Intense propagande pro-anglais dans les médias !
La remise ce jour d'un rapport sur l'apprentissage des langues vivantes a donné lieu à des reportages sur l'anglais à l'école primaire, plus précisément l'enseignement de matières (maths, histoire, etc.) EN anglais !
Le même sur Youtube
Que ce soit sur TF1, France2, 3, France-info ou probablement d'autres (pas vus), ces reportages sont un modèle de propagande digne de servir d'exemple aux écoles de journalisme sur le thème « Comment manipuler l'opinion publique » !
Tout d'abord, le « hasard » a bien fait les choses puisque, dans tous ces reportages, les radio-trottoirs de parents, enfants et professeurs des écoles (ex-instituteurs) n'ont trouvé que des témoignages allant de satisfaits à enthousiastes, voire extatiques !
De plus, les parents peuvent être rassurés : deux maîtresses ont certifié, enthousiastes elles aussi, que le niveau de français des petits n'en souffrait pas. On sentait qu'elles se retenaient de dire « bien au contraire », « ça ouvre l'esprit » ou autres clichés sur l'apprentissage précoce.
Le ministre lui-même n'a pas craint de mentir, par stratégie ou ignorance, argumentant à la radio qu'il avait été prouvé que l'apprentissage précoce augmentait le niveau de langues. Non, car cela dépend de la suite, de la pratique régulière (une langue étrangère à ce stade peut s'oublier, suite à un déménagement par exemple) et surtout de la motivation tout au long des années suivantes.
Mais sur ce sujet, le dogme vaut preuve. Plus fort encore, ils ont réussi à embrouiller encore plus la question par la parution presque simultanée d'un rapport sur l'enseignement de l'arabe – un sujet propre à des polémiques politiciennes. Alors que le programme qui fait une place aux langues ethniques existe depuis des années (ELCO).
Rappelons brièvement quelques points-clés.
- Une absurdité pédagogique :
Les enfants ont une aptitude musicale plus grande, seule chose prouvée, et pour utiliser au mieux ces capacités en matière de langues, une initiation linguistique non spécialisée suffit : apprendre plusieurs alphabets, prononcer les autres langues européennes, dont les sons qui n'existent pas en français, comme la jota espagnole, le « r » roulé (que tous les Français ne savent pas prononcer), etc. La spécialisation à un âge précoce est une aberration pédagogique.
- Une confusion entre deux apprentissages différents :
L'article du Figaro aborde, mais trop brièvement, un point essentiel : « D'après le médecin, l'apprentissage d'une langue doit s'établir de façon naturelle. Dès qu'on lui apprend avec un programme scolaire, il n'a plus de but et apprend moins rapidement », nous explique-t-elle »
Dit autrement, cela veut dire qu'on confond ou fait semblant de confondre l'apprentissage scolaire et l'immersion familiale, ethnique. Il n'y a pas la même motivation, ni le facteur émotionnel, ni la permanence.
- Des études biaisées : on nous compare à la Suède !
Un pays qui a quasiment abandonné sa langue, ne l'utilise plus à l'université, diffuse des films et des dessins animés en anglais sous-titré. Mais qui n'a pas une industrie du cinéma développée, à l'inverse de nous, ni un passé de langue diplomatique, et encore largement répandue. Si nous devions nous comparer, ce serait à l'anglais. Or, la GB est largement derrière nous question apprentissage des langues. Un des rapporteurs, le journaliste anglophone Alex Taylor a justement précisé que nous sommes dans la moyenne (en tenant compte à la fois de la première et deuxième langue scolaire). Arrêtons de parler de "retard" !
Un tabou : l'apprentissage des langues à l'école n'est pas une question pédagogique mais politique !
Le plus fascinant des ces reportages, c'est la totale absence du problème de fond : ils partent tous d'un présupposé qu'il faut de l'anglais à l'école primaire et qu'il faut en améliorer le niveau. Mais qui a décidé 1. qu'il fallait faire de l'anglais une matière obligatoire et 2. enseigner en anglais au primaire ? Sans même vérifier que cela ne nuit pas au français, déjà bien malmené même à l'université...
A quel titre ? S'il s'agit d'apprendre la langue de l'Empire du moment, celle du plus fort, pourquoi ne pas faire du chinois comme les enfants de certaines élites américaines ? S'il s'agit de l'UE, depuis le Brexit l'anglais n'est plus selon les textes une des langues de travail – alors pourquoi pas l'allemand, notre premier partenaire commercial ? S'il s'agit de reconnaître l'anglais comme langue mondiale obligatoire, la décision n'appartient-elle pas au Parlement, ne devrait-elle pas faire l'objet d'un débat public ? Et quelqu'un au ministère se rappelle-t-il qu'à l'école on est censé choisir ses deux langues vivantes ? La définition de choisir échappe-t-elle à nos élites ?
Bravo donc aux quelques personnes quirestent lucides :
« Interrogé par RMC, Antoine Dierstien, directeur d'école primaire et membre de la CGT-éducation, estime que les élèves ont d'autres priorités. « En CP, imaginer un enseignement autre que la langue en langue étrangère c'est pour moi complètement absurde. La priorité c'est la lecture, l'écriture. Chaque matière a son vocabulaire problématique. C'est aussi problématique pour les enseignants d'arriver à ce niveau de maîtrise de la langue. »
« Un cours entier en anglais, c'est infaisable, on a seulement les moyens d'introduire quelques mots anglais durant la séance », déplore-t-elle. »
Et bravo au Figaro pour avoir fait un article moins dogmatique qui ne cache pas les enjeux et les difficultés de la question. Ou Ouest-France
On crée de l'inflation et des frustrations : pour faire comme certaines écoles privées (dixit le ministre), il faudrait toujours plus de profs, de natifs, augmenter la formation des professeurs des écoles (en anglais, of course), voire diviser de moitié les classes, etc., toutes choses vraisemblablement impossibles à généraliser, ce qui entraînera automatiquement un sentiment d'injustice sociale (mon papier humoristique récent était finalement prémonitoire !)
On a introduit l'anglais au primaire sous couvert d'initiation AUX langues. Voici maintenant l'enseignement de matières EN anglais, jusqu'à supplanter le français au primaire – un comble ! On s'éloigne encore un peu plus de l'esprit de la loi, on se rapproche de ce qui semble le but réel : faire de l'anglais la langue mondiale de communication.
Ce n'est nullement un problème pédagogique mais structurel (combien et quelles langues proposer, où ça, comment gérer tous ces profs) et politique, la volonté d'imposer l'anglais de plus en plus jeune, de gré ou de force !
Par aveuglement ou dogmatisme, peut-être par atlantisme, on complique à l'extrême le sujet des langues à l'école, alors que la solution est très simple : initiation diversifiée aux langues en CM1 et CM2, suivie d'un libre choix de deux langues vivantes en 6e. Nous l'avions proposé comme projet de réforme, qui permettrait une vraie liberté de choix, y compris parmi les langues mortes, récemment renvoyées au rayon souvenirs...
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