Intolérance zéro ? Ce n’est pas pour demain
A chaque génération, on nous annonce l’âge d’or. La fin de nos malheurs et un règne de tolérance mutuelle, la possibilité de vivre en paix avec nos voisins, nos congénères et tous les autres. Il n’en est rien, les hommes sont toujours aussi despotiques et, par un effet de vases communicants, l’intolérance se déplace et modifie ses cibles.
Une société ne peut survivre sans libertés, mais elle a aussi besoin d’intolérance pour se créer une identité, se rassurer et se trouver des ennemis communs pour affirmer son harmonie et l’appartenance de ses membres à une entité commune.
Certains ont pu croire que l’esprit de mai 68 et plus largement, les mouvements libertaires des années 60 avaient pour de bon balayé les vieilles lunes du despotisme, du fanatisme et de l’intolérance, du moins en Occident. Il n’en a rien été, seules les cibles de l’intolérance ont varié. Le curseur de l’ostracisme se déplace en permanence et s’oriente vers de nouveaux thèmes galvanisant tous les fanatismes.
Mon enfance et mon adolescence, donc bien avant 68, ont connu une circulation routière sans ceinture de sécurité, sans alcotest, sans siège pour bébés. Les petits garçons pouvaient avec fierté s’asseoir à l’avant du véhicule du père pendant que celui-ci conduisait. On fumait quasiment partout, à La Poste en faisant la queue et même dans les hôpitaux ; j’ai d’ailleurs longtemps gardé chez moi un énorme cendrier de l’Assistance publique en plastique blanc siglé d’un AP bleu que j’avais ramené de l’hôpital Saint-Louis, trophée de mes premières années d’études ! Les étudiants pratiquaient le bizutage sans retenue dans la plus glorifiante obscénité et les enfants allaient chez le marchand de vin acheter le gros rouge des classes prolétariennes sans que quiconque ne vérifie leur âge à la caisse.
Il y avait donc un monde libre avant 1968, mais ce monde de libertés bien particulières fustigeait les homosexuels, interdisait la contraception et l’avortement. L’homosexualité et l’adultère étaient encore des délits. Au cinéma, de pâles bluettes étaient interdites aux moins de 18 ans à cause d’un bout de sein furtivement montré ou de quelques répliques un peu crues. Des cuisses de speakerines trop largement exposées entraînaient un furieux courrier des téléspectateurs, on était loin de l’étalage de poitrines et de poils pubiens presque banalisés sur les chaînes commerciales contemporaines.
A chaque époque ses tabous et ses interdits, notre époque n’y déroge pas, mais les causes de rejet et de haine ne sont plus les mêmes. En Europe de l’Ouest, la sexualité s’est libérée du carcan conformiste chrétien et ce n’est pas plus mal. Seuls quelques fanatiques américains veulent relancer la virginité avant le mariage et sont prêts à tuer les médecins qui pratiquent l’avortement. Nous n’en sommes heureusement pas encore là en France, mais qui sait, un jour prochain ?
Parallèlement aux acquits libertaires, de nouveaux interdits ignorés jadis sont apparus et la liste en est longue. Bien sûr et avant tout le tabac, mais s’il n’y avait que lui, on pourrait faire avec, même avec un peu de nostalgie. Mais une nouvelle race de censeurs et de thuriféraires de la prévention, de la nature et d’une nouvelle morale s’acharne sur la corrida, la chasse, la fourrure et les OGM. Ces drôles de moralisateurs prêts à se battre bec et ongles pour défendre le fameux grand-père chinois interpellé par la police à la sortie de l’école de son petit-fils ou qui veulent maintenir l’excuse de minorité pour de jeunes canailles ayant molesté des vieillards ne trouvent par contre aucune circonstance atténuante à un fumeur, un toréador, un chasseur ou a un planteur de maïs transgénique.
En d’autres temps, Baudelaire, Apollinaire, de Mandiargues et bien d’autres ont subi les foudres de la censure. Leurs héroïnes et égéries, toutes aussi mal vues pratiquaient l’onanisme et le saphisme avec l’aide d’olisbos en ivoire bien avant la vulgarisation de l’érotisme et de la pornographie des années 70. De nos jours de jeunes femmes actives commandent sur des catalogues de vente par correspondance de petits objets appelés sex toys qui ne sont bien sûr plus en ivoire et des canards de salle de bains qui ne transmettent pas la grippe aviaire.
Car la femme moderne, militante à la démarche citoyenne veut bien se masturber, mais à condition de ne pas mettre en péril la survie des éléphants. Gamin, je rêvais de chasse aux grands fauves, je m’imaginais un fusil à la main, l’air arrogant, un pied sur une dépouille de zèbre ou de tigre du Bengale. Il y avait de l’Hemingway et du Kipling dans ces rêveries d’enfants Je n’ai finalement jamais tenu un fusil de ma vie et n’ai même pas assisté à une seule corrida !
L’intransigeance des anti-chasses et des adversaires de la tauromachie pourrait me faire changer d’avis très vite et m’amener à apprendre à tirer et à prendre un permis de chasse, ne fusse que pour le palmipède en baie de Somme. Quant à la corrida, je pense bientôt y aller pour la première fois de mon existence dès la prochaine saison, tant l’hystérie de ses détracteurs m’afflige. Une armada d’excités est prête à lyncher tous ceux qui ne veulent pas céder à leurs oukases, certains seraient bien capables un jour de couper les oreilles et la queue du matador à la place de celles du taureau.
Certains défenseurs de la cause animale (respectable en soi quand elle n’est pas excessive) en sont déjà à comparer le QI des dauphins et de certains singes avec celui de débiles mentaux pour justifier leur action au profit des premiers. De là à justifier qu’il vaut mieux laisser crever un Serbe que les vaches abandonnées lors de l’exode du Kosovo, il n’y a qu’un pas que certaines organisations de défense de la vie animale ont failli franchir.
Maintenant, j’en suis finalement arrivé à dire aux démarcheurs de rue pour WWF et Green Peace que mon désir le plus ardent est de manger de la viande de baleine bien qu’en réalité je lui préfère définitivement le steak de charolais ! La société a donc besoin de se rassurer en se trouvant des boucs émissaires et des coupables à châtier.
Le juif et l’homosexuel ont longtemps joué ce rôle à leur corps défendant. Gainsbourg a cumulé les haines en tant que juif écorchant La Marseillaise, en tant que fumeur chantant l’inceste. De nos jours, il est bon d’encenser le poète, mais on traque d’autres gibiers si l’on peut le dire ainsi. Finalement, peu importe le but de la colère, elle débouche toujours sur la même exclusion. La société a toujours besoin d’autodafé et le tissu social se cimente plus facilement autour de projets et de mots d’ordre d’exclusion, de dénonciation de coupables et de nuisibles.
A notre époque, Goebbels ne se serait pas calmé, seulement par crainte de la LICRA et du CRIF, il aurait changé l’objet de ses haines. Les fumeurs, les chasseurs, les producteurs d’OGM seraient devenus des poux dans la fourrure allemande, française ou européenne dans les nouveaux slogans de propagande. Il faut hélas considérer ces lobbies « d’anti-quelque chose » comme des groupes d’intolérants fanatisés manipulés par des gourous et non comme de paisibles défenseurs de causes justes.
Moi aussi, il y a des domaines et des comportements que j’exècre, il ne me viendrait pourtant pas à l’idée de jeter l’anathème et de demander l’interdiction. Par exemple, je ne supporte pas toutes ces femmes jeunes (il y a maintenant aussi quelques hommes) qui circulent à pied avec une bouteille d’eau minérale dans les rues de Paris et les transports en commun comme si elles allaient affronter la traversée du désert du Ténéré en plein mois d’août.
D’autre part, à force d’utilisation du Vélib dans les rues de Paris par des cyclistes éméchés et mal à l’aise sur un vélo dévalant la rue de Ménilmontant ou la montagne Sainte-Geneviève en pleine nuit, nous allons bientôt voir émerger une nouvelle catégorie de victimes, celle des piétons passifs. Faut-il interdire cette initiative si chère aux écologistes, grands défenseurs des fumeurs passifs ? Je pense que non, laissons la liberté d’agir et de se distraire, mais si possible pour le plus grand nombre.
Les bien-pensants vont répliquer que plus des deux tiers des Français approuvent les lois anti-tabac, n’ont aucune affinité, voire ont de l’hostilité envers la tauromachie, la chasse, l’utilisation de la fourrure et la culture des OGM. La sagesse voudrait donc suivre l’avis majoritaire et interdire ou du moins limiter les activités de ces minoritaires. C’est oublier qu’au Rwanda en 1994, des gangs armés ont massacré des centaines de milliers de personnes en utilisant comme argument qu’une ethnie majoritaire avait droit de cité chez elle, de nombreux Tutsis en ont fait les frais.
Oh, bien évidemment, personne en France ne parle encore d’éradication violente des catégories réprouvées, mais la stigmatisation, la dénonciation à la vindicte populaire de certaines catégories de citoyens n’augure rien de bon. La haine, le ressentiment et l’aversion sont dans le propos, dans le regard, dans la condescendance. On ressent les mêmes arguments, appels à la mobilisation et mots d’ordre au son du tambour qui ont mené aux pogroms d’il n’y a pas si longtemps.
Alors, s’il est légitime d’avoir des convictions, de les exposer et de les défendre, que cela soit fait avec un minimum de retenue, sans crier à l’hallali. Quand il n’y aura plus de fumeurs, de chasseurs, de toréadors, ni même de pêcheurs d’anchois, on s’attaquera aux philatélistes, aux joueurs de boules et aux mangeurs d’escargots, ils gêneront bien un jour une majorité artificielle quelconque si c’est le prix à payer pour maintenir la paix sociale !
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