Des aveux bienvenus
Quel crédit encore accorder à M. Elkabach (Europe 1, ex-France télévisions), Mme Chabot (France Télévisions), M. Ganz (ex Prisma Presse), M. Giesbert (Le Point, ex-Nouvel Observateur, ex Le Figaro), M. Val (Radio France, ex Charlie Hebdo), M. Fottorino (Le Monde) et à M. Plenel (Médiapart, ex Le Monde, ex Rouge) ? Il est vrai qu’ajouter quelques hautes figures comme M. Fogiel, Mmes Ferrari, Chazal, Okrent ou toutes les poupées journalistes (hommes et femmes) qui peuplent désormais les médias n’aurait pas sauvé le bateau qui coule.
On retient tout de même de l’exercice des aveux qui, sans être des révélations, sont des confirmations bienvenues. MM. Elkabach et Pujadas en ont assez de « l’information people » et du voyeurisme qu’elle vise à susciter ; MM. Fottorino et Giesbert reconnaissent les pressions économiques et politiques qui s’exercent sur les médias ; MM. Val et Elkabach avouent s’être trompés mais sans dire sur quoi.
Le masque réjoui de M. Plenel
Il n’y a guère que M. Plenel à se réjouir, de façon un peu crispée toutefois, du bouleversement de la profession que provoque le succès des sites d’information sur Internet. Mais, - hélas ! - c’est une ritournelle qu’il chante régulièrement depuis la création de son site Médiapart (1). Et loin de réviser les erreurs que ne cessent pas de diffuser les médias depuis des lustres pour tenter de gagner en crédit, il les ressert sous le masque de nouveaux atours : « Si nous voulons que tout reste tel que c’est, disait Don Salina dans « Le Guépard », il faut que tout change. » Ou encore il faut bien changer un peu si on veut que rien ne change.
Ainsi, dans un élan d’humilité feinte, M. Plenel brandit-il le paradoxe roboratif et le leurre de la flatterie pour fourguer ces concepts avariés : « Avant les citoyens devaient passer par nous pour exprimer leur opinion, s’écrie-t-il. (… ) Ça, c’est fini ! Alors, c’est une mauvaise nouvelle pour les journalistes ? Ça les menace ? Je crois l’inverse. Je crois que c’est une très bonne nouvelle. Car ça nous remet à notre place. L’opinion, le jugement, le point de vue, n’est pas notre monopole. Ça appartient à tout le monde. En revanche, le travail sur l’information, l’enquête, le terrain, le reportage, c’est notre job, c’est notre métier. Eh bien ! Concentrons-nous là-dessus, et puis le reste est ouvert à la discussion. » (2)
Sous le masque, toujours la même erreur
Qu’y a-t-il d’inédit, en effet, sous ce masque nouveau ? Rien ! M. Plenel est solidement cramponné à un postulat erroné de « la théorie promotionnelle de l’information diffusée par les médias » et qui les a conduits au naufrage d’aujoud’hui. : la distinction illusoire entre « information » et « opinion », « fait » et « commentaire », « journal d’information » et « journal d’opinion », « information » et « communication ». Selon M. Plenel, « le fait », « la vérité factuelle » serait « le job » des journalistes – Le jargon américain fait autorité ! – tandis que « le commentaire », expression de « l’opinion » du « jugement », du « point de vue », appartiendrait à tout le monde.
Or, voilà au moins 50 ans que cette distinction est dénoncée comme invalide, mais les journalistes, à la pointe de l’actualité, ne le savent pas encore : fait et commentaire sont intimement imbriqués l’un dans l’autre comme le minerai et les scories dans leur gangue commune. Mais puisque l’erreur est sans cesse ressassée, sa critique doit l’être tout autant.
1- Une infirmité native de perception propre à tout être vivant
Tout être vivant souffre d’une infirmité native de perception : il ne perçoit la réalité qu’au travers du prisme de médias multiples et de fiabilité variable.
1- Ce sont d’abord des médias personnels : les cinq sens, le langage analogique (aspect physique, postures, silence, image) le langage digital ou arbitraire (les mots) et le cadre de référence de chacun (avec son expérience, son histoire et ses goûts).
2- S’y ajoutent éventuellement les prothèses des médias de masse que sont les journaux, les chaînes de radio et de télévision, Internet, eux-mêmes associés aux médias personnels de ceux qui les utilisent.
Imagine-t-on le nombre de filtres déformants par où transite une information de sa source au récepteur ? Ainsi n’accède-t-on jamais au « terrain » directement, même en s’y rendant sur place, mais à une « carte plus ou moins fidèle à ce terrain », selon l’image lumineuse de Paul Watzlawick. On ne relate pas « un fait », pas plus qu’ « une vérité factuelle », comme dit M. Plenel, mais « une représentation d’un fait plus ou moins fidèle ».
2- Une loi fondamentale de « la relation d’information »
À cette perception infirme s’ajoute la contrainte d’une loi fondamentale de la relation d’information : nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire. Ce n’est pas de la malignité mais une question de survie. On ne s’expose pas volontairement aux coups d’autrui, on s’en protège au contraire. Un aphorisme prêté à Churchill ne dit pas autre chose : « En temps de guère, la vérité est si précieuse qu’elle devrait toujours être protégée par un rempart de mensonges. » Cette règle vaut aussi par temps de paix : les conflits entre les hommes cessent-ils jamais ? Le pêcheur use de leurres pour attraper ses poissons et se garde bien de leur montrer comment ils sont faits sous peine de rentrer bredouille.
Dès lors le traitement de l’information se présente comme une médaille avec un endroit et un envers. 1- D’un côté, l’information doit être vérifiée, « recoupée », comme aiment dire les journalistes, en se gardant de parler de l’envers. 2- Car, d’un autre côté, il ne suffit pas qu’une information soit exacte pour qu’elle soit diffusée : tout dépend de son utilité, de sa nocivité ou de son innocuité pour l’émetteur. Ainsi, toute information diffusée est-elle intimement associée implicitement à l’opinion suivante : diffusée car utile ou non-nuisible aux intérêts de l’émetteur. Et toute information dissimulée est accompagnée du commentaire implicite contraire : dissimulée car nuisible aux intérêts de l’émetteur. C’est pourquoi il est si intéressant de chercher à l’extorquer.
L’information soumise au choix personnel de l’émetteur
Faire croire que l’information, purifiée de toute opinion, relèverait des prérogatives du journaliste et que le seul commentaire appartiendrait aux sites d’Internet, est donc un leurre. L’expérience le montre tous les jours.
1- Un tri draconien
Les médias sont amenés à choisir les informations diffusées pour deux raisons : la première tient à la contrainte de la loi qui régit la relation d’information expliquée plus haut. La seconde est la contrainte de l’exiguïté de l’espace et du temps de diffusion. Les informations sont trop nombreuses chaque jour : on ne transvase pas un tonneau dans une bouteille. Les médias traditionnels écartent donc fort légitimement certaines informations pour en retenir d’autres, et les médias d’Internet en font autant. Mais ce ne sont pas forcément les mêmes informations qui sont choisies ou écartées. Le pluralisme des sources mis à disposition s’en trouve donc accru grâce à Internet et, avec lui, une plus grande chance est donnée d’améliorer la qualité de l’information.
2- La mise hors-contexte selon l’intérêt de l’émetteur
Parmi les informations que les médias traditionnels choisissent de diffuser, d’autre part, il arrive que le contexte soit sciemment oublié ou déformé au point de dénaturer le sens de l’information et de livrer une « représentation éloignée de la réalité » : il est facile par exemple de transformer une victime en coupable ; il suffit d’omettre le jugement qui a rendu justice à la victime (3). Les médias traditionnels sont experts en la matière. Mais les médias d’Internet eux-mêmes ne sont pas à l’abri de ces mêmes pratiques.
Quand ils corrigent, en revanche, un contexte erroné, ils offrent une représentation fidèle de la réalité. Et c’est ce qui a changé : quand ils n’existaient pas, cette correction ne pouvait pas être publiée le plus souvent, car les médias traditionnels veillaient. M. Plénel l’avoue, « les citoyens devaient passer par (eux) pour exprimer leur opinion. »
Les médias traditionnels vont-ils un jour accepter de réviser leur « théorie promotionnelle de l’information » qui les a naufragés ? Sans doute bénéficient-ils du secours de l’École et de l’Université pour continuer à farcir la tête des jeunes citoyens de concepts erronés pour faciliter leur désorientation. On croit savoir, par exemple, que M. Plenel enseigne. Mais ils auront beau faire, jamais les intérêts du pêcheur ne seront ceux du poisson, quelle que soit l’invention dont le pêcheur peut faire preuve dans la confection de ses leurres pour capturer le poisson. Paul Villach
(1) Paul Villach, « « Médiapart » d’É. Plenel, un nouveau média ou un média de plus ? » AgoraVox, 7 décembre 2007.
(2) (2) Extraits de l’émission diffusée sur Arte, mardi 9 février 2010, « 8 journalistes en colère », de Denis Jeambar, F. Bordes et S. Kraland
« Edwy Plenel. - Avant les citoyens devaient passer par nous pour exprimer leur opinion. Ils dépendaient de nous. Est-ce qu’ils m’interviewent ? Est-ce qu’ils publient ma tribune ? Est-ce qu’il me cite dans son papier ? Nous étions un relais indispensable en termes d’expression des opinions.
Ça, c’est fini ! Alors, c’est une mauvaise nouvelle pour les journalistes, ça les menace ? je crois l’inverse. Je crois que c’est une très bonne nouvelle. Car ça nous remet à notre place.
L’opinion, le jugement, le point de vue, n’est pas notre monopole. Ça appartient à tout le monde.
En revanche, le travail sur l’information, l’enquête, le terrain, le reportage, c’est notre job, c’est notre métier, eh bien concentrons-nous la-dessus, et puis le reste est ouvert à la discussion.
Voix off .- Illustration façon Plénel de ce qu’est le travail d’enquête : information vérifiée, recoupée avec le souci de fouiller jusqu’au moindre détail.
Edwy Plenel . - Ce qui m’a le plus choqué récemment, si je prend vraiment le temps récent, c’est cette utilisation , y compris par des journalistes du mot dérisoire sur une vérité factuelle : est-ce que Nicolas Sarkozy était le 9 novembre 1989 au mur de Berlin ? On sait que cette nouvelle qu’il a annoncés lui-même avec une photo présentant ça comme une vérité historique était fausse, qu’il n’était pas à cette date-là à cet endroit-là, à ce moment-là.
Est-ce que c’est secondaire, est-c que c’est dérisoire, est-ce que c’est insignifiant ? Est-ce que la vérité est quelque chose d’insignifiant ? »
(3) Paul Villach, AgoraVox,
- « « Lionel raconte Jospin » ? L’aveu d’une duplicité foncière ? », 12 janvier 2010.
- « Timisoara : « Ceci n’est pas un charnier », aurait écrit Magritte », 29 décembre 2009.
- « La présomption d’innocence maltraitée par les médias de masse », 7 mars 2008.
- « La présentation par France 2 de « La journée de la jupe » : indigence ou malhonnêteté intellectuelle ? », 25 mars 2009.
- « La palme d’or du festival de Cannes : un blâme académique et une gifle pour les enseignants ? », 29 mai 2008.
- « Faire d’une victime un agresseur : la recette provençale du Midi libre », 26 mars 2008.
- « Psychiatriser l’opposant : le journal Le Monde à l’école de La Pravda ? », 21 mars 2008.
- « La légion d’honneur de Jean-Michel Beau : le journal Le Monde trompe sciemment ses lecteurs ! », 25 mai 2009.
- « Karen-Montet-Toutain, ce survivant reproche vivant qu’aimerait discréditer Le Figaro », 26 janvier 2009.
- « Outreau : un débat et non « une polémique » sur une institution judiciaire dévoyée », 27 avril 2009
- « La sape indolore et quotidienne de la démocratie par les médias », 22 avril 2009.
- « « Human Bomb » sur France 2, ou la qualité de l’information disponible », 19 septembre 2007.