Honte à ceux qui ont couvert les crimes de Bachar el-Assad !
Le peuple syrien vient de se faire massacrer dans une relative indifférence pendant dix ans. Nous parlons de « massacres » parce qu’il y a eu plus de 380 000 morts mais aussi 6 millions d’exilés et 6 millions de déplacés à l’intérieur de la Syrie pour une population totale de 23 millions de syriens. Nous parlons d’une « relative indifférence » parce que face à ce désastre des campagnes de soutien auraient dues être menées dans tous les pays pour permettre à la population de se défendre. Nous aurions dû avoir en France une mobilisation au moins aussi importante que celle qu’il y avait eu en 1973 lors de la prise du pouvoir par Pinochet au Chili. Pourquoi cette relative indifférence ? Parce que ce qu’il est convenu d’appeler « la gauche » au niveau international a soutenu le dictateur Bachar el-Assad lequel a voulu s’accrocher au pouvoir et mâter son peuple qui se révoltait. Pour être plus précis, cette gauche a cumulé le pacifisme bêlant et le soutien à un soi-disant « bloc anti-impérialiste ». Il s’agissait, au nom du soutien à ce bloc dans lequel se trouvait la Syrie, de soutenir en fait le dictateur de la Syrie.
Voici pour commencer quelques exemples caractéristiques de prises de position en faveur de Bachar el-Assad de la part d’organisations de « gauche » :
- Les « Red Youth UK » (jeunesses rouges du Royaume-Uni), brandissent le portrait d’el-Assad au milieu de leurs drapeaux rouges. Leur soutien est total. Une de leur militante clame haut et fort : « L'armée arabe syrienne et les forces armées russes sont les principales forces qui combattent vraiment l'EI et les entités ziowahabi qui sont venues en Syrie pour détruire la seule nation du Moyen-Orient qui s'est élevée contre l'impérialisme américain et son mandataire le fasciste israélien Etat sioniste. »
- Le Parti Communiste de GrandeBretagne soutient le gouvernement d’el-Assad (voir cet article). On voit sur une photo une militante de ce parti qui distribuait des tracts lors d'une manifestation contre l'implication de son pays dans le conflit syrien devant l'ambassade des États-Unis à Londres le 15 juin 2013. Elle tient un portrait de Bachar alAssad.
- Jeremy Corbyn, le leader du parti travaillliste, a accepté de rencontrer le président syrien Assad. Le voyage était financé par des lobbyistes palestiniens. Il a participé à une cérémonie en rappel de l'anniversaire de la signature de la déclaration britannique de 1917 soutenant la création d’un foyer juif en Palestine (Le Balfour day).
- Le premier secrétaire du Comité central du Parti communiste de Biélorussie, Karpenko Igor Vasilievic s’est rendu à la tête d’une délégation à Damas. Il a été reçu par le président du Conseil du peuple Mohammad Jihad alLaham. Il a déclaré que la visite de la délégation en Syrie visait à exprimer sa solidarité avec le peuple syrien et ses dirigeants contre le terrorisme soutenu par l'Occident et infligé au pays.
- Le 10 juillet 2016, Bachar alAssad a reçu une délégation du Parlement européen présidée par Javier Couso, viceprésident de la Commission des Affaires étrangères du parlement européen. Javier Couso est par ailleurs membre de la « Gauche Unie » espagnole et du Groupe de la Gauche au Parlement Européen (GUE/NGL) auquel appartient aussi la France Insoumise.
Cette gauche issue essentiellement des anciens partis communistes jadis inféodés au pouvoir du Kremlin a déjà eu par le passé une lourde responsabilité en couvrant les massacres de Staline, de Mao, de Pol Pot. C’était toujours au nom de la lutte contre l’impérialisme que cette gauche s’était ainsi compromise en apportant sa caution aux pires horreurs. Mais, il y avait alors une petite circonstance atténuante. Les régimes de Staline, de Mao, de Pol Pot avaient exproprié le capital et ils organisaient une économie avec un mode de collectivisme plus ou moins rigide, plus ou moins critiquable mais il y avait assurément une socialisation de la production. Cela était insupportable pour les défenseurs du capitalisme qui ont toujours exprimé leur haine farouche contre ce type de fonctionnement de l’économie. Ce n’était certes pas une raison pour justifier tant d’horreurs, au nom du combat contre l’impérialisme, mais il y avait un semblant de logique à parler d’anti-impérialisme.
Pour ce que nous venons de voir pendant 10 ans en Syrie, cette « gauche » n’a même pas cette excuse. La dictature des el-Assad père et fils n’avait strictement rien à voir avec l’expropriation du capital, avec une économie un tant soit peu collectiviste. Elle n’avait aucun rapport, de ce point de vue, avec ce qui existe en ce moment en Iran ni même avec ce qui s’était mis en place avec Mossadegh.
Cette « gauche », regroupe les anciens PC et les organisations adeptes du Castro-Chavisme. En France étaient ainsi notamment concernés le PC, la FI et le PRCF. Le soutien que ces organisations ont apporté n’était pas toujours clairement affiché. Jean-Luc Mélenchon, par exemple, a surtout soutenu Vladimir Poutine qui est allié à Bachar el-Assad. Lorsqu’on l’interrogeait sur les bombardements russes ciblant délibérément les rebelles hostiles à Bachar el-Assad plutôt que les forces de Daech, il répondait simplement que c’était faux. Il s'agissait bien en fait d'un soutien à el-Assad.
Au nom de quels principes toutes ces organisations ont justifié cet appui au sanguinaire dictateur Bachar el-Assad ? Elles ont, comme par le passé, invoqué la nécessité de combattre l’impérialisme comme si Bachar el-Assad n’en était pas un pur représentant. Mais non ! Ils n’ont pas voulu l’entendre ainsi. Ils ont décidé que le monde est divisé en deux blocs : un bloc pro-impérialiste (les méchants) et un bloc anti-impérialiste (les gentils). Le vocabulaire employé pour désigner ces deux camps varie selon les organisations concernées et les circonstances mais on retrouve toujours cette idée de deux blocs. Dans le camp des méchants, se trouve bien évidemment en tête l’Amérique suivie par ses alliés : l’Arabie Saoudite, la France, le Royaume-Uni et toutes les forces de l’OTAN ainsi bien évidemment qu’Israël. Dans le camp des gentils, on trouve tous ceux qui s’opposent dans cette région à Israël et aux USA c’est-à-dire la Syrie, la Russie, la Chine, l’Iran. Je vous laisse compléter ces deux listes à votre convenance. Voici, dans quels termes le PRCF exprime cette distinction entre pro-impérialistes et anti-impérialistes :
« Dénonçons aussi (…) ceux qui ne voient pas la nécessité de tenir compte de la dynamique anti-impérialiste à laquelle les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) peuvent objectivement contribuer en laissant des espaces d’intervention aux peuples, même si la plupart des régimes en question sont bel et bien contrôlés par la grande bourgeoisie nationale, avec toutes les inconséquences que cela comporte (le cas de la Chine doit être analysé spécifiquement). »
Le PRCF désigne bien une liste de pays qui tout en étant capitalistes (le cas de la Chine étant analysé à part) contribuent « objectivement » à la « dynamique anti-impérialiste ». Précisons que cette citation vient d’un article consacré à la Syrie et qu’il ne faut pas douter que la Syrie d’el-Assad va dans le même groupe. Dans ce même article, le PRCF nous signale que la position du PC syrien est exactement la même :
« Le rôle des communistes, des anti-impérialistes, des forces de paix est de s’appuyer sur ces contradictions pour créer un rapport de forces favorable à la lutte des peuples et c’est d’ailleurs ce que fait intelligemment le PC syrien qui, sans cesser de maintenir sa position de classe indépendante, privilégie la lutte contre l’ingérence impérialiste en Syrie et adopte une position résolument anti-impérialiste et patriotique »
Je me permets de souligner, pour ceux qui ne voudraient pas comprendre, que le PRCF approuve donc ce PC Syrien qui est particulièrement intelligent parce qu'il ne se contente pas de lutter contre le dictateur de la Syrie mais qu'il "privilégie la lutte contre l'ingérence impérialiste". La lutte entre « impérialisme » et « anti-impérialisme » l’emporte donc sur la lutte contre les exploiteurs. Il ne reste plus qu’à énumérer les pays qui appartiennent à chacun des deux blocs.
Le soutien au bloc « anti-impérialiste » est apparu surtout lorsque Poutine, les ayatollahs et le Hezbollah se sont présentés comme des soutiens à el-Assad. A partir de ce moment s’est dessiné le bloc en question avec au minimum la Syrie, la Russie, l’Iran et la Chine. Cette dernière s’associait à la Russie lors des votes à l’ONU. A aucun moment, ces organisations « de gauche » ne se sont prononcées pour que des armes lourdes soient envoyées à la population afin qu’elle organise sa défense. Il lui aurait fallu au moins des Manpads (Systèmes portables de défense anti-aérienne) et, de préférence, des moyens de défense plus efficaces contre les attaques aériennes. Le PCF, la LFI et le PRCF parlent volontiers de l’urgence d’obtenir un cessez-le-feu et de protéger les populations civiles. C’est ce que j’appelle le pacifisme bêlant en référence au mouton qui bêle (il est pour la paix) quand on l’envoie à l’abattoir. Quoi de plus inutile ! Les politiciens ne sont jamais avares de discours de ce style mais, s’il est bien question de protéger les populations, il n’est jamais question de leur donner les moyens de se protéger elles-mêmes. Qui croira qu’une force quelconque pourrait venir en Syrie sans aucune visée conquérante mais par pur humanisme pour protéger la population ?
Le point de vue opposé des marxistes, lesquels sont internationalistes, n’a rien à voir avec une quelconque division en blocs qui s’affrontent ce qui n’est pas sans rappeler le dogme du « Choc des civilisations » de Samuel Huntington. Notre point de vue aujourd’hui est le même que celui des internationalistes qui en 1914 refusaient la guerre de 1914-18 entre deux blocs : la Triple-Alliance et la Triple-Entente. Nous sommes pour les jeunes, pour les travailleurs, ouvriers et paysans, pour les femmes travailleuses de Syrie, d’Amérique, d’Israël, de Palestine, d’Arabie, de Russie, d’Iran, de France, du Royaume-Uni et de tous les autres pays pour qu’ils en finissent avec tous les dictateurs et avec les politiques qui dressent les peuples les uns contre autres. Il n’est bien évidemment pas question pour nous de considérer comme une entité homogène la Syrie. Cette entité regrouperait tout ensemble le dictateur et les syriens qui se révoltent. C’est pourtant bien au nom de la défense de la Syrie que toute cette « gauche » a voulu, et veut encore, défendre le dictateur
Ces hommes de « gauche » qui soutiennent le dictateur ne se sentent apparemment guère gênés d’être en connivence avec toute l’extrême-droite mondiale qui considère maintenant el-Assad comme son nouvel héros. Voir à ce sujet mon article : « Bachar el-Assad, le vaillant héros de l’extrême-droite mondiale ».
Mais cette « gauche » ne se contente pas de partager cette idéologie fascisante avec l’extrême-droite. Elle va plus loin dans la collusion. Elle est amenée à reprendre à son compte des fragments du discours de ce que nous appelons la « nouvelle extrême-droite française ». Je vous renvoie, là aussi, à un article que j’ai consacré à ce sujet. Je désigne ainsi, essentiellement, ceux qui ont créé et qui animent les sites web « Egalité et Réconciliation » (Alain Soral), Réseau Voltaire (Thierry Meyssan et Alain Benajam) et InfoSyrie (Frédéric Chatillon)
Avec les discours invraisemblables de cette nouvelle extrême-droite, il faudrait considérer que les 388 000 morts et tous les autres malheurs des syriens seraient les conséquences des agressions des américains contre el-Assad lequel aurait fait son possible pour protéger sa population. Dans leur version des faits, il n’est question que de coups fourrés ourdis en coulisses dans des officines étrangères : ce seraient des agents étrangers infiltrés qui auraient tiré sur les enfants à Deraa, les manifestants auraient été rémunérés par des puissances étrangères... Ce genre d’explication, qui relève du roman d’espionnage, est somme toute assez classique. Cela revient souvent et toujours de la part de ceux qui soutiennent un régime contre un peuple qui le conteste. Ce fut d’ailleurs toute la substance des discours des russes blancs puis des nazis sur le complot judéo-bolchévique. Voici un extrait d’un article qui prétend ainsi faire une révélation sous le titre : « Le jour avant Deraa : Comment la guerre a éclaté en Syrie – La véritable histoire »
« La mosquée Omari servit de coulisses à la représentation ; c’est là que se firent les changements d’habillement et qu’eurent lieu les répétitions. Oui, les terroristes libyens, venus en droite ligne du champ de bataille de l’agression-changement de régime US-OTAN sur la Libye, étaient arrivés à Deraa bien avant le violent soulèvement de mars 2011. Le responsable religieux de la mosquée Omari était Sheikh Ahmad al Sayasneh. C’était un homme d’un certain âge avec un grave problème de vue qui l’obligeait à porter des lunettes noires spéciales, et ces lunettes affectaient à leur tour sa vision. Il n’était pas seulement malvoyant, mais également sensible à la lumière ce qui l’obligeait à se tenir autant que possible à l’intérieur et souvent isolé. Il était accoutumé à reconnaître les personnes avec lesquelles il parlait à leur accent et à leur voix. L’accent des gens de Deraa est caractéristique.
Tous les hommes qui fréquentaient la mosquée Omari étaient des habitants du lieu, s’exprimant avec l’accent local. Évidemment, les visiteurs venus de Libye se gardèrent bien de se laisser identifier par l’ecclésiastique, ce qui les eût démasqués. Ils se contentèrent de travailler avec quelques acteurs-clés qu’ils avaient recrutés localement et mis dans le secret. La participation de membres locaux des Frères musulmans, qui allaient être chargés d’assister les mercenaires/terroristes libyens était un élément essentiel du plan de la CIA, plan ourdi et dirigé à partir de la Jordanie.
Le fait d’avoir obtenu l’aide et la coopération de salafistes locaux a permis aux Libyens d’entrer dans Deraa sans éveiller les soupçons. Les locaux recrutés ont servi de façade à l’opération.
Les agents de la CIA qui la dirigeaient à partir de leurs bureaux en Jordanie avaient déjà fourni les armes et l’argent qu’il fallait pour attiser les flammes de la révolution en Syrie. Avec suffisamment d’armes et d’argent, on peut faire démarrer une révolution n’importe où dans le monde. »
J’ai eu à polémiquer avec des individus qui prennent ce genre de roman d’espionnage pour la vérité. On y retrouve de surcroit le vieux mythe du complot judéo-bolchevique pour expliquer la révolution russe : « Avec suffisamment d’armes et d’argent, on peut faire démarrer une révolution n’importe où dans le monde ». Il suffit donc pour expliquer les évènements de Syrie de ressortir ces bonnes vieilles grosses ficelles.
Ces nouveaux cadres de l‘extrême-droite française prennent le relai en France des services de propagande d’el-Assad en adaptant les contenus. Ils jouent en effet sur la méfiance de la population à l’égard des médias de masse qui sont dans les mains de quelques milliardaires et qui mènent une propagande pour le gouvernement de Macron et pour l’Union Européenne. Les agents d’el-Assad profitent de ce rejet des informations officielles par une grande masse de la population pour nier tous les faits qui accablent le régime de Damas. Ils installent ainsi un récit falsificateur qui prétend « rétablir la vérité ». Cette inversion des réalités vise à réécrire le conflit syrien en faisant d’el-Assad une victime, voire même un sauveur, mais jamais un coupable et surtout pas un dictateur. La formule « Vous êtes abreuvés par la propagande occidentale » revient sans arrêt dans leurs discours comme un leitmotiv et ils proposent comme remède d’abreuver tout le monde avec la propagande de Bachar el-Assad.
Je vais donc pour commencer m’employer à rétablir la vérité en montrant que Bachar n’est en rien cette victime que la gauche et la nouvelle extrême-droite voudraient nous présenter en chœur.
Personne ne conteste qu’el-Assad est devenu président de la Syrie en succédant à son père. La Syrie est ainsi le seul pays au monde avec la Corée du Nord où le poste de président est transmis par hérédité. Il faut une bonne dose de mauvaise foi pour nier que ce régime est une dictature. Le seul fait que ce soit une « répumonarchie » suffit à le montrer et, sans même parler des actions de Bachar pendant le conflit, il suffit de se reporter à quelques passages de la page de la Wikipédia intitulée Politique en Syrie pour en avoir des confirmations supplémentaires.
« La Syrie n'a plus connu d’élection démocratique depuis 1961 (…) Depuis 1963, la République arabe syrienne est gouvernée par le Parti Baas arrivé au pouvoir par un coup d'État (…) il était inscrit dans la Constitution que le pays ne pouvait être gouverné que par le parti Baas. (…) Les responsables au pouvoir sont pour la plupart issus de la minorité alaouite. (…) Le parti Baas détient la majorité des 2/3 dans le parlement syrien (appelé Conseil du peuple ou Majlis ach-chaab) (…). L'état d'urgence est déclaré en Syrie depuis 1963. »
Une « gauche » qui ose parler de démocratie dans ces conditions est effrayante. Il faut craindre qu’elle arrive au pouvoir !
Elle est par ailleurs incohérente, Si nous demandons à ces militants quelle différence fondamentale il y aurait, selon eux, entre ce qui s’est passé d’une part en Tunisie et en Egypte et d’autre part en Syrie, ils ne répondent pas. En général, ils admettent en effet qu’il y a eu des mouvements révolutionnaires en Tunisie et en Egypte mais pas en Syrie. Pourquoi ? La question restera sans réponse. Une simple question comme « el-Assad est-il un dictateur ? » est pour eux très embarrassantes. Ils voudraient répondre « Non » au-delà de toute vraisemblance. Les grands silences sont une autre caractéristique des versions des évènements de la « gauche » crypto-stalinienne et Castro-chaviste car, pour éviter les incohérences, ils préfèrent se taire.
Je vais, pour ma part, rappeler ce qui s’est passé en 2011. La révolution syrienne s’inscrit dans le mouvement que la presse a appelé « le printemps arabe ». Ce mouvement embrase sous diverses formes tous les « pays arabes » de la Mauritanie à la Turquie et à l’Irak avec des foyers plus importants en Tunisie, en Egypte, en Lybie, au Yémen et à Bahreïn. Quand le mouvement éclate en mars 2011, deux dictateurs sont déjà tombés : Ben Ali a quitté le pouvoir le 14 janvier 2011 et Moubarak le 11 février 2011. Ainsi, après les dictateurs de Tunisie et d’Egypte, il semble bien que le tour du dictateur de Syrie soit arrivé. C’est ce qu’un enfant écrit sur un mur à Deraa…
Or, le mécontentement est grand dans le pays. Pourtant c’était dans l’enthousiasme général que Bachar avait pris ses fonctions comme le montre cette vidéo dont le titre en arabe peut se traduire par : « Manifestation dans la capitale syrienne, Damas, en soutien à Assad ». Ce jeune président (il a 46 ans) s’affiche comme un homme moderne, éduqué (il a fait des études d’ophtalmologie). Il est accompagné d’une jeune épouse charmante qui semble, elle aussi, ouverte au changement. Les syriens espéraient notamment une levée de l’état d’urgence en vigueur depuis 1963. Mais, rien ne change. Un éphémère « printemps de Damas » dans les années 2000 exprime la déception des syriens. De plus, les conditions de vie sont de plus en plus pénibles pour la majorité de la population. Le nombre des chômeurs et des laissés pour compte augmente. Beaucoup de jeunes ne se voient aucun avenir même chez les diplômés. Une relative embellie économique n’a profité qu’à une bourgeoisie des villes proche du régime. Celle-ci affiche scandaleusement un train de vie luxuriant quand la grande partie des syriens vit dans la pauvreté. La corruption est généralisée et le maillage sécuritaire est étouffant. Les conditions sont alors réunies pour une explosion sociale. La colère est à la mesure de la déception elle-même d’autant plus forte que l’espoir avait été grand.
Quand les révolutions de Tunisie et d’Egypte éclatent et que les dictateurs sont chassés, l’occasion semble venue pour que la colère s’exprime. Bien des syriens songent à faire comme en Tunisie et en Egypte. Quelques manifestants se regroupent dans plusieurs villes. Le 15 mars 2011, ils ne se comptent que par dizaines. Mais trois jours plus tard, quatre manifestants sont tués. Ce sont les premiers « martyrs ». Les manifestants se comptent alors par centaines mais à la fin du mois on compte une trentaine de mort. Au début du mois d’avril, dans les manifestations qui se déroulent le vendredi à la sortie de la mosquée, les manifestants se comptent maintenant par milliers. Un mois après le début du mouvement on compte une centaine de mort. Des chars sont maintenant envoyés contre les manifestants. A la fin du mois, les manifestants se comptent par dizaines de milliers.
C’est donc, quoi qu’en dise toute cette « gauche » une révolution qui démarre en Syrie avec une escalade dans la mobilisation du peuple et dans la répression lancée par el-Assad. Les « comités locaux » ou « comités de coordination locaux » qui apparaissent sont caractéristiques de la mise en place d’un pouvoir alternatif à celui du régime. La population crée ses propres organes d’administration indépendants des institutions du régime. Les comités locaux organisent la vie quotidienne, l’éducation, la santé et parfois la défense armée. Ces comités jouent aussi un rôle dans le recueil et la diffusion d’informations vers les médias arabes et internationaux. C’est notamment dans ce but qu’un réseau de 70 groupes s’est constitué et a publié sa première déclaration le 22 avril 2011. Le « bureau de presse des comités » rassemble, vérifie et fournit des informations en temps réel qui sont constamment publiées sur leur site Web et les pages Facebook. Ce système d’information indépendant du régime est essentiel pour définir les modes d’expression de la mobilisation puis de la révolution.
A chaque montée en puissance de la mobilisation, el-Assad répond par des répressions plus violentes et plus massives. L’escalade continue ainsi. Les manifestants se comptent en centaines de milliers au mois de juillet et à chaque nouvelle étape, les atrocités de la répression font toujours monter davantage la colère de la population. Parallèlement, des soldats de l’armée refusent de tirer sur leurs concitoyens et n’ont pas d’autre solution que de déserter pour ne pas se faire fusiller. Le 31 juillet 2011, un communiqué d’officiers déserteurs réfugiés en Turquie annonce la création de l’ASL (Armée Syrienne Libre) et appelle d’autre militaires à les rejoindre. La révolution franchit ainsi le cap de l’insurrection armée.
A ce point de l’exposé, il est déjà possible de comparer la version que je viens de donner avec, par exemple, l’espèce de roman d’espionnage qui nous a été présenté comme une version plausible des faits. Rappel : « Le jour avant Deraa : Comment la guerre a éclaté en Syrie – La véritable histoire »
Il est déjà évident que ma version est vraisemblable alors que l’autre ne l’est pas. Il reste cependant possible de contester ma version car la vraisemblance ne suffit pas. Il faut avoir un discours cohérent et en concordance avec les faits. Les tricheurs, les menteurs et les falsificateurs inventent les faits au fur et à mesure qu’ils en ont besoin en même temps qu’ils écartent ceux qui ne cadrent pas avec leur discours. Au bout du compte, ils sont incapables de proposer une chronologie cohérente des évènements. A l’inverse, ceux qui s’en tiennent aux faits sont obligatoirement cohérents car la vérité est cohérente. La chronologie que je propose fait partie d’un site qui s’appelle « Mémoire créative de la révolution syrienne ». Elle est particulièrement bien documentée. De même, les tricheurs, les menteurs et les falsificateurs, sont incapables de donner une explication globale et cohérente de toute l’histoire du conflit syrien. Le document que je propose s’appelle : « Le conflit syrien pour les nuls ». Il couvre le conflit jusqu’en avril 2017. Sa lecture est indispensable précisément parce qu’il donne une explication de tous les multiples aspects du conflit. Je propose cependant de lire en complément un recueil de 32 articles de mes camarades de l’UIT-QI et de la LIT-QI. Le premier document donne le point de vue réformiste de militants qui n’envisagent de solution qu’avec le maintien du système capitaliste pour satisfaire tous les Etats voisins de la Syrie. Nous pensons, pour notre part, que la remise en question du régime d’Assad pose inévitablement la question de la révolution socialiste avec l’élection de délégués de conseils locaux couvrant tout le pays. Ces délégués pourraient instituer un véritable pouvoir ouvrier et paysan capable d’œuvrer pour les aspirations à la liberté et à la justice sociale demandée par l’opposition syrienne.
Il y a une quantité d’autres documents pour qui veut voir la réalité. Le conflit syrien, à l’heure des téléphones portables et des petites caméras, a été énormément filmé. Vous pouvez déjà trouver plusieurs reportages amateurs de bonne qualité. En voici une petite liste :
— « Our terrible country » de Mohamad Ali Atassi & Ziad Homsi
— « Eaux argentée » de Ossama Mohammed et Wiam Simav Bedirxan
— « Last men in Aleppo » de Feras Fayyad
— « The Cave » aussi de Feras Fayyad
— « For Sama » de Waad al-Kateab
Ces reportages vous coûteront quelques euros car les réalisateurs ont besoin de rentrer dans leur frais contrairement aux nombreux films de propagande gratuits.
Je conseille les deux derniers qui montrent ce qui s’est passé dans les hôpitaux. Une femme médecin filmée par un proche dans l’un (The Cave) et un homme médecin filmé par son épouse dans le second (For Sama). Le premier hôpital était dans la Ghouta et le second dans Alep. Il existe une version danoise avec des sous-titres en anglais qui est disponible gratuitement sur YouTube pour « The Cave ». Dans ces reportages, on voit des enfants gazés, les avions russes qui bombardent les hôpitaux. Ayons au passage, en serrant les poings, une petite pensée pour Mélenchon qui dit « C’est faux ! » quand on lui fait observer que les bombardements russes ciblaient délibérément les opposants hostiles à Bachar el-Assad plutôt que les forces de Daech… On voit le courage de personnes simples qui deviennent des héros et s’en seraient bien passés. On voit les atrocités de ces criminels de guerre. Des dizaines de corps qui portent des traces de tortures sont sortis d’une rivière. Par contre, les terribles djihadistes dont parlent tant Assad et ses affidés sont très discrets. Nous ne les voyons pas.
Pour ceux qui veulent des preuves, il n’y a aucune difficulté pour en trouver sur le web. Encore faut-il en avoir envie. De multiples articles rendent compte des atrocités de la répression. Voici quelques liens :
- « Les témoignages effrayants des enfants torturés en Syrie »
- « Dans l’enfer des geôles de Bachar el-Assad » par Amnesty International
- « Les témoignages se multiplient sur la répression, qui ne faiblit pas »
- « La répression jusque dans les hôpitaux : témoignages »
- « Bachar al-Assad est un criminel fou » par Samar Yazbek écrivaine et résistante en exil
- « La chirurgie utilisée comme arme de répression par Bachar al-Assad »
- « Témoignages de survivants de la torture en Syrie ».
- « Syrie. témoignage du général Ahmed Tlass sur le système et la répression »
- « Electrochocs, viols, douches glacées... ce que révèle le procès des bourreaux du régime syrien »
Il faut ajouter les massacres au gaz sarin notamment celui de la Ghouta le 21 août 2013 et celui de Khan Cheikhoun le 4 avril 2017. Là encore, avec un moteur de recherche, une quantité de preuves en images de ces attaques chimiques nous sautent aux yeux. D’ailleurs personne ne conteste sérieusement ces deux attaques même si el-Assad en donne une version invraisemblable. Il y a eu aussi l’utilisation d’armes lourdes, y compris des chars d’assaut, contre des manifestants pacifiques puis les bombardements avec des « bombes-barils » depuis des hélicoptères en utilisant parfois du gaz chloré. Il y eut ensuite les bombardements avec les avions russes y compris sur les hôpitaux et les écoles… Rien ne fut épargné à la population civile et il reste des traces visuelles de tout cela.
Par quel mécanisme miraculeux se pourrait-il que les américains soient responsables de toutes ces abominations alors que Bachar el-Assad n’y serait pour rien ? C’est pourtant bien ce que prétend cette « gauche » que je veux ici dénoncer.
Je ne peux guère faire plus dans la clarification et le rétablissement de la vérité.
Pour illustrer les difficultés que connaissent aujourd’hui les syriens je laisse quelques liens sur des témoignages en rappelant qu’un habitant sur deux seulement vit encore dans son habitation de 2011.
— Portrait d’une jeune vaillante.
Je propose aussi ce petit livre de Majd al-Dik :
A l’est de Damas, au bout du monde. Témoignage d’un révolutionnaire syrien.
Quand on a balayé toutes les idéologies et tous les discours des divers politiciens, quand on a mis les faits à nu, alors une évidence apparait : les américains n’ont jamais réellement combattu les troupes armées du régime de Damas et ils leur sont même venus en aide. J’apporterais des précisions à ce sujet dans un prochain article intitulé : « La politique des USA dans le conflit syrien ». Mais, surtout, les Etats-Unis et toutes les autres puissances mondiales ont refusé de remettre des armes lourdes à l’opposition syrienne pour qu’elle se défende. Ils ont laissé Bachar les massacrer avec l’appui de l’aviation de Poutine et de ses mercenaires. La population syrienne a aussi été victime de l’Etat Islamique. Sans armes, ils se sont faits massacrer de toutes parts. Plus que cela, les américains, principale force de la coalition, ont collaboré avec Bachar el-Assad pour bombarder les villes comme Raqqa en faisant plus de victimes chez les civils que chez les djihadistes. Quelques 250 djihadistes et leur famille ont d’ailleurs pu quitter Raqqa tranquillement dans des camions. Il faudra bien un jour donner des explications aux syriens sur cette étrange clémence. Tous les discours anti-Assad de Barak Obama puis de Donald Trump avaient pour but essentiel de paraître protecteurs et secourables à l’égard des victimes de la répression. C’était essentiellement une question de politique intérieure des USA qui les préoccupait. Ils se souciaient avant tout de l’opinion publique américaine surtout en période électorale. Mais, pour ce qui est de leur véritable action en Syrie, ils ont agi en bon contre-révolutionnaires en aidant, dans les faits, Bachar el-Assad.
Quel est le bilan de la « bonne gauche » qui vient des anciens PC ? Cette « gauche » qui par le passé a plus ou moins couvert les abominations de Staline, de Mao et de Pol Pot. Le bilan est lourd, très lourd. Il est dans la lignée de ce qu’ils ont fait précédemment et je n’ai pas l’intention d’attendre des décennies pour le dénoncer.
Le peuple syrien vient de se faire massacrer pendant dix ans dans une relative indifférence parce que ceux qui avait le devoir de défendre les syriens, les organisations du mouvement ouvrier, ont en fait soutenu le massacreur comme ils avaient jadis soutenu Staline, Mao, Pol Pot.
Plus de 380 000 morts. 6 millions d’exilés. 6 millions de déplacés internes
Honte à ceux qui ont soutenu le dictateur, le massacreur de son peuple !
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