "armes à mortalité concentrée" a indubitablement encouragé Israël à lancer une offensive "militaire" au milieu d’une population civile dont on a dit qu’elle est une des plus denses de la planète, en escomptant un taux raisonnable de dommages collatéraux. Ces armes sont mises au point dans ce but. Ces sont des merveilles de technologie (sic).
Mais ici malheureusement, intervient le facteur humain, source d’erreurs.
Erreur de reconnaissance : des militants ennemis chargeant des roquettes sur des camionnettes , observés en infra-rouge grâce à un drone, et frappés, se révèlent sur les photos prises ensuite au sol être des ouvriers qui déménageaient les bouteilles de gaz d’un chaudronnier.
Les "insurgés" (terme utilisé à défaut de pouvoir utiliser ceux de "militaires ennemis", ou de "civils") peuvent être mobiles. Dans le meilleur des cas, la bombe ne peut être amenée, programmée, larguée et voler jusqu’à sa cible en moins d’une ou plusieurs minutes. De là à ce que, lors de l’impact, il ne reste plus sur place que des civils...
Si la bombinette futée explose dans un mur ou une surface confinée, c’est le béton ou les matériaux du local qui feront un mitraillage d’éclats mortels. La vidéo des essais est très claire.
Comment sont repérées les coordonnées du point à frapper ? Par observation approximative, repérage sur une carte, une photo aérienne ? Quelles est la précision ? Quels sont les risques d’erreurs ? La précision du réglage du retard de déclenchement de l’explosion après impact ne peut être qu’empirique, peu d’essais ayant été faits sur des immeubles dont les épaisseurs de béton sont variables.
Surtout, la précision du point de chute n’est pas garantie. Un article parle d’une précision de 3 mètres. Effectivement, dans une version optionnelle du système, le positionnement GPS est rectifié en temps réel grâce à un équipement de plusieurs stations de mesure déployées au sol. Il n’est pas certain que ce soit la version mise en œuvre sur le terrain.
Lors des essais, le rayon de précision ("écart circulaire probable") a été mesuré à environ "5-8 mètres". Ce rayon est celui d’un cercle autour de la cible dans lequel tomberaient 50 % des bombes. C’est la vision militaire. La vision civile est que 50% des bombes frappent au-delà. Cela amène à doubler le rayon de risque, soit plus de 15 mètres, auquel s’ajoute le rayon de l’onde de choc. La précision est relative.
Si deux armées s’affrontent sur un terrain de manœuvre ou s’il s’agit de frapper des installations militaires, des hangars, des radars, des engins, ou une usine de fabrication de composants nucléaires, cette précision peut suffire. S’il s’agit de percer les étages d’un immeuble de logements dont le rez-de-chaussée est visé, à côté d’une école pleine de réfugiés, ce n’est pas de la guerre, c’est autre chose.
En guise de conclusion :
La documentation ici rapportée et commentée, montre que les opérations menées au milieu de la population de Gaza, l’armement utilisé, les dégâts causés, particulièrement sur la population civile, ne sont pas fortuits, ne sont pas l’effet d’un dérapage. Les laboratoires de recherche américains ont, à la demande de l’US Air Force, produit l’armement pour les nouvelles guerres du XXI° siècle qui seront, à leur idée, des guerres en ville visant des "insurgés" au milieu d’une population civile. Gaza a servi de banc d’essai grandeur réelle. Tsahal, de maître d’œuvre. Les programmes de fabrication annoncés, sont de 24.000 (vingt quatre mille) GBU-39 Small Diameter Bombs d’ici 2015.
N’est-il pas temps de réactualiser l’application des Conventions de Genève, et de redire ce qu’est un crime de guerre ?
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PS : On peut noter que la GBU-39 étant guidée par GPS, son usage dépend à tout moment de la bonne volonté américaine. L’armée US, si elle le veut, pour une zone géographique donnée, peut décider de détériorer la précision des satellites de géo-positionnement dont elle a la maîtrise annulant l’efficacité d’un bombardement d’une usine d’enrichissement d’uranium en Iran, par exemple, ou interdisant de fait l’utilisation de ses GBU-39 sur Gaza.
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Sources :
descriptions et videos d’essais : http://www.f-15estrikeeagle.com/weapons/gbu39/gbu39.htm
Global Security.org page : "Small Diameter Bomb / Small Smart Bomb" 18 mai 2006 http://www.globalsecurity.org/military/systems/munitions/sdb.htm
Global Security.org page : "Dense Inert Metal Explosive (DIME)" 12 oct 2006
http://www.globalsecurity.org/military/systems/munitions/dime.htm
Global Security.org page : "Small Diameter Bomb SDB Focused Lethality Munition (FLM)"
http://www.globalsecurity.org/military/systems/munitions/sdb-flm.htm
Boeing : notice technique de la SDB
http://www.boeing.com/defense-space/missiles/sdb/
article Boeing "Boeing Conducts Successful Test of SDB I Focused Lethality Munition" 17 sept 2007
http://www.boeing.com/defense-space/missiles/sdb/news/2007/q3/070917a_nr.html
Boeing : notice technique "SDB Focused Lethality Munition" Août 2008
http://www.boeing.com/defense-space/missiles/sdb/docs/SDB_FLM_overview.pdf
Defense Update International Defense magazin "Small Diameter Bomb (SDB)"
http://www.defense-update.com/products/s/sdb.htm
article du Pittsburg post-gazette 6 avril 2006 : "Air Force cherche une bombe qui fasse moins bang"
http://www.post-gazette.com/pg/06096/679996-84.stm
art. Spacewar.com "Boeing Conducts Test Of SDB I Focused Lethality Munition" 25 septembre 2007
http://www.spacewar.com/reports/Boeing_Conducts_Test_Of_SDB_I_Focused_Lethality_Munition_999.html
Haaretz.com "U.S. to sell IAF smart bombs for heavily fortified targets" 14 sept 2008
http://www.haaretz.com/hasen/spages/1020702.html
US Defence Security Cooperation Agency : 9 sept 2008 notification au Congrès US de l’autorisation de vente de 1.000 systèmes complets de GBU-39 à Israël :
www.dsca.mil/PressReleases/36-b/2008/Israel_08-82.pdf
en html :
http://209.85.229.132/custom?q=cache:I6D8sY7bIwUJ:www.dsca.mil/PressReleases/36-b/2008/Israel_08-82.pdf+GBU-39&hl=en&ct=clnk&cd=1&client=google-coop-np
article du Jerusalem Post du 28 décembre 2008 : "IAF uses new US-supplied smart bomb"
http://www.jpost.com/servlet/Satellite?cid=1230456505080&pagename=JPost%2FJPArticle%2FShowFull
article Le Figaro Novembre 2006 :
http://www.lefigaro.fr/international/20061116.FIG000000163_les_armes_experimentales_de_tsahal_en_accusation.html
Galerie photos Boeing :
http://www.boeing.com/defense-space/missiles/sdb/sdbphotos.html
Vu du côté des civils :
http://ingaza.wordpress.com/2008/12/29/tomorrow-will-be-too-late/#more-737
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