Il est temps de repenser la relation de couple amoureux
Le couple, cette forme d'association d'individus qui régit la quasi totalité des rapports amoureux dans nos sociétés, influence nos manières de penser et de vivre nos rapports humains affectifs, mais aussi nos rapports avec nous-mêmes.
Ainsi, tout naturel et allant-de-soi que le couple amoureux paraisse, il mérite d'être examiné, pesé, retourné, en essayant de considérer ses fondements et ses conséquences.
ll semble naturel dans nos sociétés occidentales, pour deux êtres humains qui se mettent à éprouver des sentiments d'affection et de désirs l'un pour l'autre, de « se mettre en couple ». Dès les débuts de l’adolescence jusqu’à la fin de vie, les Hommes appliquent ce même phénomène social : il faut institutionnaliser le sentiment amoureux, le consacrer, le légitimer, en entrant en couple avec la personne aimée.
Ainsi, le passage en couple apparaît comme étant le corollaire indissociable de l'état amoureux.
Deux personnes amoureuses, c’est à dire deux personnes éprouvant naturellement un sentiment d’affection, de désir et d’attraction aussi bien physique qu’intellectuel l’un pour l’autre, doivent automatiquement s'auto-déclarer en couple, comme pour passer d'un état instable à un état stable, l'état instable étant celui durant lequel l'amour est éprouvé mais l'état de couple non encore déclaré.
Pourtant, à bien y regarder, cela ne va pas de soi. Ce réflexe social est évidemment acquis et non inné, il découle du fait que toutes nos représentations mentales aient été forgées selon ce modèle depuis notre venue au monde ; en moyenne, le cerveau humain se forme à raison de deux millions de connexions neuronales par seconde jusque 15 ans, et ces connexions se forment à partir du vécu individuel de l'enfant. Elles vont ensuite aboutir entre autres à un système de représentations acquises par l'enfant, sur lesquelles il construit son monde mental et ses idées. A supposer que l'enfant moyen se forme avec le monde merveilleux de Disney, qui lui apprend que tous les amoureux sont obligatoirement aveuglés par leur passion et tendent vers la situation de couple qui stabilise leur relation, se divertit avec ses Barbies et ses Kens, puis devient assez grand pour regarder les séries télé qui font interagir les personnages autour de problématiques passionnantes relatives à des enjeux de couples amoureux qui se créent, se brisent, et se trompent en de délicieux scandales, on voit aisément comme la connexion est facilement faite : deux personnes amoureuses doivent se déclarer en couple pour atteindre un état de stabilité. Comme l'atome excité émet un photon pour retomber en homéostasie. Cette pratique étant acquise par tous, elle ne fait pratiquement pas débat et chacun attend l'heureux instant à partir duquel il pourra commencer une relation de couple amoureux.
Mais, et c'est là que se dessine la problématique, le couple ne se résume pas en une simple déclaration qui légitime socialement la relation amoureuse. Il comprend en plus un ensemble de règles, de prescriptions morales, pré-définies de la même façon, acquises de la même façon. Les deux "contractants" adhèrent ainsi à ce règlement tacite connu de tous, selon lequel aucun des deux associés ne peut avoir de relations sexuelles ou de proximité physique avec qui que ce soit d'autre que l'autre membre du couple, chacun doit se donner à l’autre à un degré plus ou moins élevé, et donc accepter un seuil d'autorité venant de l'autre supérieur au seuil qu'il accepterai de n'importe qui d'autre, ce qui peut se traduire par exemple par l'obligation ( dont le niveau varie bien entendu selon les cas ) de fournir à l’autre sa localisation, sa compagnie, son activité, etc... en de nombreuses circonstances. Cela se traduit également par l’acceptation d’un certain niveau de contrôle de soi par l’autre.
Bien entendu, ces règles sont perçues unanimement comme étant la condition nécessaire de l’état de couple, si l’un de deux contractants en transgresse une, cela est considéré comme portant atteinte au couple et donc à la relation amoureuse ( ce qui pourtant ne va pas de soi ).
Il ne semble alors pas inutile de s’interroger sur la légitimité de ces règles, la principale étant celle de la fidélité : est-ce qu’échanger du plaisir physique avec un tiers signifie automatiquement le rejet de l'autre ? Sa trahison la plus infâme ?
A priori, c'est le cas, du moins, c'est ce que nous avons intériorisé. Nous avons en effet appris à éprouver de la jalousie lors d'une infidélité, grâce encore une fois à notre environnement qui nous témoigne toujours que si l'un des deux amoureux « trompe » l'autre, alors la relation est brisée. Bon nombre d’enfants voient leurs parents ou d’autres membres de leur famille divorcer ou se séparer car l’un a eu « une aventure ».
Attention cependant, ce sentiment de jalousie n'est pas acquis, ce serait hasardeux de le considérer comme tel, il existe chez l'Homme par nature, et se déclenche lorsqu’un être humain prive un autre de la réalisation d’un désir en s’accaparant pour lui l’objet désiré ; ce qui est acquis cependant, ce sont les circonstances qui doivent déclencher cette jalousie dans le couple.
Lorsque l'on m'apprend depuis mon arrivée sur Terre que si mon amoureux/euse échange du plaisir sexuel avec quelqu'un d'autre, c'est que son amour envers moi n'est plus assuré puisqu'elle transgresse notre contrat sentimental, alors évidemment je vais me sentir trahi, rejeté, et je vais viscéralement en vouloir à ces derniers, l'un pour m'avoir trahi, l'autre pour m'avoir dérobé mon bonheur, et je vais réellement ressentir colère rage et humiliation !
Mais sans cette symbolique parasite, qui est acquise, qu'en est-il ? Si on ne considère plus qu’avoir une proximité physique avec d'autres corresponde au déclin du sentiment d'affection pour l'autre, ce dernier va-t-il encore ressentir de la jalousie ? C'est fort peu probable. Et on voit aisément que cette association d’idées, acquise, qui associe « prendre du plaisir physique avec un tiers » et « éprouver moins d’affection pour l’autre membre du couple » est loin d’aller de soi, elle paraît d’ailleurs absurde.
Je peux tout à fait éprouver de l'affection et du désir pour plusieurs personnes, toute nouvelle relation affectueuse ne se fait pas au détriment des autres relations d’affection ; pourquoi le plaisir sexuel ou simplement amoureux serait-il à considérer différemment du plaisir éprouvé par l'amitié ? Ou bien du plaisir éprouvé à composer un morceau de musique avec d’autres personnes ? Ou même le plaisir de jouer aux échecs ? Si je prends énormément de plaisir en jouant aux échecs avec un ami, est-ce à dire que je trahirai cet ami si j'y joue avec un autre ? Dois-je souscrire à un contrat d'exclusivité pour chaque type de plaisir ? Alors pourquoi avec le plaisir amoureux ?
Tout se vaut, rien n'a de signification inhérente ou transcendante, la relation sexuelle et/ou amoureuse n'a pas naturellement porteuse d’une valeur symbolique en soi. Si je suis extrêmement proche d'une personne, avec qui j'ai des relations sexuelles et un partage de sentiments, cela s'écroule-t-il au moment ou je ressens du désir pour une autre personne ? C'est insensé.
La jalousie peut également être due à un désir de possession de l’autre par soi, un désir d’être le seul à avoir accès à son intimité. Mais ne prend-on pas ici l’effet pour la cause ? Est-ce parce-que les relations sexuelles sont intimes par nature qu’en avoir avec un tiers est félonie, ou bien est-ce parce-que l’on a décrété que cela ne se faisait qu’en couple que c’est un acte intime ? La réponse est évidente. Rien ne peut être intime en soi, le plaisir physique a pris une dimension intime du fait de son exclusivité prescrite et reconnue. Quant au désir par l’un d’avoir l’exclusivité sur l’autre, comment le justifier maintenant que l’on a éloigné l’hypothèse selon laquelle être physiquement proche d’un tiers signifie cesser d’aimer l’autre membre du couple ? Qu’est-il d’autre qu’un sentiment pathologique, probablement du à une faille narcissique, ou à un désir de combler une faiblesse dans son rapport avec soi même par la possession de l’autre, ce que l’on a tous appris à considérer comme sain et naturel ? Ainsi, la proximité physique avec un tiers ne mettant absolument pas en péril la relation amoureuse entre deux individus, la jalousie semble tout à fait injustifiée et socialement déterminée.
L'on voit d'ailleurs à quel point tout cela est névrotique : combien de désirs refoulés pour pouvoir garder une relation privilégiée avec quelqu'un ? Combien de belles relations gâchées par le contrat d'exclusivité du couple ? Y compris la relation liant les membres du couple eux-même ! Car, autant de renoncement pour une personne, ne va pas dans le sens d'un accroissement de l'affection éprouvée pour cette personne, bien au contraire.
Cette sacro-sainte règle de fidélité n'est d'ailleurs pas sans cause, elle trouve son origine ( ou du moins, l’une de ses origines ) dans la religion chrétienne, qui place la moralité dans le déplaisir et dans le renoncement de soi, le don de soi à l'autre, le sacrifice maladif de soi, qui sera bien sur compensé dans l’autre monde ! Ce qui donne la vision du couple totalement inhumaine dans laquelle chacun se donne à l'autre, renonce à ses désirs humains pour l'autre, pour qu'au final cela n’apporte rien à personne, car chacun alors s'éloigne de toute opportunité d'échange de plaisir avec d'autres : le couple fait alors régresser les deux individus, au lieu de les grandir.
Evidemment, dépasser ce principe archaïque de fidélité ne signifie pas la fin de la relation amoureuse, au contraire, puisque cela n'empêche en rien une grande et belle relation privilégiée avec quelqu'un, avec qui, par exemple, l'on aime tout partager, que ce soit du plaisir ou même le partage de récits d'expériences avec d'autres, etc... Tout est imaginable, chaque relation diffère selon les personnes qui les vivent, il est absurde de vouloir instaurer une norme à respecter dans les relations sentimentales ! Chacun vit différemment son rapport affectif aux autres, et mettre en place une norme applicable à tous n’est absolument pas adapté à l’optimisation de ces rapports affectifs, bien au contraire.
Ainsi, ce qui fait la force de ce règlement de couple par rapport à tout autre type de règlement, c'est bien la chose suivante : briser une de ces règles, en particulier celle de la fidélité, c'est porter atteinte au couple, car elles en sont la condition nécessaire ; et porter atteinte au couple, c'est ne plus aimer l’autre, montrer que l’on aime l’autre d’une façon au moins lacunaire.
C'est donc à partir de la confusion de base selon laquelle un sentiment amoureux réciproque est exprimé par le statut de couple et n'en est pas dissociable, que l'on se retrouve à être soumis à ces règles de manière viscérale : sortir des règles, c'est sortir du couple, c'est s'exposer à ne plus partager d'affection avec l'être aimé. Les deux membres du couples se retrouvent alors contraints injustement... par le désir de faire persévérer une belle relation d’affection ! C'est ainsi que l'on se retrouve dans des situations aberrantes, par exemple celle de deux personnes qui cessent de porter de l'affection l'une à l'autre parce que l'un des deux a un rapport physique avec un tiers, là ou sans le statut de couple, cela n'aurait aucune importance sur le lien d'affection entre ces deux personnes ; ou le harcèlement continuel de l’un par l’autre à cause d’une jalousie illégitime mais pourtant considérée comme normale.
La conséquence va de soi : le couple est un rempart à l’expression de l'amour, de l'affection et du désir entre deux individus, en ce qu'il pervertit l'échange d'affection, échange qui est sensé procurer du plaisir, plaisir que le couple transforme en contrainte infondée pour les individus, contrainte qui devient névrotique et assujettit les individus, et qui plus est, force souvent l'arrêt de relations d'affection, en créant entre autres la jalousie qui est légitimée par les règles de fidélité ( terme qui d'ailleurs est généralement employé pour les caniches soumis et dociles ).
Trop de relations s’interrompent violemment à cause de règles brisées, et donc de déchirement de couples selon la logique décrite ci-dessus, intériorisée par tous, alors qu'elles auraient pu s'épanouir en dehors de toute contrainte individuelle.
Le couple est donc nuisible au niveau individuel, car il contraint toute personne faisant partie d’une relation affirmée par le passage en couple de renoncer à toute autre relation de proximité physique, de se donner à l’autre, c’est à dire de renoncer à bon nombre de libertés pour sauvegarder la relation. Il est également nuisible au niveau de la relation entretenue par les deux membres du couple lui même, car, d’une part, être dans une relation de couple c’est se donner à l’autre dans des proportions relatives, et donc, ne plus désirer l’autre à terme puisque l’on désire que ce que l’on a pas, et que le couple garantit à l’un la possession de l’autre ! Il est difficile de désirer ce que l’on a déjà avec une certaine garantie, et donc le désir s’épuise du fait du couple. D’autre part, comme évoqué précédemment, les règles imposées par le statut de couple vont dans le sens contraire d’une évolution positive de cette relation, qui est cause de désirs refoulés, car l’on apprend à refouler chaque désir éprouvé pour un tiers, et en portant atteinte au développement individuel libre de chaque membre du couple, il porte atteinte à cette relation même, qui serait peut-être bien plus stimulante pour chacun si elle se faisait hors de toute contrainte injustifiée.
Le couple fait donc perdre pied au but premier de son établissement, c’est à dire le plaisir reçu par chacun des deux individus grâce à leur relation. Ce plaisir transformé en contrainte, ou du moins converti en partie en contrainte car le plaisir ne disparaît totalement que très rarement, il devient évident que le couple, adversaire du but premier de son établissent, est une association absurde qu’il est temps de dépasser.
Personne n’a à être soumis à des règles qu’il n’a pas décidées lui même, qui plus est lorsque celles-ci sont nuisibles à son être et à ses relations humaines. La façon dont les individus libres pratiquent leurs rapports affectifs n’a pas à être uniformisé, il est insensé de croire que tous les humains peuvent s’épanouir dans les mêmes conditions. Sensé consacrer la relation amoureuse, le couple l’affaiblit et en contraint les membres.
Une association bénéfique pour deux individus doit grandir ces deux individus, les épanouir, leur offrir de nouvelles possibilités humaines, de nouvelles sources de joies, de bonheurs, d'expériences ! Elle ne doit pas brider les individus, les contraindre injustement, leur faire refouler leur désir de nouveauté, leur faire porter un collier. Il n’y a aucune raison pour que la liberté soit le prix à payer, la contrepartie au plaisir reçu pour le partage d’une relation amoureuse ; cela peut se construire différemment.
Ainsi, alors que l’amour entre deux personnes pourrait les libérer d’une société aliénante, en permettant l’expression libre de sentiments qui mènent à du plaisir librement partagé, le couple convertit cet amour en un nouvel instrument de dépossession de soi et de soumission ; il en fait un nouveau barreau de la cage dans laquelle tout est fait pour nous enfermer, bien en ligne à côté des autres barreaux que représentent l’argent, la religion, le service du travail obligatoire pour subsister, les patrons, les possédants, les élus qui nous gouvernent, la répression policière injuste, la propagande médiatique qui formate les individus, la surveillance de nos faits et gestes, l’infantilisation des citoyens. Au moins, nos cages sont confortables et climatisées.
Pour réhabiliter des relations saines et libres entre les Hommes, pour ré-introduire l’expression sans entrave du sentiment amoureux et l’affection libérée de toute contrainte déraisonnée dans la société humaine, il est temps d’évoluer, de se libérer du diktat du couple, et ainsi, pourquoi pas, de briser un premier barreau.
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