Immersion dans le métro parisien
Tout le monde connaît le métro. Et chacun, fort de son expérience, est à même de juger ce prestigieux outil sans lequel notre capitale perdrait une partie de son identité. Mais qu’en pensent les provinciaux et les visiteurs étrangers ? Il m’est paru intéressant de glaner ici et là quelques impressions de voyage. C’est ainsi qu’un matin, dédaignant l’appel du soleil, j’ai plongé sous terre à la recherche de mon interlocuteur privilégié : le touriste…
9 h 30. Station Châtelet. Deux ravissantes blondinettes dont les sacs s’ornent d’une feuille d’érable, cherchent à s’orienter dans la vaste salle des échanges où se croisent les flux de voyageurs. Je mets le cap sur elles. Moyennant un slalom pour éviter les embardées d’un amateur matinal de jaja, puis un groupe de jeunes à capuche tout émoustillés par le Tic-Tac de Black M déversé par une enceinte Bose Bluetooth, je parviens à la hauteur de mes deux Canadiennes. « Le métro ? C’est sale », affirme Jennifer. « Et ça pue ! », ajoute Sharon d’un air pincé. Une opinion hélas partagée par nombre de nos visiteurs, il faut bien en convenir. Ainsi le grisonnant Kjetil, tout droit venu de la lointaine Oslo : « Dommage qu’une si belle ville présente des aspects aussi négligés », regrette-t-il d’un air sincèrement navré. D’autant plus qu’« Il n’est pas très sain d’être plongé dans un tel bouillon de culture », souligne Hervé, un Palois dont c’est la première visite dans la capitale. Je le rassure aussitôt : s’il survit à une immersion d’une heure, il sera définitivement immunisé.
Les Bavarois Hannelore et Hans-Peter s’offusquent, pour leur part, de la présence de trop nombreux sans-abri. « Cela nuit à l’image du réseau et de la capitale », pensent-ils. Un avis que ne partage pas Alex, un Genevois cynique : « Ils font partie intégrante du décor. Paris sans eux, ce serait de l’emmenthal sans trous ! » affirme-t-il en souriant avant d’en remettre une couche sur un ton goguenard : « Je les soupçonne même d’être subventionnés par la Mairie de Paris. » De l’humour helvète, sans doute !
Albert, un septuagénaire alsacien a, quant à lui, quelques difficultés à s’orienter sur le réseau, mais il garde le sourire : « Ce n’est pas la signalétique qui est en cause, mais malheureusement ma vue qui baisse, et la RATP n’y est pour rien. » Un propos que tempère Marianne, son épouse : « Il est parfois difficile de trouver la bonne sortie dans les grandes stations, c’est un vrai labyrinthe ! »
Jeux de mains, jeux de vilains
Autre grief, et non des moindres : les agressions sexuelles dont sont trop souvent victimes nos visiteuses, et particulièrement les étrangères que l’isolement linguistique et culturel rend plus vulnérables. À commencer bien entendu par les plus jolies d’entre elles. Ainsi Petra, la jeune Néerlandaise, dont le physique avantageux suscite les appétits des obsédés de tout poil. Des atteintes à sa personne qu’elle dit subir avec philosophie. Si l’on pétrit Petra sans la traumatiser – mais peut-on la croire ? –, d’autres en revanche supportent mal la promiscuité sournoise et agissante des heures de pointe. Donatella, une Milanaise à la quarantaine attrayante, s’est même rebiffée lors d’un précédent séjour, n’obtenant en retour de son agresseur qu’une bordée d’injures proférées dans l’indifférence générale. Vigdis, quant à elle, subit en silence mais au prix d’un violent effort sur elle-même. « Il est vrai qu’il n’y a pas de métro à Reykjavik ! », observe-t-elle avant d’ajouter : « Ce qui n’empêche pas des désagréments du même genre dans les bus lorsqu’ils sont bondés. »
Qui dit agressions dit coups et blessures, et force est de reconnaître que sur ce plan-là, je fais chou blanc : pas le moindre coquard, pas le plus petit horion à me mettre sous la plume. Les loubards absents ou discrets, restent les tire-laine, les coupe-bourses et autres vide-goussets. Bref, les pickpockets. Principalement présents sur la ligne 1, la plus fréquentée par les touristes, ils marquent une nette prédilection pour nos visiteurs asiatiques, et notamment pour les Japonais, pourtant mis en garde par leurs guides mais peu habitués à ce type de délinquance, rarissime il est vrai dans les transports nippons. Et comment soupçonner la petite brunette de 12 ans avec sa veste de laine posée sur l’avant-bras dans une attitude d’absolu détachement ou son petit frère de 10 ans au regard si candide ?
Précisément, quel est le volume des plaintes déposées pour des faits d’agression ou de vols caractérisés ? Un cadre du PC sécurité de la RATP me renseigne à Gare de Lyon : « En moyenne, une dizaine de plaintes par jour sur l’ensemble du réseau, en majorité pour des vols. Rapporté au nombre des usagers, cela fait une plainte par… million de voyages ! » Impressionnant, car même si les faits délictueux restent trop nombreux, on est bien loin du sentiment d’insécurité entretenu par les reportages d’une presse qui met dans le même sac le métro parisien et quelques lignes chaudes du réseau SNCF de banlieue. Il est vrai que les patrouilles du GPSR (Groupe de protection et de sécurisation des réseaux) se révèlent plutôt dissuasives, d’autant plus qu’outre leurs tonfas, les agents de sécurité disposent de pistolets 9 mm depuis la loi Savary de mars 2016.
Autre présence jugée importune par les touristes, celle des solliciteurs de toutes sortes, en quête d’une pièce ou d’un ticket-restaurant. « J’ai horreur que l’on cherche à me culpabiliser, je me sens prise en otage dans la rame », me confie Annie, la mère de famille d’Arras en transit pour Disneyland avec ses deux gamins. Adrien, l’Aveyronnais de Bozouls, se plaint, quant à lui, de l’agressivité de certains quémandeurs, heureusement peu nombreux. Les chanteurs et musiciens embarqués (que la RATP n’est pas parvenue à éradiquer malgré l’interdiction d’accès aux rames) sont considérés comme moins gênants. Mais de qualité souvent médiocre, contrairement aux musiciens accrédités pour jouer dans les couloirs*, ils ne suscitent qu’un intérêt des plus mitigés, à quelques rares exceptions près. Eileen, une brune Américaine, apprécie notamment les doinas des Roumains itinérants.
Un musée de la matraque
Cela dit, les touristes satisfaits existent, je les ai rencontrés. Satisfaits du réseau, tel ce couple de Danois stupéfaits de sa densité. Ou bien encore ce quinquagénaire londonien, ravi de pouvoir accéder sans difficulté et pour un coût dérisoire à tous les quartiers de la capitale. Satisfaits de l’accueil, tels Rinus le Flamand et Karen, la blonde Suédoise, seule Ida, une jolie Nancéenne, se montrant quelque peu critique envers le personnel. Satisfaits enfin de la décoration des stations comme cette vieille dame grenobloise émerveillée par la station Louvre-Rivoli (ligne 1) : « Ce serait formidable si elles étaient toutes aussi belles, chacune symbolisant le quartier qu’elle dessert ! » Et comment ! Métro-musée, métro-vitrine, voilà une idée choc à laquelle la Régie a déjà pensé, chère madame : voyez Arts-et-Métiers (ligne 11), Assemblée Nationale (ligne 12), Bastille (ligne 1), Cluny-La Sorbonne (ligne 10) ou Parmentier (ligne 3), pour ne citer que celles-là. Cela étant, il faut bien avouer qu’un musée de la matraque et du pavé habillerait joliment la station Censier-Daubenton (ligne 5) en souvenir des affrontements de Mai 68. Quant à celle de Pigalle (ligne 2), une ou deux vitrines de sex-shop y offriraient sur les quais un spectacle assez croquignolet et de nature à accroître la clientèle.
17 heures. Station Bastille, ligne 1. J’en ai plein les bottes. Un dernier touriste puis je remonte à l’air libre. À quelques pas de moi, un Japonais, les bras tendus et l’œil rivé sur l’écran LCD de son appareil, photographie les fresques en mosaïque illustrant la Révolution française. Je m’approche de lui et tente d’engager le dialogue. Peine perdue, le natif du Soleil levant ne parle pas français et baragouine avec difficulté quelques mots qui peuvent passer pour de l’anglais. Je préfère abandonner. Sayonara, Sir ! Nous nous quittons sur des courbettes réciproques.
« J’peux répondre à sa place », dit une voix dans mon dos. Je me retourne. Assis sur l’un des rares sièges en plastique, l’homme qui m’interpelle est un SDF. Sympathique, mais je ne m’intéresse qu’aux touristes, de préférence étrangers. Il balaie l’objection : « Justement, je suis un touriste de la vie. Quant à être étranger, je suis breton et fier de l’être. Je m’appelle Fanch, François si tu préfères. Si tu veux, je te chante le Bro Goz va Zadou** ou Me zo ganet e kreiz ar Mor***. » Inutile, je rends les armes : « Que pensez-vous du métro ? » Fanch s’humecte la gargamelle d’une gorgée de Kro avant de répondre : « C’est une invention géniale, question chaleur. Le problème, c’est le raffut des rames : ça empêche de pioncer. Note bien que pour dormir ici, faut en vouloir : avec la multiplication des sièges anti-SDF qu’ils ont mis en place, plus moyen de s’allonger pour piquer un roupillon. Ou alors à même le sol. Si tu vois les gros bonnets, rappelle-leur que dehors, il y en a qui crèvent, faute d’abri. » Je promets. « Alors, tout va bien. Kenavo, mon gars ! »
* À l’occasion des 20 ans des « Musiciens du métro », une sélection de ces derniers est montée sur la scène de l’Olympia le 23 novembre (lien).
** « Vieux pays de mes pères » : il s’agit de l’hymne breton directement inspiré de l’hymne gallois.
*** « Je suis né au milieu de la mer », d’après le poème du Breton Jean-Pierre Calloc’h
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