A l'été 2010, le président de la république annonçait une réunion à l'Elysées sur "les problèmes que posent les comportements de certains parmi les gens du voyage et les Roms". Cette déclaration annonçait une très violente offensive hélas loin d'être inédite contre un certain nombre de populations, offensive hélas aussi loin de se calmer. Cette offensive reposait dès le départ sur une série d'amalgames entre différentes populations, amalgames mélangeant des peuples et des modes de vie, des ethnies et des nationalités dont l'identité ne peut paraître commune que de loin (voir à ce sujet la tribune dans Le Monde de Jean-Pierre Liégeois, fondateur du Centre de recherches tziganes). On a parfois du mal à discerner ce qui, dans les plus hautes fonctions de l'Etat, relève de l'ignorance crasse ou de la volonté délibérée de tout mélanger pour tout embrouiller. A l'heure ou la clique gouvernementale manie l'amalgame comme un kikoolol utilise le smiley, on peut se dire qu'on est habitué à la chose et qu'il n'est pas vraiment utile de revenir là-dessus. Pourtant si on peut penser que la majorité de la population française est en capacité de comprendre malgré Guéant ou Sarkozy quelle est la différence entre étranger extra communautaire, musulman, arabe, islamiste, terroriste… il n'en est pas de même pour les termes de manouche, rom, tzigane, gens du voyage… En effet, ces termes ont en commun de désigner des groupes humains parias que les gens, en plus de craindre, ont toujours méconnus, confondus… Le 1er pas vers le respect d'autrui, c'est d'accepter de le connaître, or celles et ceux qui crachent aujourd'hui sur "les gens du voyage" ne savent pour la plupart même pas qu'ils parlent là de personnes de différentes ethnies, de différentes langues, de différentes cultures… A l'inverse, encore aujourd'hui, les Roms se voient généralement refusé le statut de peuple, au nom de leur hétérogénéité. L'objectif de cet article est donc de faire un peu le point sur ces notions afin de lutter par la connaissance contre un des racismes les plus ancrés dans la population. La tâche n'est pas toujours simple car non seulement les travaux historiques et sociologiques sérieux manquent, mais qui plus est on trouve de nombreuses sources discordantes.
L'invention des "Gens du voyage".
Il s'agit officiellement d'une catégorie juridique française créée en 1972. D'un point de vue administratif, il s'agit de légiférer sur les personnes n'ayant pas de lieu de résidence fixe. Depuis toujours et notamment le moyen-âge existe en France une forte volonté de légiférer pour mieux contrôler l'ensemble des populations sans résidences fixes, qu'il s'agisse des personnes exerçant une profession ambulante (mercenaires, saisonniers agricoles, forains, commerçants ambulants, artisans comme les vanniers, les rémouleurs…) ou les personnes ne bénéficiant pas d'un domicile officiel (biffins, vagabonds, habitants de bidonvilles…). L'arsenal législatif permettant de mieux réprimer ces populations se renforce constamment depuis, y compris avec l'article 90 sur l'habitat illicite des récentes lois LOPPSI 2 (analyses
ici et
ici), adopté en septembre 2010 suite à l'offensive suscitée (mais
en partie censuré par le conseil constitutionnel en 2011).
Mais l'introduction du terme gens du voyage dans le droit français a marqué une rupture par son potentiel d'amalgame. Il s'agit de cibler particulièrement certaines communautés comme les Yéniches et les Roms (voir infra). Pire, ce terme va très vite servir à désigner l'ensemble de ces peuples et communautés, quand bien même la majorité de ces peuples sont sédentaires avec un logement fixe et non-mobile (ainsi, on estime que seuls 15% des Roms sont itinérants en France, 4% dans le monde). Il faut bien comprendre que cet amalgame, n'est pas le simple fruit de la déformation populaire mais a été créé en amont par l'Etat. Ainsi par exemple, le
rapport d'Arsène Delamon en 1990 proposait d'inclure dans le compte des gens du voyage, une partie des gitans sédentaires. De même, on trouve dans un certain nombre de pièces administratives officielles la mention de "gens du voyage sédentarisés" (cf. tribune de Liégeois en supra). Ce non-sens absolu montre bien à quel point il s'agit d'amalgames aussi assumés qu'infondés. On peut trouver plusieurs raisons à cela. Les gens du voyage portent chez le bon citoyen une forte connotation péjorative, associée à l'amoralité, la délinquance… y inclure des communautés entières permet de les inclure dans le cliché, de leur faire porter le poids de l'intolérance encore plus fortement. Récent exemple frappant, les trois sœurs qui ont été fauchées sur l'autoroute le 16 mars ont aussitôt été qualifiées par
la presse de "gens du voyage" alors même qu'elles ont toujours vécues en sédentaires à la cité Marseillaise du Castellane (leur famille y vit depuis 35 ans) et cette seule qualification a semblé suffisante pour attirer le soupçon sur les trois sœurs, sur leur famille, à atténuer la gravité du drame…
De plus, la catégorie juridique des gens du voyage institutionnalise des injustices dignes de sous-citoyens, en les soumettant à un flicage assez impensable (obligation de faire viser le carnet de circulation tous les trois mois au commissariat, tous les ans pour le livret de circulation, fichiers de police, restriction du droit de vote…). On voit donc tout l'intérêt qu'il y aurait pour la répression de certaines communautés à les faire rentrer dans la catégorie des gens du voyage. Enfin, la catégorie des gens du voyage, en masquant son hétérogénéité, aide à nier les spécificités ethniques et culturelles qu'elle regroupe (très bonne explication dans
cet article). La catégorie "gens du voyage" opère ainsi pour le compte de l'idéologie dominante un double travail de stigmatisation et d'invisibilisation. Si on ne peut donc qu'être d'accord avec la volonté exprimée dans son
décalogue du palais Bourbon par Marcel Hognon de bannir ce terme, je serai quand même plus nuancé que lui. En effet, de très fortes tensions à tendances racistes peuvent parfois exister entre certaines communautés dites du voyage, exacerbées par le refus de l'amalgame. Or on trouve à l'inverse un nombre assez important de personnes itinérantes mais aussi de sédentaires Roms ou Yéniches se revendiquant comme "voyageurs". Ce vocable dénote alors une forme de solidarité entre toutes ses personnes subissant les mêmes rejets de la part de la société, une solidarité qui va au-delà des différences ethniques, culturelles ou de mode de vie qu'il semble intéressant de ne pas détruire. En conclusion, je dirai donc que les "gens du voyage" en tant qu'entité globale n'existe que de par le rejet commun dont ils sont victimes, mais existent quand même bien puisqu'on leur prête les mêmes tares, qu'on les amalgame continuellement… tant et si bien qu'eux même finissent par ce reconnaître quelque chose de commun ; leur oppression.
Si après lecture de cet article vous souhaitez approfondir, outre les liens disséminés dans l'article, je vous donne ici les liens vers les versions google-boocks de quelques ouvrages de référence dont vous pourrez lire une grande partie gratuitement en ligne avant éventuellement de les acheter.
Le peuple Rom, acceptation large du terme
Nous parlons ici des Roms au sens le plus large (pour le sens restreint, voir plus loin). Le terme Rom désigne ainsi un ensemble de population divisé en sous-groupes ethno culturels qui ont en commun une origine (indienne), une langue (le romani) et certains traits culturels. Mais ce qui permet de considérer une entité globale de ces peuples qu'on regroupe sous un même nom, c'est avant tout le fait que les Roms se reconnaissent comme tel. En effet, le terme rom est un mot de langue Romani (féminin = romni, pluriels = roma, féminin pluriel = romnia) signifiant " homme marié au sein de la communauté" qu'utilise les Roms pour se désigner eux-mêmes quelques soient leur nationalité, leur langue ou le sous groupe auquel ils appartiennent. Le peuple Rom existe donc avant tout de par le fait que ses membres se reconnaissent entant que tel, même s'il peut recouvrir des réalités différentes. En 1971, s'est tenu le premier congrès mondial rom qui a tenté d'institutionnalisé le peuple rom pour mieux le défendre. En est issue l’Union Romani Internationale qui tente de donner une représentation politique aux Roms (représentée à l'Onu et auprès du conseil de l'Europe), d'en défendre les intérêts matériels et moraux, la culture…
Depuis ce congrès, les Roms ont un drapeau officiel
Il existe environ 15 à 20 Millions de Roms se revendiquant comme tel partout dans le monde (si ce n'est en Afrique ou la polémique persiste sur l'appartenance au peuple Rom de certains nomades du nord est de l'Afrique), on lira par exemple avec intérêt
cet article sur les Roms de Colombie.
Pour parler des origines des Roms, on va aller du plus farfelu au plus sérieux, nous commencerons donc par les explications mythologiques. Là encore, les 1ères explications mythologiques (plus précisément bibliques) données par des Gadjé (= non rom), ne l'ont pas été au hasard. Les Roms ont été décrits comme les descendants de Caïn, le 1er assassin de l'histoire, ce qui en ferait à la fois un peuple maudit et un peuple criminel, mais aussi comme des descendants de Cham, le fils de Noé qui pour une histoire de mœurs aurait attiré la malédiction de son père sur un de ses fils, Canaan. Les noirs ont également eu le droit de se voir prêter cette ascendance, toujours dans le même sens dépréciatif, qui en fait des impies, des dépravés décadents. Mais à l'inverse, la fascination pour ce mystérieux peuple a aussi entraîné de multiples mythes plus positifs, des mages de Chaldée aux Atalantes, mythes parfois propagés par les Roms eux-mêmes, sans compter d'autres liés à la confusion avec différents groupes nomades non-rom (origine druidique celte, égyptienne ou manichéenne de Perse) ou avec des lieux où les Roms ont stationné (origine mongole, turque apparentée aux Mamelouks…).
Parmi les légendes racontées par les Roms eux-mêmes, une d'entre elle, qui les feraient descendre du roi mythique indien Rama se rapproche de la vérité, bien qu'il n'y ait pas de lien étymologique entre les termes Rom et Rama comme certains l'ont affirmé. Une autre source ancienne s'approche elle aussi la vérité sans la donner tout à fait, il s'agit des
Chroniques persanes de Hamza d'Ispahan, récit légendaire popularisé en occident au siècle suivant par le poète Ferdowski, racontant l'histoire d'un peuple musicien nomade qui aurait quitté le nord de l'Inde vers 900 pour aller divertir le roi de Perse et qui, de là, se seraient dispersés. De fait, il est actuellement scientifiquement admis que les Roms viennent du nord de l'Inde et que la plus grosses vague d'émigration depuis l'Inde a eu lieu aux alentours du 10è siècles. C'est d'ailleurs à peu près tout ce qui fait absolument consensus. En 1630, un texte démontre que les Roms avaient encore conscience de leur origine indienne (du moins certains d'entre eux), mais par la suite, cette vérité à cédé la place aux légendes. C'est en 1754 qu'une rigoureuse étude linguistique du théologien hongrois Wáli István a démontré l'origine indienne du romani, et donc des Roms. Depuis, des études modernes de linguistique, mais aussi de
génétique ont confirmé avec certitude que les Roma ont une origine commune du nord de l'Inde. Pour plus de précision, les hypothèses restent à confirmer. L'idée d'une origine mythique du peuple Rom, descendants d'une très ancienne civilisation autrefois supérieure mais depuis disparue a été souvent avancée et revient régulièrement. De manière plus crédible, beaucoup font descendre les Roma des Rajputs, peuple du nord-ouest de l'Inde auquel on prête déjà de nombreuses origines mythiques, dont la majorité des membres appartenaient aux castes les plus élevées (les Kshatriyas) du fait de leurs faits d'armes contre l'invasion musulmane en tant que peuple mercenaire. L'idée d'un peuple Rom issu d'un unique groupe ethnique Rajput est probablement fausse, cependant cette théorie comporte une part de vérité. Il y avait effectivement vraisemblablement des Rajputs parmi les ancêtres des Roms. Après la linguistique, l'histoire, la génétique, c'est l'ethnosociologie qui a permis de donner la primeur à une théorie non-ethnique des Roms, cependant, là aussi la linguistique vient corroborer cette hypothèse puisque le terme Rom vient sûrement du mot indien
Doma qui désignait un ensemble de population plus ou moins nomades, du moins relégués aux marges de la société brahmanique car considérés comme hors-castes (
çandales). Parmi ces
Doma, on trouvait des personnes de différentes ethnies mais aussi de rangs sociaux les plus divers, des Rajpouts aux intouchables en passant par des personnes déclassées d'une caste intermédiaires, ayant pour point commun d'être considérés comme impurs (le mercenariat exercé par les Rajpouts leur attirait une certaine opprobre malgré leur statut hautement noble) souvent du fait de leur métier (les métiers liés à la viande, aux ordures, à la mort, à certaines formes d'artisanat et d'art…), parfois proscrit pour des raisons morales ou de mœurs. Ainsi, on ne pouvait alors pas parler d'un peuple, mais simplement d'une communauté, sans homogénéité ethnique, sociale ni même géographique, bien que majoritairement situé au nord-ouest de l'Inde. La linguistique (qui, décidément, peut casser des briques) permet également de dater à peu près le départ d'Inde des Roms (voir
le 3ème texte, projet de cours universitaire). L'évolution dans le temps des différentes langues indiennes étant assez bien connue, la structure du Romani permet de savoir à quel moment il s'est détaché. La migration se situe donc entre le 3
ème et le 11è siècle. Il est en effet probable que la migration ne se soit pas fait en une seule fois mais en plusieurs vagues, cependant la grande majorité des départs d'Inde eut lieu vers le 9
ème siècle pour fuir la répression musulmane qui suivit leur invasion. Beaucoup de sources indiquent que ce n'est qu'aux 9
ème /10 ème siècles que les futurs Roms émigrèrent. En réalité, il parait établi que des groupes de moindres importances c'étaient déjà installé en différents lieux d'Asie centrale, sûrement pour échapper à la rigueur de la vie de parias imposée par la structure brahmanique de la société, dès le 4
ème siècle. Cependant, ce n'est qu'à partir du 10-11
ème siècle qu'on peut parler d'un peuple Rom créé encore une fois par le rejet des dominants, avec leurs spécificités culturelles, leur langue qui n'a plus suivi les évolutions des langues indiennes mais s'est enrichie d'apports extérieurs... En effet, en plus de servir de carbone 14, la linguistique sert aussi de GPS, le Romani comportant dès le début des emprunts aux langues qui se parlaient alors en Afghanistan ou en Iran (où il reste une communauté rom importante).
Les grandes branches Roms.
On l'a vu, il y a bien unité du peuple Rom, dans leur propre conscience avant tout, mais également d'un point de vue historique, génétique, linguistique et, depuis 40 ans, d'un point de vue de représentation institutionnelle. Cependant, les Roms ont connu différente vagues de migrations, certains groupes sont restés longtemps dans certaines régions du monde. Leur culture s'est métissée avec les cultures locales, sans compter le poids de la répression, inégal, qui fait que des millions de Roms se sont par exemple vu interdire de parler le romani. La langue et la culture rom se sont imprégnées des cultures dominantes, mais aussi des autres cultures parias qu'elles ont côtoyées (sur les différentes cultures roms, on lira avec intérêt,
l'exemple de l'alimentation par Alain Reyniers). On distingue généralement trois grandes branches rom, les Roms, les Sinté et les Kalé (auxquels certains rajoutent quelques groupes comme les Boyash de Hongrie ou les Ashkali d'Albanie). J'ai bien parlé des Roms, car il y a un double sens à ce mot responsable de nombre de confusions. Le mot Rom peut désigner l'ensemble du peuple (voir plus haut) ou une de ses branches, ce qui amène le conseil de l'Europe à écrire dans
son glossaire (document qu'on peut consulter sans hésitation en guise de synthèse car le conseil de l'Europe a fait de gros efforts – qui n'empêchent pas la persistance de traits tziganophobes – pour avoir une vision moins exogène du monde Rom en consultant notamment plusieurs chercheurs Roms dont Marcel Courthiade, responsable de langue et civilisation romi à l'Institut national des langues et civilisations orientales et secrétaire adjoint de l'Union romani internationale) cette phrase d'allure ubuesque : "Les Roms sont – avec les Sintés et les Kalés - une des trois grandes branches des Roms". La confusion est d'autant plus grande que la branche Roms est de loin numériquement la plus importante et que certains Roms (sens restreint) appuient eux-mêmes la confusion de manière à ce que l'ensemble des Roms (sens large) leur soient assimilés.
Ø Pour faire simple (et donc forcément un peu grossier), les Roms (sens restreint) sont la branche qui a gardé le plus de liens avec leurs origines indiennes, ils sont surtout présents en Europe de l'est et dans les Balkans ainsi qu'en Asie, mais ont plus récemment migré aux quatre coins du monde, dont l'Europe Occidentale. Globalement, bien qu'ils aient subi de multiples persécutions, leur langue, le romani, est mieux préservée que dans les autres branches. Bien que souvent relégués dans les bidonvilles, cette branche est très majoritairement sédentaire.
Ø Les kalé sont le nom endogène de ce qu'on appelle couramment les gitans. Cette branche s'est installée en Europe de l'ouest principalement dans l'Etat espagnol mais aussi le sud de la France (à la marge, quelques groupes ont remonté l'Europe vers la Grande-Bretagne et la Scandinavie, tels les Kaalé de Finlande) depuis plusieurs siècles. Leur langue ayant été très sévèrement réprimé, particulièrement dans l'Etat espagnol, ils parlent peu le Romani, ayant adopté le Kalo mélange de castillan (langue courante et argot) ou de catalan (en catalogne) ou de basque (pour les erromintxela) et de romani. Ils vivent souvent de manière sédentaire mais il y en a un nombre certain d'itinérants.
Ø La troisième grande branche, ce sont les Sinté. Eux sont arrivés en Europe centrale et occidentale depuis plusieurs siècles, notamment par l'Allemagne, ils sont surtout présents dans les régions germanophones, dans le nord de l'Italie, en Europe du nord, et dans la moitié nord de la France (où ils sont souvent appelés Manouches). Leur langue, le sinto (ou romnepen) est une évolution de Romani, imprégnée d'Allemand mais aussi d'autres langues parlées dans les marges qu'ils ont côtoyé (le rotwelsch - argot allemand, le yiddish…). Les Sinté comptent beaucoup d'itinérants, il semble d'ailleurs qu'une bonne partie de leur processus de sédentarisation ait été contraint.
A noter que les Roms (sens restreint) parlent majoritairement le Romani, sous plusieurs variantes mais qui forment une seule langue, tandis que le Sinto et les Kalo, langues majoritairement parlées par les Sinté et les Kalé (bien que certains d'entre eux, notamment chez les Sinté, parlent Romani), sont ce qu'on appelle des pidgins (processus proche du créole), donc des langues séparées bien que liées au Romani.
Les sous-groupes (endajas)
Nous ne rentrerons pas dans les détails ici car cela demanderait un ouvrage entier, mais les Roms, quelques soient leur branche, se subdivisent en différents groupes, des endajas (terme romani qu'on pourrait traduire par clan, certains parlent de famille, mais il ne faut alors pas le prendre au sens génétique du terme). Il en existe des dizaines dont le nom se rapporte souvent à un nom de métier ou de lieu auquel est lié l'endaja en question. Ces endajas peuvent avoir des coutumes, des variations linguistiques ou des religions différentes, mais ceci est plus souvent lié au pays où ils vivent que propre à leur endaja. La classification la plus pertinente que j'ai trouvée reste celle de Marcel Courthiade dans le rapport de Alexandra Raykova du séminaire
"Cultural Identities of Roma, Gypsies, Travellers and related Groups in Europe" organisé à Strasbourg en 2003 par le conseil de l'Europe et dont le titre est "The Rromani Endaja (Groups)" (dernier texte du rapport, malheureusement pas trouvé en français sur le net).
Comme nous l'avons vu en introduction, la France assimile un certains nombre de groupes non-Roms à ceux-ci via la case "gens du voyage". Mais ceci n'est pas spécifique à la France et il en va de même un peu partout. Il y a à cela plusieurs raisons. Tout d'abord, le racisme qui pousse, comme on l'a vu en intro, à volontairement créer la confusion. Il y a aussi, un racisme ordinaire qui fait qu'en Europe occidentale, tous ceux qui vivent différemment, qui sont nomades, qui ont des coutumes différentes, sont assimilés en un tout par méconnaissance et préjugés. Il y a également les effets collatéraux du racisme et de la répression contre les Roms, qui ont poussé certains groupes à se nier en tant que tels pour échapper aux persécutions, au point d'en avoir aujourd'hui réellement oublié leur appartenance à ce peuple bien que leur origine soit aujourd'hui clairement démontrée, comme pour certains Ashkalis (c'est le même processus qui a créé des poussées de tziganophobie chez certains groupes comme les yéniches qui souffraient d'êtres trop souvent associés aux Roms et de subir leur sort). Mais il y a aussi les aléas de l'histoire, qui rendent parfois compliqué de définir si certains groupes sont des groupes Roms ou non. D'une part, les sources écrites anciennes sont souvent exogènes et donc bourrées d'erreurs et de confusion. D'une autre part, les groupes Roms n'ont jamais été hermétiques. Nous l'avons vu, le peuple Rom ne s'est pas créé autour d'une ethnie mais d'un ensemble de parias, cette origine a connu de multiples prolongements. D'autres groupes nomades où rejetés de la société par les classes dominantes se sont mélangés avec des Roms, les mariages entre Roms et Gadjé sont courants, par exemple avec des Yéniches en France…
On ne sait pas grand-chose des Yéniches. Il s'agit d'un groupe vivant principalement en Suisse, en France, au Bénélux, en Autriche et en Allemagne, mais il s'en trouve aussi en Hongrie, en Serbie, en Biélorussie… On ne sait pas combien il y a de Yéniches, mais les estimations tournent autour du Million (disons entre 600 000 et 1,5M). A l'origine, les Yéniches étaient un peuple nomade, mais aujourd'hui, la majorité est sédentaire (
14.5% de nomades en Allemagne, 7% en suisse, 10% en Autriche…). Cette sédentarisation n'est pas tant le fait d'une volonté d'adaptation que de politique de répression et de contraintes par les méthodes les plus ignobles, notamment en Suisse comme le décrivent si bien Thomas Huonker et Regula Ludi dans leur livre
Roms, Sintis et Yéniches - La "politique tsigane" suisse à l'époque à l'époque du national-socialisme, ou Sophie Malka dans
un article pour le journal suisse Le courrier. Les Yéniches ont beaucoup été assimilés aux Roms (parfois appelés "Roms blancs" ou "tziganes blonds") et ont souffert du même racisme, ce qui explique en partie le rejet des Roms par une partie d'entre eux (on trouve sur le net foison de légendes sur les Roms que les Yéniches accusent de prostituer leurs enfants, ou en retour sur les Yéniches auxquels les Roms reprochent de manger les chiens). De fait, comme les Roms, les Yéniches vivent aux marges de la société, sont parfois nomades, ont beaucoup vécus des mêmes petits métiers d'artisanat (rémouleurs, vanniers, rempailleurs…) ou d'art (musique, sport, spectacle de rue…).
De fait, peu de gens se sont intéressés aux Yéniches en particulier, exception fait de Christian Bader et son remarquable
Yéniches. Les derniers nomades d'Europe dont une bonne partie est gratuitement lisible
ici, et il faut souvent chercher les informations chez des spécialistes des nomades en général ou des Roms comme Alain Reyniers ou Paul Dolle. Pourtant, si on ne sait pas grand-chose des Yéniches, il est sûr qu'ils ne sont pas roms. Ils ont leur propre langue avec ses dérivés locaux, le Yéniche, généralement mêlée de Welshe, de Rotwelsh, de Yiddish, de Romani… Leur origine est indéterminée mais il est sûr qu'ils sont de souche européenne. Eux-mêmes se revendiquent souvent d'origine celte, ce qui est loin d'être établi, mais relativement probable notamment d'un point de vue linguistique, surtout qu'on ne sait pas très bien ce qui est advenu des populations celtes d'Allemagne ou de Suisse (que certains considèrent comme s'étant pleinement assimilé au reste de la population). Si l'origine hébraïque des Yéniches est clairement farfelue, cette légende persistante s'explique du fait que ses deux populations repoussées aux marges de la société se sont beaucoup mélangées et que nombre d'actuelles familles Yéniches ont des origines juives (dans une moindre mesure, on peut dire la même chose des Roms). L'hypothèse que je juge la plus intéressante est pourtant fausse. Des sources désignent les Yéniches comme descendants de groupes de déserteurs Allemands et de migrants suisses pour des raisons économiques aux cours du 17è siècle. Cette version par exemple soutenue dans
un numéro de Courant alternatif est fausse car l'existence des Yéniches est attestée bien plus tôt que ça (de plus, cette explication pose un problème quant au catholicisme des yéniches qui seraient alors protestants), cependant elle comporte une part de vérité. En Europe occidentale, des groupes de paysans ou d'habitants pauvres des périphéries urbaines, ont depuis le moyen-âge, vécu en marge de la société pour des raisons économiques et parfois judiciaires. Vivant plus ou moins caché, plus ou moins nomade, ils formaient des groupes à la fois fermés (à la bonne société) et ouverts (à toutes les marges), vivant de petits métiers, de maraude et de brigandage. Il est pour moi acquis que les Yéniches actuels, leur culture et leurs mœurs proviennent partiellement de ces groupes hétéroclites, ce qui n'est pas contradictoire avec l'existence d'un groupe ethnique historique Yéniche (probablement celte, donc).
Si au niveau mondial, les Yéniches sont beaucoup moins nombreux que les Roms, Alain Reyniers et beaucoup d'autres y voient le groupe dominant parmi "les gens du voyage" en France et encore plus parmi les nomades. La majorité de ceux qu'on appelle manouches en France, sont en réalité des Yéniches. La forte influence allemande renforce y compris chez les gadjé les plus ouverts d'esprit la confusion entre Sinté et Yéniches.
Il s'agit là d'un peuple nomade irlandais également appelé Travellers mais on se méfiera de cet autre terme qui, signifiant voyageurs en anglais, à également une dimension fourre-tout s'approchant de la notion française de gens du voyage. Les controverses sur leurs origines font fortement penser à celles sur les Yéniches (avec lesquels ils pourraient avoir des origines communes bien que ce ne soit pas prouvé). D'une part on les a souvent dit descendant des paysans privés de terres lors des guerres de la 1
ère moitié du 17
ème siècle alors qu'il est prouvé qu'ils existent depuis le 12
ème siècle, d'autre part ils se reconnaissent parfois eux-mêmes comme descendant d'un peuple nomade celte appelé Tarish. Tout comme pour les Yéniches, le plus sensé est de considérer qu'il y a une souche ethnique propre à laquelle s'est adjointe au cours des siècles un certain nombre de rejetés de la société (dont les fameux paysans). C'est un peuple initialement nomade (d'où leurs noms de travellers = voyageurs, itinerants (nom officiel irlandais) = itinérants, Lucht Siúil = peuple marchant en irlandais, tinkers = nom d'une race de cheval…) en forte voie de sédentarisation (mais pour eux la contrainte est plus globalement économique que physique et judiciaire comme elle l'a été pour les Yéniches suisses). Les Pavees parlent le Shelta, langue assez proche du gaëlique d'Irlande, avec des inserts d'anglo-Romani. Ils viennent d'Irlande et leur aire de répartition fait écho aux principales migrations économiques irlandaises, on en trouve donc principalement au Royaume-Uni (où ils sont reconnus comme minorité ethnique) et aux Etats-Unis (où certains ce sont mêlés aux migrants Roms, notamment Kalé). Les pavees se sont dotés d'une organisation représentative appelée
ITMB.
Cet endonyme désigne un peuple nomade de la péninsule ibérique, couramment et péjorativement appelés quinquis pour quincailler, métier qu'ils pratiquèrent beaucoup. Leur trace remonterait au 17è siècle ce qui fait dire à certain, comme Jesus de la Heras (La España de los Quinquis, 1974) qu'il s'agirait à la base de musulmans devenu nomade pour échapper dans la clandestinité à l'arrêté d'expulsion de 1610, d'autres y voient plutôt les descendants de paysans spoliés de leur terre. Christian Bader, op cit., voit la possibilité d'une ascendance celte les rapprochant des Pavees et des Yéniches, il dispose cependant à cet effet plus de présomptions et d'indices que de preuves ou d'éléments vraiment déterminants. Depuis la deuxième moitié du 20ème siècle, de nomades ruraux les Mercheros se sont vu rabattus par l'exode rural et la répression franquiste vers les banlieues des grandes villes. Leur langue est une sorte de castellan archaïque, mêlé d'un argot propre et, selon des sources controversées qui appuieraient la thèse d'une origine commune avec les Yéniche d'argot germanique proche du Rotwelsh. Les auteurs du livre People of Europe estiment leur nombre à 150.000.
Peuple semi-nomade vivant autour de Nato, dans la province de Syracuse en Sicile (même si on en trouve un peu dans les banlieues des grandes villes du reste de l'Italie) qui a longtemps vécu de l'artisanat traditionnel et vit aujourd'hui surtout de la récupération, du recyclage et de la revente. Pas d'hypothèse celte pour les Camminanti, l'idée la plus courante et dont ils se réclament eux-mêmes seraient qu'ils descendent de communautés semi-nomades purement autochtones siciliennes. D'autres comme Giulio Soravia, professeur de linguistique à l'Université de Bologne et auteur de différents documents sur les Roms en Italie, cité par Bader (op. cit.), estime-lui qu'ils descendent de Roms qui seraient arrivés en Sicille d' Albanie vers le 14è siècle (donc séparément des autres Roms arrivés en Italie au 15ème siècle par le nord, la 1ère trace établie remonte à 1422 à Bologne). Leur langue est composée d'argots italiens, calabrais, sicilien et proches de l'arbereshe (variété d'albanais parlée dans le sud de l'Italie).
Il m'était d'abord paru qu'il n'est pas possible de parler des Roms et des "gens du voyage" sans parler de la Tziganophobie. Sauf que c'est un sujet bien vaste qui mériterait un article à lui seul (qui sait, peut-être un jour…). Il serait hors de question d'en parler sous le seul aspect humaniste, sans essayer de rentrer dans le détail d'analyse, sans chercher à séparer ce qui tient du racisme social, du racisme ethnique, de la bêtise humaine pure, des relations traditionnellement tendues entre peuples différents. Je me suis donc dit qu'à moins de doubler au moins le volume de cet article, je n'avais plus qu'à renoncer à en parler. Et puis, j'en ai tiré mon parti et je ne regrette pas, le but de ce article était de comprendre qui sont ces catégories de population, pas de les réduire à l'état de victimes éternelles. Comme je ne suis pas vache, je vais quand même conseiller deux ou trois sites à celles et ceux qui ne veulent pas attendre un hypothétique article spécifique. Ce sont des sources que j'ai jugé intéressantes, ce qui ne signifie pas que j'adhère à tout ce que vous y trouverez. Il y a tout d'abord
ce blog qui outre quelques articles intéressants sur la tziganophobie contemporaine retrace de manière très complète l'histoire de la tziganophobie en passant par le génocide de la 2
nde GM. Sur ce génocide en particulier, on peut écouter
cette émission de Mermet, toujours vivante et pertinente. Pour un exemple précis et fouillé, au plus près de chez nous,
cet article de Jacky Tronel est très instructif.
Quelques termes associés aux "gens du voyage"
Ce terme suranné n'est plus guère utilisé en français pour désigné les Roms alors que ça a longtemps été le plus utilisé. Cependant, c'est lui qui est à l'origine du mot gitan et du terme gypsy. De fait, on a au travers de l'histoire beaucoup prêté aux Roms une origine Egyptienne, or il appert qu'il n'est même pas établi que les Roms soient passés par l'Egypte (où il y a cependant des peuples nomades anciens ayant des similarités avec les Roms mais dont l'origine pourrait être séparée). Il semble en fait que deux histoires se soient mélangées. D'une part les 1ers Roms à être arrivés massivement en France venaient de ce qu'ils appelaient la petite-Égypte, région qui se situaient en réalité dans le Péloponnèse, d'autre part l'Asie Mineure et les Balkans avaient vu transiter au 4è siècle d'importantes colonnes de militaires venus d'Egypte (la vraie) laissant des traces importantes dans les mémoires ce qui fait que quand les premiers Roms atteignirent l'empire byzantin, on les assimila à ces "d'Aiguptianoi" (= égyptiens). Il n'est d'ailleurs pas exclu que les deux explications se rejoignent car si les Roms arrivés en actuelle Grèce se firent appeler Egyptiens, il n'y a rien d'illogique qu'on ait baptisé la région du Péloponnèse où ils étaient le plus concentrés "petite-Égypte", ce qu'ils auraient transmis dans leur migration, y gagnant ainsi définitivement et dans plusieurs langues la réputation d'égyptiens.
Lorsque les premiers Roms arrivèrent en Europe occidentale (1
ère mention en France à Macon en 1419), ceux-ci disposaient de lettres de recommandation de Sigismond 1
er empereur romain germanique qu'il avait écrites en tant que roi de Bohème (notamment une en 1417 et une en
1423, reproduite ici). C'est donc très naturellement qu'on se mit à les appeler Bohémiens (la 1
ère trace écrite du terme pour parler des Roms date de 1467). A partir du 19
ème siècle le terme fut généralement remplacé par Tsigane. Par extension (et par amalgame), ce mot désigna (et, rarement, désigne encore) tout groupe nomade, vagabonds et déclassés.
Ce terme désignant les Roms est arrivé en France vers la moitié du 19
ème siècle. Il s'est surtout imposé après la 2
nde guerre mondiale, car c'était le terme officiel utilisé par les nazis (zigeuner en Allemand). Le mot tzigane pourrait venir du grec Atsinganos (via le russe tsigan) qui désignait une secte manichéenne disparue avant l'arrivée des Roms dans l'empire byzantin mais à laquelle ils auraient été associés. Souvent le terme tzigane (ou son équivalent de même étymologie) a une connotation péjorative (il désigne alors n'importe quel peuple occidental plus ou moins nomade) et de nombreux linguistes et militants roms refusent l'utilisation de ce mot : d'une part du fait de son étymologie qui ne désigne pas les Roms, d'une part par l'amalgame péjoratif qu'il peut recouvrir, par son utilisation par les nazis ou encore par ce que ce terme est purement exogène, c'est par exemple le cas de l'Union Rom Internationale et de Marcel Courthiade. Mais attention, l'utilisation du terme tzigane ne signifie pas automatiquement tziganophobie, des défenseurs des Roms comme Liégeois, fondateur du
Centre de Recherches Tsiganes utilisent souvent le mot tzigane, ou encore des associations comme
l'UFAT (Union Française des Associations Tziganes) ou la
FNASAT (Fédération Nationale des Associations Solidaires d'Action avec les Tsiganes et les gens du voyage) qui publie la passionnante revue
études tziganes. Dans tous ces cas où le mot n'a aucune connotation péjorative, il est utilisé pour parler de ce qu'ont en commun les différents peuples associés aux "gens du voyage" (condition de vies, répression, racisme…) et non plus pour parler du peuple Rom. Il devient pour ainsi dire le pendant conscient et positif du terme "gens du voyage", reprenant pleinement ce que je trouvais en début d'article de positif au terme "voyageurs".
Bon, je sais, normalement, il n'y a pas besoin de le préciser, roumain, signifie de nationalité roumaine. En soit, ça n'a rien avoir avec la choucroute, roumain peut désigner n'importe quelle ethnie, n'importe quel mode de vie. Pourtant les confusions, toujours entretenues par les pouvoirs en place, sont légion. Il y a à cela deux principales raisons ; d'une part la ressemblance homophonique entre les termes roumain et rom, d'une autre part le fait que de nombreuses personnes ayant récemment immigré en France se trouve être de nationalité roumaine et d'ethnie rom. Ainsi, l'un des deux qualificatif est souvent utilisé en lieu et place de l'autre, des personnes de nationalité roumaine mais d'une des 17 autres ethnies reconnues en Roumanie se verront ainsi qualifier de Rom tandis que de nombreux Roms ayant une toute autre nationalité se verront qualifier de Roumains. Encore une fois la confusion est généralement porteuse d'infamie, elle permet d'accabler des Roma français des maux infligés aux immigrés d'Europe de l'est et d'accabler les immigrés roumains des maux infligés aux roma. Dans tous les cas, on parle surtout des roumains pour dénoncer l'invasion, l'incivilité et la délinquance, comme le prouve l'affiche xénophobe ci-dessous.
http://red-and-rude.blogspot.com