Islamisation de l’Europe, Mythe ou Réalité ?

 Que se passe-t-il en Europe, et principalement dans les deux grands pays d’Europe, l’Allemagne et la France ? De surcroît, deux grands pays de la zone euro, et de l’Union des 28. Pourquoi une telle situation qui relève de l’incroyable surtout depuis l’affaire de Charlie-Hebdo, non seulement faut-il dire, et du mouvement islamophobe allemand Pegida, les « Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident » (en allemand, Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes) qui, né depuis la mi-octobre 2014, prend de l’ampleur ?

1. La « foi » ne s’achète pas ni ne se transmet en héritage. La foi est une « essence » donnée par l’« Essence suprême »

 L’attentat terroriste de Charlie Hebdo a transformé la capitale française en capitale mondiale de l’antiterrorisme. Une marche historique sans précédent s’est déroulée le dimanche 11 janvier 2015 en hommage aux 17 victimes des trois attentats qui ont frappé la France en cette première semaine de la nouvelle année. Une cinquantaine de chefs d’Etats et de personnalité internationales de toute religion ont défilé au coté du président de la République et des responsables politiques français. Un rassemblement hors norme et des mesures de sécurité draconiennes mises en place. Qu’en est-il de cette mobilisation qui étonne à plus d’un titre, non pas parce qu’elle peut donner à penser qu’elle est démesurée, mais par la symbolique qu’elle véhicule ? « Ne Touchez pas à ma liberté d’expression ! », doit-on comprendre de cette formidable solidarité du peuple français et même d’Europe avec les journalistes assassinés de Charlie Hebdo. Peut-on penser aussi que ce sont tous les peuples d’Europe qui sont d’accord avec cette liberté d’expression qui reste offensante envers les Musulmans ? On ne peut le nier pour les Musulmans d’Europe et des autres pays du monde.

 Si on regarde ce qui se passe le lendemain en Allemagne, le mouvement anti-Islam allemand PEGIDA a réuni plus de 25 000 manifestants un jour seulement après la marche historique à Paris, le lundi à Dresde, un record du douzième rassemblement – habituellement 15 000 manifestants environ sont recensés. Ce même mouvement se trouve contrebalancé par un contre-mouvement PEGIDA qui a réuni plus de 100 000 contre-manifestants à travers l’Allemagne. Avec l’appui de la chancelière allemande. « L'islam appartient à l'Allemagne », a-t-elle insisté, réitérant des propos déjà tenus par les plus hauts dirigeants allemands dans le passé et invitant à éviter l'amalgame avec les islamistes. « Nous allons envoyer un signal très fort mardi pour la cohabitation paisible des différentes religions en Allemagne. Le président a fait savoir qu'il prononcerait un bref discours et je serai aussi présente en tant que chancelière », a-t-elle indiqué, devant la presse avec son homologue turc, Ahmet Davutoglu, à Berlin.

 Au-delà des discours des uns et des autres, et cette cacophonie de voix et de prises de positions politiques en Europe, aux États-Unis et dans les autres pays occidentaux, il y a une herméneutique de cette agressivité contre l’Islam qui se développe en Europe. D’autant plus que la foi des Musulmans dérange. Le problème est que la foi dans une croyance est donnée à tous les êtres humains. Et celle-ci ne s’achète ni ne se transmet en héritage.

 Une foi est une « essence » donnée par l’« Essence suprême » et ne dépend que de ce que en fait l’homme dans le « croire ou de ne pas croire » à ce qui le relie en son Créateur. Le Créateur laisse libre l’homme dans sa foi, et de ce qu’il en fait de cette richesse morale, métaphysique. La foi est un peu comme la VIE EST DONNEE PAR L’ESSENCE SUPRÊME. On peut vivre comme on peut ne pas vivre. Peut-on naître par soi-même ? Est-ce que c’est notre mère nous enfante ? Et qui enfante notre mère et ce, depuis la CREATION. Il est évident que toute notre existence est régie par l’« Essence ». Notre vie, notre mort, notre foi et beaucoup de choses dont l’homme sait peu de choses sont inscrits dans notre essence. Et toute diversité de cette mosaïque de religions et de sensibilités au sein même des religions est donnée pour que l’humanité soit. C’est peut-être là le sens, la richesse de l’existence. L’« Existence dans la diversité ».

2. Actualités-Faits divers ? 15 ou 20 millions de Musulmans en France ?

 Regardons des faits qui souvent passent inaperçus ou sont mis au compte de l’inadvertance, ou encore mis sur le compte de la provocation, de la théorie du complot.

 Prenons parmi le journal français, « Le Parisien », qui a couvert les attentats contre Charlie Hebdo et la mobilisation qui a suivi. Comme tous les journaux, avec cette mention « JE SUIS CHARLIE », ce journal place cette mobilisation comme il la décrit à « haute résonance diplomatique » dans la rubrique « Actualité – Fait divers ». Site http://www.leparisien.fr/faits-divers/en-direct-marche-republicaine-des-milliers-de-personnes-attendues-a-paris-11-01-2015-4436873.

 La remarque que l’on pose ici a toute son importance. Les graves événements qui se sont produits en France ressortent-ils de faits divers ? Un attentat terroriste et une marche sans précédent classé dans les faits divers choquent. Et qui émane d’un journal considéré par son tirage le premier quotidien national d’information, et premier dans la région parisienne. D’autant plus si on se remet à l’appréciation du journaliste Edwy Plenel, qui considère Le Parisien comme « une journal populaire exigeant qui n’exclut ni la rigueur ni le sérieux ».

 Il y a évidemment un non sens dans le classement de ces graves événements en faits divers. Cependant on penser que c’est la routine qui a joué. Les attentats contre Charlie Hebdo ne sont qu’un dans la suite macabre des milliers d’attentats terroristes perpétrés à travers le monde. A voir ce qui se passe au Moyen-Orient, en Asie centrale, en Afrique. Des tueries pour ainsi dire sans fin.

 Un autre point concerne les commanditaires. Les exécutants ont été annihilés certes, mais demeure néanmoins un certain degré d’incertitude. Dans les guerres asymétriques, rien n’est acquis à l’avance. Dans une interview publiée le 15 janvier 2015 dans le tabloïd russe Komsomolskaä Pravda, et repris par le journal www.liberation.fr dans l’article « Charlie Hebdo : Jean-Marie Le Pen et la Théorie du complot », du 16 janvier 2015, le président honoraire du Front national met en cause les services de sécurité. Alors que la journaliste Daria Aslamova estime qu’il y a « Beaucoup de zones d’ombre » dans la version « officielle » de la tuerie, Jean-Marie Le Pen déclare : « Je suis d’accord avec vous. Cette histoire de carte d’identité oubliée par les frères Kouachi me rappelle le passeport d’un des terroristes du 11 septembre miraculeusement retrouvé dans un New York en cendres. On nous dit maintenant que ces terroristes sont juste idiots. Toute l’opération [des frères Kouachi] porte la signature de services secrets. Bien sûr, nous n’avons pas de preuves. Je ne dis pas que les autorités françaises sont derrière ce crime, mais qu’ils ont pu avoir permis qu’il ait lieu. »

 Jean-Marie Le Pen dénonce les Musulmans, il revendique même : « Je suis Charlie Martel ». Assurant que la France compterait « 15 ou 20 millions de Musulmans. Et entre 6 et 8 millions de personnes vivent de prestations sociales en France. Ce qui suggère que ce n’est pas une immigration de travailleurs mais des conquérants. C’est le résultat de la décadence chrétienne qui touche toute l’Europe. », dit-il.

 A une question de la journaliste russe, pourquoi Charlie Hebdo ne caricature « Que les Musulmans et les Chrétiens mais presque jamais les Juifs », Le Pen explique que c’est parce que « Les Juifs savent se défendre ». En guise d’exemple, il évoque « les Femens, qui peuvent se dénuder devant le pape mais ne sont jamais entrées dans une synagogue ».

 Plus tard le Front national publie que Jean-Marie Le Pen « ne valide pas les retraductions en français d’interviews déjà traduite du français en russe ». Mais le message est parti, il lui est difficile de revenir en arrière .

3. Replis communautaires - Musulmans, des boucs émissaires ?

 Cette sortie de Jean-Marie Le Pen non seulement laisse songeur mais appelle réellement à une vision de la situation politique, culturelle, cultuelle, économique, et démographique de l’Europe. Le monde avance et n’attend pas. Les générations de demain n’auront pas la même pensée d’aujourd’hui. Les visions changeront fatalement. L’Allemagne naguère ennemie héréditaire de la France est devenue son soutien aujourd’hui. Les ex-pays colonisés sont devenus des alliés à l’Europe.

 Qui aurait dit que l’Europe naguère dominatrice, rayonnante sur le monde, s’enferme dans ses frontières. Une Europe qui ne représente que 3% de la masse totale des superficies des terres émergées de notre planète, et de surcroît chargé d’un multiculturalisme fort. La première question que l’on peut poser ressort d’un ordre tout à fait naturel auquel les peuples d’Europe ne peuvent rien. « Les Musulmans des ex-pays colonisés n’ont jamais demandé à venir en Europe si cela n’a été le fait des colonisateurs ». C’est l’Europe qui est venu au monde musulman et non les Musulmans sont venus en Europe. « C’est l’Europe qui a fait venir les centaines de milliers d’indigènes musulmans blancs ou noirs pour combattre l’Allemagne durant la Première et la Deuxième guerre mondiale. Ce sont les indigènes musulmans noirs et blancs qui ont aidé l’Europe à coloniser et à dominer le monde. »

  Peut-on en vouloir alors aux Musulmans s’ils se sont installés en Europe ? Une Europe décimée par deux guerres mondiales, avec plus de vingt millions d’hommes tués et « reconstruite en partie par les Musulmans qui ont combattu pour elle ». Et ces millions de Musulmans participent aujourd’hui à son économie, à sa production, à ses investissements, à sa consommation, et donc à sa croissance. Y compris en capitaux musulmans de pays musulmans qui viennent s’investir en Europe, notamment en France. Si on en enlève à la France, par exemple, les Musulmans, elle passera aussitôt en déclin démographique. L’Allemagne qui compte aujourd’hui 81 millions d’êtres humains ne comptera que 71 millions en 2030 selon les projections démographiques de l’ONU. Toutefois ce déclin démographique sera probablement compensé par l’apport de la population turque vivant en Allemagne.

 Ce que Jean-Marie Le Pen ne voit d’ailleurs ni sur ce plan, ni sur le plan économique. Une perte de population et une diminution de la relève démographique agira très négativement sur les capitalisations des fonds de retraites, eu égard au vieillissement des populations européennes et à la faiblesse du taux de fécondité français sans les Musulmans. Ce qui l’amènera à suivre la pente démographique de l’Allemagne. « L’apport musulman donc, en tant que régénérateur démographique, est vital pour la France, pour l’Allemagne, comme pour l’Europe. »

 Les reproches faits sur la présence des Musulmans aujourd’hui, comme le fait Jean-Marie Le Pen et bon nombre de politiques européens ne sont au final ni faux ni juste. Tout revient au processus historique, et l’Histoire en a décidé ainsi. L’Européen n’arrive pas à comprendre cette herméneutique de l’Histoire. A toute chose il y a une cause, et ce qu’on le veuille ou non.

 Si l’économie était resplendissante, comme du temps des « Trente Glorieuses », le problème des émigrés musulmans n’aurait probablement pas joué. Le nombre d’émigrés nord-africains et noirs africains étaient même insuffisants pour l’é économie française, faut-il le rappeler, il a été fait appel à l’émigration espagnole, italienne, surtout portugaise, dans les années 1960. Aujourd’hui, la situation économique s’est inversée, elle est plus difficile. Le chômage et la mal-vie sévissent, c’est pourquoi le vivre-ensemble est rendu difficile. Et s’opère le repli communautaire qui n’est la conséquence du chômage, avec tout ce qui s’ensuit : fuite dans la drogue, délinquance, absence de projets dans l’existence, et donc une vie sans but entraînant tant de problèmes sociaux.

 Le repli communautaire n’est au fond pour les uns comme pour les autres qu’une fuite de la mal-vie, et un besoin de recherche de sécurité. Et tout est relié surtout au problème économique qui est central pour toute société. A voir seulement la Grèce, l’Espagne. D’autre part, tout l’Occident décline, et c’est une réalité. D’autres pôles économiques ont émergé, et l’Occident s’enferme, croyant c’est la solution, parce qu’il détient encore les grandes monnaies du monde.

  Faut-il rappeler le Japon qui est depuis les années 1990 en stagnation économique. De plus, comme l’Europe, il est frappé par le vieillissement – c’est le pays le plus vieux du monde – et d’une baisse de fécondité qui devienne de plus en plus problématique, et même, selon certains observateurs, pourraient menacer son économie. Quant aux États-Unis, ils n’arrêtent pas de tirer sur le dollar pour financer leurs déficits courants qui sont structurels et notoires dans le monde. Le reste du monde les finance. La question pour les États-Unis jusqu’à quand ils continueront d’être financés par l’extérieur ? Et combien durera la prééminence du dollar sur les autres monnaies du monde ?

 Par ce constat, le rôle de « bouc émissaire » du Musulman dans le déclin économique qui touche l’Europe se comprend, comme l’islamophobie n’est aussi qu’une facette de cette culpabilisation du Musulman sur le déclin de l’Occident. Et on le pare pour se donner bonne conscience de « guerre de civilisation ». Mais on ne peut travestir la réalité, il y a là une fausse conscience européenne de la réalité. Comme dit un proverbe arabe : « On ne cache pas la lumière du soleil par un tamis », tout finit par se savoir, tout viendra un jour en surface.

4. Islamisation de l’Europe, mythe ou réalité ?

 Pour conclure, et surtout conclure sur l’essentiel, « le Pegida en Allemagne n’a en quelque sorte pas tort dans son mouvement anti-islam ». Il y a une crainte réelle de l’islamisation de l’Europe. D’autant plus qu’il n’y a plus d’idéologies porteuses. Ni le socialisme ni le communisme, ni l’anarchisme ni le zen ni toute autre idéologie ne remplit un rôle dans l’espérance de voir un jour le monde plus harmonieux, plus juste. Il n’y a rien qui fait recette sinon la crainte de l’avenir. Et « il y a cet Islam qui fascine mais en même temps inspire la crainte, tant de guerres se jouent en son sein, tant cette campagne calomnieuse orchestrée depuis au moins quarante ans ne cessent de le diminuer et le pervertir ». Et pourtant l’Islam est toujours là avec ses deux milliards de fidèles qui sont toujours présents, toujours plus musulmans. Rien n’y fait, l’Islam continue de grandir et c’est cela qui est incompréhensible, qui fait problème.

  Pourquoi l’Islam ? Et comment se fait-il que l’Islam est partout, dans tous les pays du monde, dans tous les continents, depuis des siècles, et fait tant parler de lui aujourd’hui ?

 Même Israël naguère portée, appuyé par l’Occident, se trouve entouré de peuples d’Islam. Pourtant cet Islam est pacifique, et il n’assiège pas. C’est Israël aidé par l’Occident dans cette orchestration contre l’Islam qui assiège le monde musulman. Comme les manifestants allemands anti-islam qui manifestent contre l’islamisation de l’Allemagne. Par cette situation, force de dire que ces allemands anti-islam n’ont pas tort de manifester contre l’Islam.

 Mais ces Allemands anti-islam ne savent-ils pas qu’ils ne font que renforcer l’Islam en manifestant contre lui ? L’Islam n’assiège pas, il est simplement là et coexiste avec les Chrétiens et les Juifs. Ces centaines de millions de Musulmans qui prient tous les jours à travers le monde et que les images que véhiculent tous les médias dans le monde, en Europe, dérangent à plus d’un titre. Les Européens n’arrivent pas à comprendre que, malgré la mal-vie, les conflits fratricides qui frappent les pays musulmans – ces conflits sont attisés par les puissances occidentales – la foi musulmane est toujours là, toujours plus profonde. Et c’est cela qui est problématique, difficile à comprendre.

 Alors on s’en prend à l’Islam, et l’islamophobie suit. Alors qu’en réalité, c’est la perte de repères idéologiques et économiques qui inspire ce mal de l’existence, cette peur d’être, cette absence de sécurité face aux difficultés existentielles. Et toutes ces peurs sont canalisées contre l’étranger, contre l’Islam, ce qui est commode pour dire ce n’est pas moi, c’est l’autre qui me pose problème d’exister. Ce n’est pas ma peur, c’est la peur que m’inspire l’autre, le Musulman. En réalité, on ne fait que projeter sa peur sur un autre qui n’a rien à voir, sinon d’être là. Et par ces projections, ces mouvements, on n’a plus peur de nos démons, on s’exorcise des problèmes complexes de l’existence.

 C’est donc la faute donc aux Musulmans. Comme avant, c’était les Juifs, les nazis, les communistes. Ce qui devient pour l’homme un besoin psychologique de justifier sa crainte.

 Pour conclure, l’Homme européen, hindou, arabe… , peut-il arrêter l’Histoire ? On sait que l’homme fait l’Histoire mais il n’est pas seul à la faire, il y a « les contingences qu’il ne commande pas ». Si l’homme faisait seul l’Histoire, le monde ne serait qu’oppression, et souffrance. Comme l’esclavage, la colonisation par le passé.

 S’il y a réellement une islamisation de l’Europe, ni le mouvement Pegida ni toute orchestration anti-islam ne pourrait arrêter cette islamisation de l’Europe. Pour l’instant, et quoique que veulent faire croire ces mouvements anti-islam et cette islamophobie ambiante en Europe, « l’Islamisation de l’Europe est beaucoup plus mythique que réelle ». De tout ce qui est contre l’Islam n’est en réalité qu’une perte de repères identitaires liées à la nouvelle donne, la « mondialisation » qui n’épargne aucun monde. Quant à l’Islam, il figure parmi les plus grandes religions monothéistes qui sont incluses toutes dans sa lettre.

 Et toutes ces frictions au sujet de l’Islam en Europe montrent peut-être là le sens de l’existence des peuples, que rien n’est donné, que tout se mérite dans ce monde.

Medjdoub Hamed
Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale,
Relations internationales et Prospective.
www.sens-du-monde.com