Julien Doré et Cindy Sanders, c’est la même chose ! Lettre ouverte à Ariel Wizman et Michel Maffesoli
Qu’est-ce que cela pourrait bien vouloir dire que d’être libre dans notre société ultramoderne ? Plus que jamais, la liberté est synonyme d’esprit libre, critique, indépendant, capable d’élaborer une compréhension des faits sociaux et culturels qui serait détachée de la chape de plomb idéologique qu’est la consommation en tant que mode de vie. La liberté ne peut alors se conquérir que d’une seule manière aujourd’hui : ne pas se compromettre dans la guerre économique, échapper aux retournements sémantiques médiatiques et à la « cannibalisation » par le Mainstream, que l’on nomme désormais la hype, de tout ce qui faisait figure de contre-culture. Mais voilà que les cadres de la hype viennent nous dire que la colonisation de la sphère artistique par la sphère économique est une donnée positive. Ils nous disent, comme lors de cette soirée de haute tenue intellectuelle animée par Frédéric Taddéi le 11 juin, que la hype rassemble les gens libres et subversifs. Cette lettre s’adresse à eux, les petits malins de « l’overground ».
Vous savez bien, vous deux, que la collusion des « artistes contemporains » avec le marketing et la communication veut dire quelque chose. Ce n’est pas organique, ce n’est pas « naturel ». Vous voyez, les petits mecs des Beaux-Arts sont comme vos étudiants, Pr Maffesoli, qui travaillent pour la Money Bank Internationale. Ils fabriquent l’anti-contestation, c’est-à-dire la complaisance mêlée de cupidité vis-à-vis de tout ce qui marche (fait de l’argent) en étant sous couvert d’un alibi artistique ou relationnel. Vous ne pouvez pas aimer les nazis parce que leur esthétique est réussie. Si on est branché parce qu’on passe des galeries parisiennes aux services communication de Monsanto, alors les branchés sont les tenants et les exécutants de notre société. C’est normal. Il faut des Madonna ! Mais faut-il des Julien Doré ou des Camille. Madonna fait de la merde pour quasi-mongolien, mais elle est reconnue comme une grande artiste par ceux-là, parce qu’elle arrive à épouser toutes les modes en employant les producteurs et les réalisateurs de clips les plus formatés et les plus nuls qui sont forcément les plus cotés. C’est normal. Mais Julien Doré et Camille, eux, font soi-disant de la « bonne musique », subversive et créative. En réalité, ce qu’ils font ne s’éloigne pas plus, musicalement, de Carlos ou de Pascal Obispo que Christine Angot ne s’éloigne de Marc Lévy. Il n’y a pas plus de subversion et de création chez eux que chez Pascal Obispo ou Gad Elmaleh. Désormais la nullité gouverne tout et prend toutes les formes, même celle de la profondeur.
Comment en est-on arrivé là ? A ce point où l’artiste est devenu la même personne ignare et stupide que la directrice en marketing et nouvelles tendances culturelles ou le trader qui spécule sur des catastrophes naturelles et profitent de la jungle financière. A ce point où le subversif n’est que marketing. Où la critique officielle est devenue pire que le système lui-même. Souviens-toi Ariel, par exemple, il y a eu le punk authentique (il y avait eu de vrais punks bien avant, notamment dans le jazz) puis il y a eu Malcolm Mc Laren qui n’est qu’un sinistre manager qui a lancé ce que vous adorez : le détournement lucratif et consumériste de la création et de la subversion, soit le cynisme en création. Puis, la réaction en chaîne : « lui l’a fait, pourquoi pas moi ». C’est ce que se disent de plus en plus de sociologues qui s’abandonnent au marketing nouvelle génération. Celui qui fait décoller la vie avec des crédits ou qui nous fait faire l’expérience de l’altérité avec des écrans plats. Il n’y a rien de pire. La société totale.
Les marketter, les communicants, les journalistes… sont les kapos d’un monde totalitaire et vous le savez très bien. Vous savez bien que le genre d’enchaînement idéologiques que l’on a pu entendre ce 11 juin au soir sur la 3 n’est que le produit d’un désastre culturel permanent qui fait que le talent et la critique sont systématiquement exclus du système dominant . C’est normal, ça a toujours été comme ça. Les gens libres sont faits pour être en marge, pour s’extraire. Alors il ne faut pas se tromper. Ceux que vous défendez et dont vous faites parti, les « branchés », forment la culture dominante qui cristallise à la fois les modes massives et une critique superficielle du monde tel qu’il est, dans laquelle tous les faibles d’esprits peuvent se retrouver pour mieux s’y consacrer. La seule liberté, c’est la résistance, grande ou ordinaire. Si vous ne savez pas ça, c’est que vous êtes perdus dans un modèle épistémologique occidentalo-occidentaliste typiquement colonisateur, universaliste, évolutionniste le plus ringard qui soit. Voyons Ariel, la hype est vulgaire, superficielle, auto-référentielle, conservatrice, snob, ignare, indécente et tout et tout. My space, facebook… sont les plus grandes stratégies de formatage et de contrôle social jamais mises en œuvre. Dans la nouvelle économie de l’immatériel, la relation sociale devient un objet de profit individuel. Voyons M. Maffesoli, vous vous mettez le doigt dans l’œil. Ces nouvelles libertés dont vous parlez en ricanant ne sont pas interstitielles, mais artificielles. Cette artificialité n’est pas romantique, mais mercantile. La superficialité n’est pas une cosmétique transcendantale, mais une machine de guerre, un virus qui répand la stupidité et l’avilissement. L’abolition du hasard et de la réciprocité dans la relation sociale fait de nous des robots. C’est vrai, le marketing et la communication sont les vecteurs d’un nouvel enchantement social : la consommation comme mode d’objectivation du réel et comme mode d’expérience du réel. Mais cet enchantement (cette morale) n’est pas postmoderne, il est typiquement moderne. C’est le prolongement direct de la bonne vieille rationalité instrumentale qui caractérise la modernité occidentale. Celle qui détruit tout pour le fric ! Vous dites que ce qui a déjà été récupéré est nouveau. Vous avez vu une occasion unique de devenir la tête pensante d’un grand mouvement culturel reposant sur la connivence avec le pouvoir, quelle misère ! Vous avez sauté dessus.
Comment expliquer le fait qu’il n’y a plus un écrivain, un humoriste, un cinéaste, un chanteur, un artiste qui ne sorte de son petit cas personnel ou de son petit « délire » personnel ? Pourquoi est-ce branché que de s’extasier en lisant Les Bienveillantes, cette horreur de complaisance bourgeoise ? Pourquoi est-ce branché que de travailler chez LVMH à la communication et d’aller après le travail au vernissage d’un artiste sponsorisé par Total-Fina qui « fait joujou » avec son ordinateur ou à la soirée d’un DJ Sony Ericson qui « fait mumuse » avec ses platines en gardant un œil sur les cours de la bourse ! Si les branchés font du marketing ethnique, ce sont des criminels. En fait, la hype d’aujourd’hui constitue la sphère bourgeoise médiocre que l’on appelle sphère dominante en toutes périodes. D’ailleurs, il y a un ministre de la hype, c’est Christine Albanel, ex-gouvernante du château de Versailles et capable d’esquisser un déhanchement vendeur sur le dernier David Guetta. C’est elle, cette hype nauséabonde, qu’il faut subvertir. Le monstre social à qui l’on doit résister si on veut conserver sa liberté d’esprit, c’est elle. La hype, qui se moque de ceux qui sont « out », c’est la sphère des beaufs les plus consternants et individualistes. C’est comme ça que le système tourne, c’est ça une société, et donc il faut résister à la société ! Ca ne changera jamais. Mais il ne faut pas se tromper. La hype ne peut être que cette masse privilégiée qui ne réfléchit pas et ne se réfléchit pas. La hype est cette sphère qui est sûrement née en 68 quand on nous a fait croire que les troubles sociaux était d’ordre anticapitalistes et impliquaient une critique de la société de consommation alors que ce n’était qu’une exaltation de l’individualisme performateur et de la complaisance branchouille très facile pour notre projet de société dévastateur et concentrationnaire. Donc, Ariel Wizman, Michel Maffesoli ou Frédéric Beigbeder, ou Julien Doré, ou Camille, ou le journaliste à Libé… Si tu es branché, c’est que tu es un mouton. Si tu es content d’être un mouton, fier de macérer dans cette glèbe, c’est que tu es prisonnier de tous les mécanismes sociaux et médiatiques d’assimilation au néocolonialime consumériste (mondialisation) qui est d’abord un totalitarisme.
PS : dites à Frédéric Beigbeder de jeter un coup d’œil aux poètes du « grand jeu », René Daumal en particulier, à Robert Musil ou encore Zinoviev… par exemple.
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