Haro sur la « dépense publique » ou sur notre « trésor public » ?
L'examen du projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFRSS), a commencé lundi 30 juin à l'Assemblée nationale ( lien ). Ce projet de loi contient la réduction des cotisations sociales " patronales" entre 1 et 1,6 SMIC, la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés ( C3S), la réduction des cotisations "salariales" pour les bas salaires. Ce 1er juillet entre aussi en vigueur les nouvelles mesures sur l'assurance chômage.
Depuis l'annonce du "pacte de responsabilité" par le Président de la République,le 1er janvier dernier, pas une journée ne se passe sans que des experts économiques, des dirigeants politiques de gauche comme de droite, des représentants des organisations patronales nous rabâchent la même rengaine : "Pour retrouver la croissance, Il faut réduire la dépense publique. " "Nous vivons au-dessus de nos moyens" ose affirmer le nouveau Premier Ministre au journal de 20 h le 16 avril, quelques jours seulement après sa nomination et alors que la pauvreté et la précarité ne cessent de croître, que les inégalités s'accroissent pendant qu'une minorité voit ses revenus et son patrimoine littéralement explosé.
Quel est donc ce "boulet" que représenterait " la dépense publique" ? De quels vices les dépenses de l'Etat et les transferts sociaux sont-ils dotés ? En quoi un euro dépensé par une personne privée serait plus vertueux pour l'économie d'un pays qu'un euro dépensé par un agent publique, un retraité ou un chômeur ? Est-il pertinent, comme en Grèce, au Portugal ou en Espagne, en pleine crise économique, d'amputer les aides sociales et les services publiques de l'éducation ou de la santé pour "servir" les intérêts d'une dette que l'on a laissé s'accroitre en limitant hier la " pression fiscale" de ceux qui avaient les moyens d'être solidaires et qui aujourd'hui ont les moyens de détenir une partie de cette dette ? Ce sont des questions qu'il faudrait débattre avant d'imposer des mesures qui n'ont que pour finalité de préserver les mêmes intérêts aux dépens de ceux qui tous les jours créent par leur intelligence et leur travail cette richesse tant convoitée.
LA DEPENSE PUBLIQUE OU NOTRE TRESOR PUBLIC.
En France la "dépense publique représenterait 57 % du P.I.B. " Mais on compare des choses incomparables. En réalité en 2012, cette "maudite" dépense est de 1151 milliards d'euros alors que la "vertueuse" dépense privée des ménages et des entreprises est presque 4 fois plus élevée ( lien ).
Sur cette somme, la moitié représente les transferts sociaux financés par les cotisations sociales sur les salaires, mises en commun pour assurer les retraites ( salaires différés) , l'assurance maladie, l'assurance chômage ou les allocations familiales. Ainsi la moitié de cette "malsaine " dépense publique n'est pas de la dépense publique mais des revenus mutualisés, transférés des salariés vers d'autres salariés ou citoyens. C'est une part du salaire de chacun qui est immédiatement redistribuée aux familles, aux retraités et qui assure les risques contre la maladie et le chômage. Réduire les "charges sociales" c'est rogner sur les droits sociaux et s'attaquer à la valeur travail dans son ensemble. En imposant au salarié français de payer moins en cotisations, c'est l'obliger à consacrer une partie de plus en plus importante de ses revenus à un complément de retraite ou à une assurance santé complémentaire que lui vendent les banques ou les compagnies d'assurance privée, situation beaucoup plus onéreuse et donc plus inégalitaire.
Il y a aussi le service de la dette dans cette trop " lourde" dépense publique. En 2014, la charge de l'Etat (intérêt de la dette publique) représente 14 % des dépenses de l'Etat (46,6 milliards ), soit un montant de l'ordre des dépenses de fonctionnement ( 52,6 milliards ). Intérêts versés ensuite aux créanciers privés détenteurs des obligations d'Etat vendus par les banques. Il faut rappeler que si la dette est, en 2014, de l'ordre de grandeur du PIB, la majeure partie est composée de ces intérêts cumulés que les banques privées imposent à l'Etat ( 80 % du total ), depuis que le traité de Maastricht en 1993 a introduit dans son article 104 l’interdiction absolue pour les États de se financer auprès de leur propre banque Centrale (article repris dans son intégralité dans le traité de Lisbonne ), (voir l'interview de A.J. Holbeck dans le blog Plus loin que Jorion ). Cette charge imposée par le secteur privé au secteur public est dépendante des marchés financiers et de la fluctuation des taux d'intérêt et bride ainsi la politique économique et sociale des gouvernements de droite comme de gauche.
Pour en finir avec ce hold-up permanent et les politiques d'austérité et de régression qui en découlent, il faudrait se libérer de cette tutelle est reprendre le contrôle de la création monétaire par la banque centrale.
Enfin le budget nécessaire au fonctionnement de l’Etat est bien la dernière partie de cette "dépense publique". Ses dépenses, en France (22,4 % du PIB) sont inférieures à la moyenne de la zone euro (22,6 %), bien moins par exemple qu’au très libéral Royaume-Uni (44,8 %, qui n’incluent pas la protection sociale) ou au Danemark (42,3 %). Une analyse fine des dépenses dans les différents secteurs montre qu'il n'y a plus de trésor caché ( Observatoire des inégalités ). N'en déplaise aux libéraux, tous les pays du monde considèrent que les fonctionnaires sont productifs et augmentent le PIB. Cela découle d'une convention retenue par l'ONU, laquelle établit les normes de comptabilité nationale. En France, la valeur ajoutée des fonctionnaires s'élève en 2012 à 333 milliards ( lien ). Mais depuis des années, les politiques de réduction de la dépense publique considère les fonctionnaires comme des "parasites" de l'économie et elle s'est traduite ces dernières années pour les agents de l'Etat par un blocage des salaires depuis 2010 et jusqu'en 2017 et par une réduction incessante croissante des effectifs depuis 2003 ( lien ) réduisant ainsi les capacités de l'Etat à assurer pleinement ses missions par exemple en matière d'éducation et de recherche.
Finalement pourquoi l'Etat, en tant qu'investisseur et employeur, n'aurait-il pas les mêmes vertus sur l'économie que tous les acteurs privés. Par les salaires versés il contribue aussi à la consommation privée des ménages, par les commandes passées auprès de fournisseurs, il participe pleinement à l'activité économique.
En réalité, en diminuant les prérogatives du secteur public, les politiques libérales ne visent qu'à redonner la main aux acteurs privés dans les domaines les plus profitables des grandes missions de l' Etat, que sont l' éducation, la recherche, la santé, la solidarité ou la protection des personnes.
QUAND LE PRIVE EST PLUS "DEPENSIER "QUE LE PUBLIC.
Ainsi avec la complicité des médias, la force des mots réussit à pervertir la réalité que l'on veut diaboliser aux yeux de la population . Les "cotisations" sociales sur les salaires deviennent des "charges" sociales. Le "budget" de l'Etat devient la "dépense" publique, le "déficit" du budget de la sécurité sociale devient le "trou" de la sécu, en revanche l'"évitement" de l'impôt devient dans la bouche des experts de "l'optimisation " fiscale. D'autre contre-vérités tenaces habitent la conscience de beaucoup de nos concitoyens. Ainsi dans la conduite des affaires, le privé serait un bien meilleur gestionnaire que le public. Il suffit de prendre l'exemple du domaine de la santé et de l'assurance maladie pour faire un sort à cette affirmation. Le journal Le Monde du 24 avril dernier révèle que les frais de gestion des mutuelles santé évoluent de 6,7 % à 41 % suivant les établissements alors qu' en 2011, la Cour des comptes, dans son rapport annuel, soulignait que les frais de gestion des organismes de sécurité sociale représentaient seulement 3% des dépenses totales de la Sécurité sociale. Ces chiffres montrent que le déficit de la Sécurité sociale est principalement causé par une insuffisance de recettes ou un versement trop important des prestations et non par les coûts de gestion. Sur un autre plan, avec 225,8 milliards d’euros en 2010, la dépense totale de santé s’élève en France à 11,65% du PIB ce qui place notre pays loin derrière les États-Unis (17,6%) où la santé est largement administrée par le domaine privé.( lien ). Le secteur libéral, enfermé dans une logique de profit, et conduit soit à réduire son champ d'intervention à la part la plus rentable de l'activité, soit à imposer un surcoût souvent rédhibitoire pour l'usager qui n'a alors d'autres choix que de se priver du service ou de se tourner vers un secteur public rendu à son tour exsangue par la privatisation des activités jugées "rentables" par les financiers.
Contrairement au secteur privé, les services publics sont non marchands. Leur objectif n'est pas de tirer du profit de leur activité, ils sont au service de tous et il offrent la même qualité de prestation en matière de santé ou d'éducation à tous les citoyens, dans tous les recoins du territoire, indépendamment de leurs ressources propres. La gratuité du service, financé par la solidarité de tous, contribue aussi à lutter contre les inégalités de revenus. Ainsi "En France, les 20 % les plus riches ont huit fois plus de revenus primaires (salaires, revenus du patrimoine) que les 20 % les plus pauvres. Le jeu des impôts directs (l'impôt sur le revenu notamment) et des cotisations réduit cet écart à sept. Bien plus que par les prélèvements, c'est par la dépense publique que les inégalités sont réduites. On passe finalement à trois, grâce aux prestations sociales et à la consommation gratuite de services publics. Il est temps de porter un regard neuf sur la dépense publique." conclut Christophe Ramaux dans un article sur la dépense publique.
Face à la propagande libérale il faut toujours remettre à l'endroit ce qu'on essaie de présenter à l'envers en faisant passer entre autres les plus démunis pour des profiteurs. Face à tous ces prédateurs, il faut veiller et défendre notre "trésor public", fait de la solidarité et du partage des richesses de chacun et qui permet à tous, sans stigmatiser ni diviser, de s'éduquer, de s'élever harmonieusement et en sécurité dans la société tout en préservant sa santé, pour permettre à tous d'exercer pleinement ses propres capacités à enrichir par la création et le travail cet héritage que nous partageons chaque jour que nous ont légué les générations précédentes et que nous appelons civilisation.
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