2. Il n’y a pas de violence gratuite : le yeux grand fermés

De cette fable des temps modernes qui voudrait nous infliger le même supplice qu’on administre au protagoniste dans le film, nous obliger à voir en nous interdisant de fermer les yeux, comme tout œuvre apocalyptique on n’a retenu que la forme, pas la vision. Il a fallu que je visite moi-même quelques prisonniers tortionnaires de la police militaire grecque après la chute de la dictature pour me rendre compte qu’un apprentissage théorique et pratique d’antivaleurs, non seulement était possible mais hélas, libérateur. Ces tortionnaires m’expliquaient que tout était fait et permis pour prendre à rebours les « valeurs humanistes décadentes » et je me rappelle encore un de leurs exemples : On vous dit « il ne faut pas frapper une femme même avec une fleur » ; « nous, on les frappe avec des pots de fleur ».
Chargés de semer l’horreur « dans les quartiers chics bien pensants », quoi que militaires, ils se déguisaient en indiens, laissant leurs cheveux pousser jusqu’aux hanches, choisissaient leurs victimes au hasard, les frappaient à mort, emmenant les filles à la police militaire (EAT-ESA) pour les violer à tour de rôle. Puis, ils les lâchaient. En effet, il ne s’agissait pas de soutirer des information, mais « de créer une panique monstrueuse au sein de la population ». « Allez-vous en » disaiten-ils « et dites aux autres que bientôt ça sera leur tour »…
Pas un de ces tortionnaires ne regrettait quoi que ce soit : « je me sentais, pour la première fois de ma vie, libre » , « j’ai pris mon pied, et en plus c’était permis », « on a voulu extraire de nous la sauvagerie, et bien, c’est raté », etc. De cette expérience hallucinante, qu’encore aujourd’hui je n’arrive pas à décrire avec des mots justes, Maria Daraki-Mallet en a fait un livre magnifique, « les Essatzides » - les hommes de la police militaire – en 1976. Cette spécialiste du logos, imbue de lettres classiques et des Lumières (lire aussi son « les fonctions psychologiques du logos » in « Les stoïciens »), travaille sur la contradiction entre « impulsion » et « choix moral », à condition que ce dernier soit toujours présent.
Aristote opposa en son temps la vie de la cité à la « bonne vie ». Si on veut vivre hors de la société, il faut faire le choix de l’anachorète, de l’ermite. Faire le sacrifice de tout, carrière et argent entre autres. Car « vouloir avoir » engendre de la violence que la cité canalise par des règles. Il n’existe pas au sein de la Cité un monde intime et un autre public. De l’un ou de l’autre, il faut choisir. (A suivre).
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