Gnosticisme... la grande hérésie
En 1945, dans les sables de haute Egypte, a été exhumé un ensemble de papyrus qu'on appelle la bibliothèque de Nag Hammadi. Cette découverte a permis de saisir un pan entier, de l'une des formes disparue du christianisme primitif... le gnosticisme.
Ainsi a été profondément renouvelé notre vision d'un mouvement philosophique et théologique très intense, mais très marginal.
Aucun texte dit "gnostique" ne figure en effet dans le canon du nouveau testament, pourtant représentatif de la diversité des courants chrétiens.
Le deuxième siècle, période où le christianisme s'organise et où le judaïsme s'est réorganisé et a marginalisé certains de ses courants, est un siècle de foisonnement, de fermentation religieuse. Dans un monde juif et chrétien, qui nait de deux fractures : la fracture de l'ouverture des chrétiens aux payens et la fracture de la destruction du temple et donc d'un judaïsme qui se réorganise autour du courant pharisien, on voit s'affirmer des deux cotés une forme d'orthodoxie, d'orthopraxie, de normativité, pour maintenir une communion, qui, face à des groupes, des groupuscules, les "haereseis", tendent à s'affirmer en peuple ou en église. Donc, d'une certaine façon les hérésies précèdent les orthodoxies.
Le christianisme gnostique est un phénomène très complexe. il existait un grand nombre de groupes gnostiques, d'où circulaient tellement de points de vus différents, qu'on ne pouvait pas parler du gnosticisme comme d'une seule et même doctrine. Mais ces différents groupes avaient un point commun...le salut ne venait pas de la mort et de la résurrection de Jésus. Pour eux, seules la vérité et la connaissance menaient au salut. D'ailleurs "gnosis" signifie "connaissance" en Grec. On appelait donc gnostiques, ceux qui avaient la connaissance. Les gnostiques posaient un problème aux pères de l'église, parce qu'il était difficile de les différencier des autres chrétiens. Ils prétendaient posséder la connaissance. Un gnostique pouvait être d'accord avec ce que disait un autre chrétien, mais il avait une interprètation secrète de ce savoir.
GNOSE CONTRE APOCALYPSE :
La "gnose" ouvre à la connaissance par la révélation, l'illumination, par la connaissance de soi comme moyen d'atteindre le salut. La gnose est une tendance très caractéristique du deuxième siècle dans les cercles chrétiens. Qui a vraiment contaminé les débuts du christianisme.
Aux origines du christianisme, le courants "gnostique" et le courant "apocalyptique", proposent chacun leur lecture de l'ordre de l'univers. L'un comme l'autre cherchent à donner une explication au mal qui rêgne sur la terre. A comprendre le rapport entre les hommes et dieu. Si le courant "apocalyptique" attend la fin des temps, le courant "gnostique" cherche le salut par la "gnose", par la connaissance.
D'où vient historiquement le gnosticisme ? comment se fait-il qu'au deuxième siècle, des chrétiens ont commencé a penser que le monde matériel était mauvais et que cette idée venait de Jésus ?...un juif qui croyait que le monde avait été créé par dieu. Les enseignements apocalyptiques de jésus, prédisaient que ce monde devait être bientôt transformé, que dieu allait intervenir et anéantir les forces du mal. Evidemment, cette prophétie ne s'est pas réalisée. Des dizaines d'années, un siècle sont passés et les chrétiens ont dû changer de conception, puisque la fin annoncée ne venait toujours pas. Certains groupes se sont mis à penser que le problème n'était pas la corruption du monde, mais le monde lui-même. Que le diable n'était pas le seul responsable, mais dieu lui-même...une forme de gnosticisme est né de cet échec de l'apocalypse. Il y a radicalisation.
Le dualisme horizontal que l'on trouve dans l'apocalypse, entre cette époque du "mal" qui touche à sa fin et qui mène à l'époque du "bien". Ce dualisme horizontal s'est transformé dans le gnosticisme en un dualisme vertical. Le dualisme sépare le monde spirituel de l'au-delà et le monde matériel ici-bas. Le monde spirituel étant celui auquel on doit aspirer, après s'être évadé du monde matériel. Le dualisme horizontal, les gnostiques l'ont fait basculer... ils l'ont fait changer d'axe. Ils se sont écarté du judaïsme et du christianisme apocalyptique, en distordant le message si radicalement, qu'il s'est détaché du message originel de Jésus et de ses disciples.
LÀ EST L'HERESIE :
Les gnostiques pensent que le dieu qui a créé ce monde ne peut pas être le seul vrai dieu, parce que ce monde est un monde de souffrances et que cette existence matériel est la cause même de nos souffrances. Donc le dieu qui a créé ce monde, ne peut être le vrai dieu. Les gnostiques pensent qu'il y a toute une série de dieux. Ils étaient polythéistes dans un sens, et que le dieu qui a créé ce monde de souffrance, était un dieu inférieur.
Le grand débat intellectuel est le rapport au réel. Au fond la question est la reconnaissance de la réalité comme "don de création" pour dire les choses de manière théologique. Qu'est ce qui fait l'identité de l'être humain ?... qu'est ce qui fait l'identité du rapport de l'individu au monde dans lequel il se trouve ? Le point commun entre les mouvements gnostiques, est de penser que l'identité profonde de la personne, n'est pas liée à l'histoire du monde dans laquelle elle se trouve. Le salut, c'est au fond d'échapper à la réalité et d'échapper à l'histoire.
Cette nostalgie d'un autre monde que la réalité dans laquelle on se trouve, est en partie alimentée par toute la tradition platonicienne, qui devient très présente dans les débuts de l'empire. On est là dans un monde immense, dont on ne perçoit pas les limites, sur lequel on a pas l'impression de pouvoir agir.
La conception de trouver une autre patrie, un autre lieu de référence, qui soit une patrie spirituelle, par rapport au déterminisme auquel on est confronté, c'est quelque chose qui a une très grosse emprise sur les esprits.
Donc, le gnosticisme se popularise, s'étend, d'une part par le doute latent sur la vision apocalyptique du monde et de l'univers. Et la recherche spirituelle, par opposition au monde matériel, qui prend une place "infâme" dans le coeur et les esprits.
IRÉNÉE, FOSSOYEUR DU GNOSTICISME :
Pourfendant la "gnose" au nom menteur, Irénée (évêque de lyon), s'acharne a lutter contre la tentation gnostique. Dés le deuxième siècle, lui et les autres pères de l'église (Clément d'Alexandrie, Origène...) combattent méthodiquement, systématiquement, une vision du monde et des conceptions théologiques, qu'ils jugent étrangères à la saine et vraie doctrine. D'autant que les gnostiques sont partout.
Selon Irénée et les tenants de l'orthodoxie chrétienne, si l'on sépare l'idée de "création" de l'idée de "salut", et que l'on a une vision strictement négative du monde, le christianisme, tel qu'il se développe alors, n'est plus possible. Le péril pour la foi chrétienne, c'est de devenir une idéologie de la négation du monde. Un retrait complet de l'histoire.
Le grand mouvement intellectuel qui se produit à l'intérieur du christianisme ancien, et qui va s'imposer comme orthodoxie, est impensable si on n'analyse pas en profondeur la signification du gnosticisme et de la multiplicité des textes dit "gnostiques". Puisque en somme, Irénée va construire cette théologie dans ses volumes contre les "hérésies", précisément en faisant un travail de mise en parallèle de l'ensemble des textes gnostiques qu'il avait à sa disposition. En faisant des résumés. En citant des pages entières de textes gnostiques. C'est donc une théologie dont les articulations internes, ne peuvent pas être dissociées des principes gnostiques. C'est une méthode qui sera également utilisée par les autres pères de l'église.
Donc on a un mouvement de réflexion. Un mouvement de rationalité à l'intérieur de la pensée chrétienne, qui commence avec le gnosticisme. Parce que ces chrétiens gnostiques, qui renvoient à des formes extrêmement variées du christianisme, font un effort pour essayer de repenser dans les termes de la culture de leur temps, les évangiles, les épïtres de Paul. Ils sont des commentateurs. Ils font, ce que font les juifs dans la société juive. Ils commentent à l'infini, les écritures qui leur sont propres. Les gnostique ne sont rien d'autre que des exégètes. Ils prennent des écrits chrétiens, et les commentent à leurs façons, c'est à dire allégoriques. Il est apparu au fil des temps, que ces interprètations étaient "éronnées" et qu'il fallait les éliminer. C'était pourtant la bonne façon de penser la nouveauté religieuse, que nous appelons le christianisme.
UNE RUPTURE INÉVITABLE :
Il est indéniable que la pensée "gnostique", a joué un rôle fondamental dans l'élaboration de la théologie chrétienne. Alors comment expliquer que la "gnose" ait été aussi unanimement considérée comme la plus grande des hérésie ?
Les gnostiques sont des croyants, qui ont une vue très pessimiste du monde. Qui considérent que le monde a été créé par un démiurge inférieur et qu'il faut essayer, en lisant les écritures, de trouver la révélation du dieu inconnu. Du dieu transcendant .
Il y a donc le rejet de la loi attribuée au dieu créateur, ce qui entraine de facto, une rupture très forte avec le judaïsme. Remettant en cause, la continuité que les pères s'efforcent de maintenir entre les deux testaments.
Par la "gnose", par la connaissance, les gnostiques se considèrent alors comme des élus. Cet élitisme très fort, va de paire avec le rejet de la hiérarchie ecclésiastique. Irénée oppose donc aux gnostiques, l'autorité de l'église. Du point de vu de l'église, le gnosticisme représente un risque énorme. Et le fait qu'on le considére comme un risque énorme, montre également l'attrait qu'il pouvait éxercer, notamment sur des personnes cultivées.
Alors pourquoi y a-t-il ce risque et cet attrait ?
Parce que la "gnose", permet de court-circuiter complètement la structure de l'église. A partir du moment où je comprends que j'ai en moi, un fragment de dieu... je suis sauvé. Je n'ai pas besoin de l'église, de sacrements. Je n'ai pas besoin d'évêques, de prêtres, qui m'ordonnent ce que je dois faire ou non. Chacun est alors en mesure d'interpréter les écritures à sa façon. C'est la raison pour laquelle l'église centrale, l'église romaine, et les différentes églises locales, ont lutté avec acharnement contre le risque du gnosticisme. D'où le principe édicté par Irénée et qui s'imposera comme un crédo... "Là où est l'église, est la vérité..." Passant donc du doctrinal à l'institutionnel.
Entre le deuxième et le troisième siècle, l'église se structure et s'organise. Un doctrine commune, des institutions, une organisation ramifiée, un système de hiérarchie. A l'intérieur elle combat sans faiblir les groupes hérétiques, dont la liberté de penser et l'indépendance d'esprit sont une menace.
Le gnosticisme n'y résistera pas, et peu à peu se vaporisera dans les méandres de l'histoire chrétienne, sans aucune reconnaissance pour son apport pourtant essentiel au mouvement chrétien, qui sans cela, se serait peut être lui aussi, perdu dans sa propre histoire.
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