Je fus licencié de l’université mais pas encore suicidé
En 1990, j’ai été licencié de l’université après trois ans de stage en tant que maître de conférence. Pendant des années, les jours mauvais, j’ai songé au suicide. Puis la force vitale a repris l’ascendant et, maintenant, je suis de nouveau dans cette partie qu’on appelle le jeu de l’existence. Je n’allais quand même pas leur faire ce cadeau ! Cet événement est bien vieux, mais le suicide de Marie-Claude Lorne a réveillé en moi quelques souvenirs, me rappelant une promesse que je m’étais faite ce 31 mars 1990 quand je sus que mon destin avait basculé.
Allons droit aux faits. Je vais évoquer mon licenciement de l’université de Bordeaux 2 après trois années de stage (conformément aux textes en vigueur à cette époque) dont une de prolongation. Une affaire assez complexe à raconter, pour moi qui l’ai vécue et surmontée. Mon parcours de chercheur est raconté dans un long texte écrit en 1999. Dans ce billet, je fais l’impasse sur les deux premières années dans un environnement détestable. Je n’ai été qu’un des sept enseignants-chercheurs recrutés dans ce service et qui ont fui quand les conditions étaient requises. Ce qui fut mon cas. Ce qui m’a valu d’être reconduit en stage après une procédure bien compliquée où je fus licencié puis repêché parce que cette décision était insensée. Un an plus tard, après quelques péripéties, je fus éjecté. Une histoire peu banale dont je vais vous raconter quelques faits, en joignant les pièces du dossier. J’ai été licencié sans aucune faute professionnelle. Avec des avis positifs. Juste coupable d’avoir poussé jusqu’au bout ma conscience professionnelle de chercheur.
Pour aller vite, disons que j’ai fait mes recherches dans un environnement hostile et qu’après deux ans, sans compter les deux périodes post-doc, j’ai changé d’équipe et découvert un environnement stérile. Pas pour tous. Le milieu stérile est le milieu de développement du chercheur stérile qui en suivant les règles peut faire une carrière correcte. J’en ai fréquenté des dizaines de cet acabit. Toute la force d’un patron est de savoir recruter et motiver des chercheurs stériles qui savent bien travailler. Là j’improvise une analyse que je ne m’étais pas faite à cette époque. Mais qui traduit exactement mon histoire. J’abrège. Les recherches qu’on m’imposa étaient sans intérêt à mes yeux. J’ai bien essayé, notamment modéliser un traitement des données RMN. J’avais même divisé par plus de dix le nombre d’équations en usant d’une astuce. Je me rappelle avoir perdu une après-midi pour expliquer à mon patron ce truc. Il a fini par piger, lançant un étudiant pour résoudre ces équations par une méthode d’inversion de matrice. Je lui ai dit que ce n’était pas la méthode à employer car il ne s’agit pas de mathématiques, mais de traitements de données et que l’informatique allait sortir n’importe quoi. Ce qui s’est effectivement produit. A ce moment, un post-doc israélien me fut présenté, un spécialiste de la résolution par approximation des systèmes d’équations différentielles. Nous avons sympathisé, mais, par je ne sais quelle bizarrerie, le gars a été en quelque sorte viré par mon patron. Du coup, les équations sont restées en l’état. Quelques années plus tard, le projet a abouti. Je ne figurais pas dans les signataires, mais, en fait, je m’en foutais un peu. Entre-temps, on m’avait balancé pour faire fonctionner un spectromètre de masse. Mais ce n’était pas mon rôle. Et ma voie, je l’avais trouvée. C’était la systémique, la biologie théorique. J’avais envoyé un article à René Thom qui avait trouvé le papier très original, bien au-dessus ce que qui se publie dans la Revue internationale de systémique. Le papier, après quelques modifications de détail demandé par les rapporteurs, sera accepté pour publication. Il faisait 35 pages, dépassant le seuil maximum assigné par la revue aux articles publiés. Pas mal pour un début. D’ailleurs, en juin 1990, je présentais mes travaux au congrès de biologie théorique à Solignac, rencontrant au passage Eric Bernard-Weil, l’un des deux rapporteurs de mon article soumis à la RIS. Quelle ne fut pas sa surprise en voyant mon âge, me trouvant bien jeune pour écrire ce genre d’investigation. Pour faire simple, j’avais transposé un concept de la mécanique quantique pour formaliser la complexité. Dix ans plus tard, trois sommités de la science évoquaient dans les débats du Monde la nécessité de faire entrer en scène la physique quantique pour comprendre la complexité biologique. J’avais donc dix ans d’avance. Mais en 2000 c’était encore le cas, j’avais passé ma thèse de philosophie (qui, si elle est étudiée sérieusement, sera compris comme un texte aussi important que ne le fut Etre et temps de Heidegger à son époque), publié un livre de métaphysique chez L’Harmattan, écrit un manuscrit qui vaut son pesant d’ontologie et d’épistémologie. Bref, je n’ai pas chômé. Peut-être que je raconterai cette épopée dans les savoirs, en mettant en ligne ma bio en téléchargement sur Agoravox, une bio incluant mes années passées dans la recherche avant ce licenciement.
Mais revenons en mars 1990. Le président de l’université de Bordeaux 2 signe mon licenciement, n’hésitant pas à affirmer que j’ai fait la preuve de mes compétences en matière de recherche, mais que mon orientation en biologie théorique m’a éloigné du poste pour lequel j’avais été recruté. Mais, déjà, quand je rejoignais l’équipe de RMN, je m’étais éloigné, ce qui n’avais pas empêché ce même président de me rattraper, pas tant pas bonté, mais plutôt par intérêt qu’il avait à remonter les bretelles d’une UFR de pharmacie qu’il considérait comme le maillon faible de l’université et parce que j’étais aussi un pion pour participer à l’essor de la RMN car il avait payé un lourd prix pour faire venir un appareil high-tech au sein de l’UFR de biologie. Les scientifiques sont comme ça. Ils croient que, pour faire de la bonne recherche, il faut des équipements lourds, comme d’autres pensent mettre les femmes dans leur lit en achetant une Porsche.
Un détail important. J’avoue avoir ressenti quelques satisfactions de confrères lorsque je fus balancé. Je n’ai guère été soutenu. Mon patron de recherche, malgré son rapport positif, n’a sans doute pas supporté que je puisse montrer des capacités d’autonomie. J’échappais à leur emprise, j’étais un électron libre, capable de diriger mes propres recherches, en plus sans passer par les règles des demandes de crédit. Des revues, une photocopieuse, et un ordi pour écrire ! Quant à l’argument de la biologie théorique qui ne peut entrer dans le cadre des thématiques de l’établissement, selon les termes du texte du président, ça ne vaut pas un clou sauf que ça montre un excès de pouvoir autocratique. Et d’ailleurs, un courrier de JP Mazat (qui n’est pas dans le dossier), adressé au président après le verdict de la CS et avant le CEVU, attestait qu’il était prêt à m’accueillir dans son labo. Il était vice-président de la société française de biologie théorique dont Thom était le président. J’avais moi-même informé Canellas, président de la CS40, avant la tenue de la séance, de cette possibilité. Canellas en fait état dans son rapport !
Pour être complet, je précise avoir été qualifié en sections 64 et 65 après ce licenciement, ce qui semble ubuesque. Après ma thèse, j’ai fini par obtenir une qualification en épistémologie, ce qui ne m’a servi à rien à part quelques rares candidatures sur les quelques postes publiés dans cette section, et même en philo. Maintenant, avec le recul, je sais que si mon destin avait été autre, j’aurais sans doute végété dans cet environnement hostile et stérile. Je ne regrette rien. J’ai compris la formule de Nietzsche, ce qui ne me tue pas me renforce. Vu sous un certain angle, ma vie est une série d’échec. Mais, comme j’ai survécu, je dois dire que c’est un beau succès que d’être on the road again après tous ces ratages. Quoique, je m’autoflagelle inutilement vu que j’ai une œuvre écrite, mais non publiée. J’avoue aussi être content d’avoir économisé 20 euros et du temps perdu à lire le traité sur la résilience de Boris Cyrulnick. Et pour juger d’une vie, il faut attendre la fin. Certains démarrent à fond dans la carrière et finissent par s’enliser. Ce n’est que quand la partie est jouée que l’on connaît le résultat, que ce soit en politique comme sur un stade. 90 minutes, ou 90 ans.
Au final, il y a un enseignement très pratique et utile à tirer de cette histoire. C’est que l’université est un milieu qui souvent, stérilise les gens créatifs, quoique cela ne se produit pas souvent car elle fait tout pour ne pas les recruter. Les yeux dans les yeux, je dirai à la ministre Pécresse qu’elle fait fausse route en mettant le CNRS, qui pèche lui aussi par stérilité, mais moins que la fac, au service des universités. C’est l’inverse. Il faudrait développer des lieux alternatifs pour accueillir les chercheurs innovants, les recherches transdisciplinaires. C’est d’ailleurs mon idée formulée pour un collège d’Aquithènes, dont le nom renvoie à la capitale d’Aquitaine et à l’école néoplatonicienne d’Athènes fermée en 529 par Justinien qui est un peu le Sarkozy de l’Empire romain luttant pour reculer l’échéance de l’inéluctable décomposition. Ce qui est amusant car Sarkozy aurait alors vocation à fermer ma propre école avant qu’elle n’ait été créée !
J’espère ne pas vous avoir ennuyé. C’est le suicide de Mme Lorne qui a réveillé en moi ces moments et j’avoue que ça arrache l’âme d’y revenir. Vous voulez voir ce qu’est un procès-verbal de licenciement, eh bien allez-y, les pièces sont disponibles.
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