Glyphosate : la carte de Nicolas Hulot pour sauver son mandat ?
Dans son intervention télévisée le 15 octobre dernier, le Président de la République n’a pas eu un seul mot pour l’écologie et pour la transition énergétique. Un « oubli » qui en dit long sur la place de Nicolas Hulot dans le gouvernement. Contraint de trouver des compromis, voire d’abandonner ses principales promesses, le ministre cherche une bouée de sauvetage lui permettant de défendre sa réputation de militant écologiste. L’interdiction du glyphosate pourrait être le recours d’un ministre de plus en plus marginalisé, même si cela risque de coûter cher à l’agriculture française.
De l’espoir chez certains, de l’incompréhension chez d’autres. Les sentiments suscités par la nomination de Nicolas Hulot au ministère de la Transition écologique ont été mitigés, mais la nouvelle n’a certainement laissé personne indifférent.
Le Syndicat des énergies renouvelables avait par exemple salué « l’arrivée d’une grande figure de l’écologie », tandis que le Syndicat des professionnels de l’énergie solaire (Enerplan) et son président, Daniel Bour, s’étaient félicités de cette nomination tout en soulignant que Nicolas Hulot « est une des personnalités préférées des Français. La vision transversale qu’il défend créera l’impulsion à la mise en œuvre de nouveaux modèles économiques, sociaux et sociétaux en phase avec le programme présidentiel », voulait croire Enerplan.
D’autres étaient nettement plus sceptiques et lui prédisaient, à l’instar de sa prédécesseur Delphine Batho, « des arbitrages difficiles malgré sa très forte popularité ». Pour sa part, Dominique Malvaud, de l’association Stop nucléaire, pronostiquait que « Nicolas Hulot, avec ses petites mains, ne ferait pas grand-chose. Le danger, en entrant dans ce gouvernement, c’est qu’on lui donne l’illusion qu’on va faire quelque chose, or il ne fera rien ».
Qui d’entre les optimistes et les pessimistes s’avère avoir eu raison ? La réponse est plus simple qu’on ne l’imagine, à en croire Hélène Jouan, cheffe du service politique d’Europe 1. « À chaque fois qu’il veut bouger une ligne, ce sont des herses qui se hérissent », résume la journaliste dans un éditorial diffusé mercredi 13 septembre. Et d’évoquer notamment la loi hydrocarbure, visant à stopper la production française de pétrole.
Bien que le secteur en France soit pour le moins modeste, le ministre a eu le plus grand mal à convaincre les opérateurs, les collectivités et les élus, et devra se contenter d’une « fin progressive » de la production d’hydrocarbures.
Faible marge de manœuvre
En acceptant d’intégrer le gouvernement, Nicolas Hulot « n’a rien dealé de précis, même pas le sort de Notre-Dame-des-Landes. Son propre cabinet n’est pas totalement à sa main, il n’a pas de force politique constituée pour peser à ses côtés, il n’a pas fait de sa propre fondation un bras armé qui aurait pu l’aider à engager un bras de fer et il est très isolé dans un gouvernement qui n’a jamais fait sienne l’idée de remettre en cause la logique productiviste, qu’elle soit industrielle ou agricole », analyse l’éditorialiste.
Et pourtant… Le ministre de la Transition écologique n’a-t-il pas remporté une victoire majeure sur le dossier du glyphosate ? Après avoir déçu les associations environnementales sur le dossier des perturbateurs endocriniens (la France ayant, contrairement à son habitude, voté pour la proposition de la Commission européenne), le ministre s’est manifestement rattrapé en annonçant que Paris votera contre le renouvellement de l’autorisation du principal agent actif du désherbant le plus vendu au monde, le Roundup. Ce matin sur RTL, Nicolas Hulot a réaffirmé sa volonté de voir interdire le glyphosate en Europe d’ici 5 ans.
La victoire serait d’autant plus importante que la position de la France dans ce dossier est déterminante. En effet, une majorité qualifiée (55 % des États membres représentant 65 % de la population de l’Union) est requise pour renouveler la licence du glyphosate dans l’Union européenne.
Or, Nicolas Hulot fait partie d’un gouvernement qui n’est pas particulièrement connu pour être écolo-friendly. Le Premier ministre, cela a été relevé, est un ancien cadre d’Areva qui avait pour mission principale de « s’assurer de la collaboration de parlementaires acquis au lobby de l’atome », comme l’expliquait l’Observatoire du nucléaire.
Victoire à la Pyrrhus
Et l’on sait que le gouvernement n’est pas unanime au sujet du glyphosate. Si Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement, a assuré lundi 25 septembre que le Premier ministre avait « arbitré » et que le glyphosate allait être « interdit en France d’ici à la fin du quinquennat », il est revenu sur ses propos peu après en expliquant qu’il s’agissait en réalité de chercher des produits de substitution d’ici à la fin du quinquennat. On sait que l’interdiction de cet herbicide reviendrait à mettre en difficulté une grande partie des exploitations agricoles françaises.
M. Hulot, contraint de céder sur tous ses dossiers, compte bien s’accrocher à sa « victoire » sur le glyphosate pour sauver sa réputation et sa crédibilité en tant que militant écologiste. Un gage donné aux associations et aux lobbies verts, hyperactifs sur cette polémique. Ces derniers balaient d’un revers de la main toutes les études rassurantes sur le sujet par EFSA, EPA, etc et n’utilisent dans leurs argumentaires que les conclusions du Centre International Contre le Cancer (CIRC). Une institution régulièrement décriée par le reste du corps scientifique pour son acceptation plutôt « souple » de l’indépendance et de l’objectivité. Habitué aux déclarations à l’emporte-pièce (il avait classé la viande rouge comme « probablement cancérigène » il y a quelques années) l’organisme est un « bon client des médias ». Selon des documents judiciaires examinés par l’agence de presse Reuters, le CIRC aurait même sciemment ignoré des publications scientifiques qui révélaient qu’il n’existait aucun lien entre le cancer et le glyphosate.
Les associations écologistes et Nicolas Hulot s’appuient donc sur les conclusions d’un organisme plus politique que scientifique. Les analyses du CIRC sont d’autant plus sujettes à suspicion que pour sa dernière étude sur le glyphosate, l'institut a invité un scientifique extérieur à l'organisme, Christophe Portier. Seul Bémol : celui-ci était à ce moment là consultant pour une association écologiste, l'Environmenta Defense Fund et depuis, M. Portier a signé un contrat de 160 000 dollars en tant que « consultant en litiges » avec deux cabinets d’avocats américains qui se préparaient à poursuivre Monsanto. On comprend mieux pourquoi, soudainement, l’organisme est devenu le grand contempteur du glyphosate. Une situation qui n’empêche pas le ministre de s’appuyer sur ces études pour défendre l’interdiction du glyphosate à Bruxelles.
Gare toutefois à une victoire à la Pyrrhus ! Une sortie du glyphosate pourrait s’avérer désastreuse pour un secteur déjà extrêmement fragile. D’après la Fondation Concorde, un think thank qui a rassemblé plusieurs experts du monde agricole pour produire un rapport sur ce sujet, l’interdiction de l’herbicide pourrait représenter un surcoût de presque un milliard d’euros pour le monde agricole, une somme colossale. Pour David Greffin, président de la section Île-de-France de la FNSEA, premier syndicat agricole, les paysans ont déjà fait des efforts considérables pour limiter le recours aux produits phytosanitaires. Mais « ces efforts n’ont pas encore payé. Aujourd’hui, il n’y a pas de moyen de substitution aussi efficace que le glyphosate. L’agriculture française n’est pas prête à une interdiction de cet herbicide comme le souhaiterait la France. Ce serait une atteinte forte à la compétitivité de nos exploitations déjà souvent en grandes difficultés », prévient M. Greffin dans les pages de 20 Minutes.
Les agriculteurs se disent inquiets, voire franchement « en colère » face au risque de voir exploser les couts de production tout en subissant une baisse de rendement. Est-ce le prix qu’ils devront payer pour permettre au ministre de la Transition écologique de défendre ses convictions et sa réputation jusqu’au bout ?
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