Instinct

C'était il y a longtemps, j'avais néanmoins déjà éprouvé l'instinct maternel, étonnée d'un changement aussi radical en moi, le fait des hormones en ce cas.
J'ai souvent mêlé instinct et intuition ; ils ne sont pas si différents au fond, tous les animaux ont un sixième sens, une vigilance qui accroît leur perception, et, la plupart du temps, le bon choix opéré pour survivre : fuir quand c'est possible, sinon, attaquer. L'instinct est une forme d'intelligence extrêmement perfectionnée qui vise à la survie de l'individu, à la survie de l'espèce. Perfectionnée parce que rapide, instantanée, indispensable au choix immédiat. Dans la nature, on n'a pas le temps de se concerter, palabrer, tergiverser, différer pour que le troupeau sache ce qu'il a à faire pour se sortir d'une mauvaise posture.
L'instinct n'est pas la seule intelligence que possèdent les animaux ; je les ai vus vivre ensemble, pleurer leurs morts, trouver des sorties improbables pour brouter une herbe plus verte, protéger leur petit ou au contraire l'exposer à une initiation sans pitié ; je les ai vus discourir autour du point d'eau, jouer, se lécher et expérimenter leur rôle dans le groupe et toujours, tirer leçons de leurs expériences avec, il est vrai, un brin de traumatisme quand l'expérience était violente.
Mais je n'ai observé que des bêtes plus ou moins proches de l'homme et, en tous les cas, dépendants de lui à ce moment.
Les animaux m'ont beaucoup appris, et les enfants aussi. En revanche, la leçon que m'offrait la quasi totalité des adultes que j'ai pu fréquenter, était toujours une leçon de contradiction, de répulsion ; pas la moindre porte ouverte et, toujours, l'obligation de rebondir contre leurs préjugés, leurs névroses, et m'éloigner.
Je pense que l'instinct, chez l'homme, est cette connaissance de soi implicite, savoir en tous instants ce qui est bon et ce qui n'est pas bon pour soi ; celui-ci peut se muer en défi, en volonté de se surpasser, d'abord de l'ordre du jeu puis devenir plus sérieux.
L'instinct n'est pas donné aux animaux et remplacé chez l'homme par l'intelligence ! L'instinct est une intelligence dont sont dépourvus bon nombre d'humains ; chez certains animaux aussi il peut faire défaut, enfin chez les animaux qui vivent avec les hommes ! Je place cet instinct à un niveau, non pas primaire, mais très profond, ce savoir inconscient qui affleure le moment venu. J'aime à contredire les philosophes sur ce point qui, tous ou la plupart, qualifient l'intelligence de souple et adaptable, et l'instinct comme geste parfait mais rigide. Je vois l'instinct comme une adéquation efficace parce que « fulgurante » dans des situations, au contraire, variées et inconnues et qui font appel à ces ressources profondes, là où l'intelligence de l'homme est trop lente, où la rapidité de la perception à la fois globale et dans les détails, nous amène à la bonne réaction ; je pense en voiture par exemple ou parfois accélérer est le bon geste ; pour moi l'instinct n'est pas un savoir-faire imprimé dans nos gènes – comme l'abeille construit ses alvéoles, comme l'araignée tisse sa toile, exemple souvent donnés par les philosophes qui jugent la perfection de ces bâtis spontanés en dessous d'une pseudo perfection de la réalisation humaine : le chemin par la tête et la conception leur paraissent le summum. Il me semble que c'est sans rapport !
Et pour tout dire, à force de vivre avec les bêtes, j'ai essayé, je me suis efforcée d'en faire passer le moins possible par la tête, gardant celle-ci pour les choses de l'esprit, qui est ou qui peut être l'antichambre d'une bonne adéquation à la vie. Se débarrasser du mental est le but de la sagesse orientale qui nous offre moult techniques, exercices ou hygiène pour y parvenir, ce qui fait que je confond, volontairement, cet état d'être total et l'instinct, même si je ne les superpose pas parfaitement ; cet abandon au réel apporte d'office l'adéquation, la disponibilité, et du coup l'harmonie qui est, même en des moments pénibles ou dramatiques, l'apanage des animaux et des hommes sages. La beauté des gens qui sont ce qu'ils sont et doivent être dans des circonstances particulières, est la beauté de la Nature, la beauté des animaux ; je ne vois rien de beau dans un penseur, même si j'en goûte les productions.
Ainsi je place dans un même champ sémantique : la Nature, la Beauté, l'harmonie, l'adéquation et l'instinct ; a contrario : l'humain, la laideur, le chaos, l'inadéquation et le mental.
La liberté se plaçant au bout de ce voyage, car c'en est un, sans balise, avec comme seule carte l'exigence de sa propre vérité et comme seul véhicule, son corps.
Bien entendu, nous avons tous en tête que la sagesse se réalise dans des endroits éloignés du monde séculier et chaotique des hommes, sans contraintes journalières de subsistance et, en gros, sans quotidien. Vouloir atteindre cette sagesse en restant dans le bain, on s'en doute, sera un voyage sans fin, si ce n'est la mort, mais dont la finalité n'est pas la mort. Mais la Vie.
Mais quel est-il, ce voyage ?
Il est un retour ; parce qu'on n'accumule pas mais parce qu'on se débarrasse, parce qu'on recherche un état que l'on conçoit comme originel, parce que notre inconscient le sait, qui ne peut s'exprimer que par avertissements.
Quelle idée sinon, d'avoir inventé ce paradis dont nous serions déchus ? Parler d'un désir de retour au liquide amniotique dont on se figure une symbiose totale avec son environnement, et la naissance comme meurtrissure ou comme épreuve initiatique ? Retrouver la santé, l'innocence, le potentiel maximum, toujours abîmé, entravé, contraint, canalisé ? La jeunesse comme curieuse et ouverte, tolérante et partageuse ?
Les nostalgiques, les décroissants, les adeptes de telle ou telle école de sagesse, les bouddhistes, tous ceux qui passent leur vie à tenter de redonner de la vie à leur entourage, à défendre les espèces en voie d'extinction, à faire un travail sur soi, à pratiquer le yoga, la méditation, tous ceux qui veulent freiner la folie ambiante, réparer, retrouver la pureté, tous ceux que l'on traite de réacs, de décalés, d'utopistes, sont de ce voyage.
Pourtant on ne sait pas si les premiers hommes étaient des animaux à l'instinct sûr, en adéquation ( j'aime bien « harmonie » mais celle-ci de nos jours évoque une espèce de sirop sans heurts alors qu'au fond, l'harmonie n'interdit pas les conflits, si ceux-ci sont inévitables et sains) avec leur biotope ; on ne sait rien de leur psychologie, mais on se doute qu'il y a eu une inadéquation qui empêcha une évolution heureuse et le besoin de civilisation, toujours courir derrière quelque chose que l'on croyait devant !
Nous avons pourtant tous les exemples de catastrophes, de fin d'épisodes qui nous prouvent que la course en avant n'est pas le chemin adéquate ; nous sommes les seules bêtes à qui cela arrive ! Tout en survivant ! Le déséquilibre est total qui cherche son point d'appui dans l'inconnu alors qu'il est logique de le situer dans le connu ; l'inconnu étant donné sans qu'il soit besoin de le provoquer.
Certains d'entre nous ont connu ces moments d'osmose, et je ne parle pas d'amour bien que cela puisse faire partie de cette recherche, avec la chose à faire au moment opportun, dans un lieu ou dans des circonstances absolument indépendantes de notre bon vouloir ; la plénitude alors ne se laissera jamais effacer. Cette expérience, ce vécu, sera le phare et pourtant aucune volonté jamais ne pourra l'atteindre ; il nous faudra retrouver les ingrédients, diffus, divers, innommables, d'un état de félicité, appelée grâce, mais qui ne nous distrait pas forcément de notre quotidien ; car celui-ci est riche et abondant en prétextes à la retrouver. Et pour y parvenir, le lâcher-prise est le seul moyen, moyen de faire le vide nécessaire à l'abandon, cet abandon qui lui-même est nécessaire à la totale interpénétration de soi et du monde.
Ainsi, il m'apparaît que l'homme qui vante tant son intelligence – la confond-il avec son ingéniosité ?- sa capacité d'anticipation – c'est à voir-, ses décisions, serait programmé à ce faire, suivant les injonctions qu'ordonne son cerveau, de la même manière que l'araignée tisse, l'abeille cire, l'hirondelle construit son nid. Il m'apparaît aussi que ces ordres donnés ne seraient pas toujours bien compris ni bien exécutés.
Un médecin allemand qui nourrit un cancer après la mort de son fils, se mit en quête d'une explication et élabora une théorie qui stipule que le cerveau donne toujours les bonnes injonctions pour réparer les blessures ou les contradictions, les dilemmes, que la vie occasionne ; l'exemple donné dans toutes les conférences que j'ai pu suivre était celui-ci : l'homme de Cro- magnon devait quitter son habitat protégé et ensoleillé, traverser une rivière pour aller chasser dans la forêt, seul endroit où il y avait du gibier. Mais dans cette rivière vivait un reptile venimeux qui avait déjà tué son oncle, son père et son frère, et le dernier homme de la famille pétait de trouille ; mais il ne pouvait pas, sous peine de perdre non seulement sa dignité mais aussi d'affamer les siens, ne pas y aller. Aussi, contracta-t-il une scoliose en plaques. Plus tard dans son évolution, il inventa le pont.
Sa thérapie consiste à remonter le cours des choses pour trouver le nœud de la contradiction, et libérer le cerveau de son devoir à nous protéger. Je le dis vite, c'est plus complexe ( et je n'ai pas de liens !! c'était avant internet), mais il s'est ainsi guéri de son cancer, quand il en a compris la cause et suivi le cheminement.
Bien évidemment, les choses ont empiré ; la peur des humains n'est plus celle de l'orage ou des incendies des paillers, mais celle de l'autorité, du pouvoir, celle des hommes, leurs congénères. Je trouve cela nettement plus inquiétant ; le temps est le même où on sacrifiait aux dieux, puis aux seigneurs, son labeur, sa vie, on sacrifie, à quoi au juste, aujourd'hui ?
Un cheval se laissera mourir de faim dans un petit enclos dont il pourrait pourtant sauter les clôtures, s'il est seul et déprimé, et surtout s'il a l'habitude d'être nourri de foin par l'homme ; s'ils sont plusieurs et qu'ils broutent de l'herbe, ils sortiront dès qu'ils ressentiront un manque ; aucune clôture ne peut enfermer un herbivore qui saute, sans élan, un mètre soixante, les doigts dans le nez. Aussi, la dépression latente imposée au prolétariat, est une tactique de guerre excellente, réduire l'instinct de vie ; donner leur soupe aux gens, peut se faire de plus en plus rare, la soupe peut être de plus en plus mauvaise... le psychisme des espèces dites supérieures est extrêmement malléable et dépendant. Or, de la dépression, nous sortons rarement seuls. Reste la distraction ; on n'en manque pas, de la bonne de la mauvaise, elle seule semble mettre les gens à l'aise. À tous je conseille « ignatia », trois granules par jour jusqu'à la libération !
Pour se réconforter, on se raconte que la liberté, bien sûr, autorise le mal, un mal pour un bien donc ; le problème, c'est que je ne vois aucune liberté, juste des parcours courus d'avance, prévisibles à l'ennui. Peu de prototypes humains mais une masse de stéréotypes pour qui le prototype est un danger, à éliminer ! La nouveauté doit nous rappeler quelque chose, sinon, elle n'est même pas vue ! Et comme ce paradis perdu, mythique, imaginaire, utopique, n'est plus guère de saison, la route pour y mener en ayant découragé plus d'un, rien ne nous le rappelle ! En revanche, les vendeurs de poudres de perlimpinpin, les bonimenteurs, les bellâtres, les forts en gueule, les oreilles complaisantes, -comme les nouveaux psy qui ont pour principe de ne jamais contredire un client pour le hisser, mais l'approuvent toujours pour lui donner confiance en lui, ce leurre, en l'occurrence, pour survivre dans ce champ de foires-, toute cette engeance a de beaux jours devant elle ; les curés faisant défaut, on se fie à la presse féminine ; comme on sait qu'il ne faut rien garder pour soi sous peine de se névroser, on dit tout, mais sans trier !!
Nous sommes encore en train de nous gargariser d'avoir terrassé l'obscurantisme d'avant le renaissance que nous y sommes déjà retombés plus profond !
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