Bonjour,
Je suis enseignant près
de Liernais et je fais partie du comité de soutien.
Je souhaite apporter
quelques précisions et donner mon sentiment sur cette affaire.
« L’inspection académique
le suspend avec traitement pour quatre mois, par mesure conservatoire
» ; il serait plus exact de
dire : « elle le suspend avec traitement pour au moins quatre
mois... » car il est toujours suspendu avec maintien du traitement.
Concernant les détails de
ce qui s’est passé, voici ce que l’on peut en dire et qui n’a
d’ailleurs pas été contesté lors de l’audience du 30 mars.
Jean-Paul travaillait dans
une classe à deux niveaux (9 et 10 ans) avec un groupe d’élèves
quand des élèves de l’autre groupe lui disent : « M., Xxx a montré
son zizi » . Sans se déplacer, Jean-Paul prend un cutter dans son
cartable, le montre et dit : « je coupe tout ce qui dépasse ».
Puis il range le cutter dans le cartable.
Il n’y a donc pas eu de
convocation de l’élève ni à son bureau (le meuble) ni dans son
bureau (la salle), ce dernier n’existant d’ailleurs pas.
L’ Éducation nationale
n’est pas totalement liée par la décision de justice en ce sens
qu’en cas de relaxe il peut très bien y avoir un conseil de
discipline et une sanction administrative.
Mon commentaire :
on peut considérer que
les paroles prononcées dans les circonstances indiquées n’étaient
pas appropriées. Mais de là à convoquer cet enseignant au tribunal
pénal pour : « violence aggravée sur mineur ... » (termes de la
citation à comparaître) il y a une distance qui sépare le monde
des fantasmes et la réalité de la vie d’une classe.
S’il s’agit ici de
« violence aggravée », comment qualifier des violences
physiques volontaires ? Il y aurait des degrés dans la notion de
violence aggravée ? En fait, n’y aurait-il pas au minimum nécessité
de pondérer la qualification des faits ?
Une classe, c’est vivant,
c’est rempli d’êtres humains qui évoluent dans un espace clos et
dont les interactions sont extrêmement nombreuses et complexes. Du
point de vue de l’enseignant, il s’agit de dizaines de
micro-décisions à prendre quasiment chaque minute. Observer le
travail d’un élève, lui donner des indications tout en répondant à
la question d’un autre, question posée pour la troisième ou
quatrième fois. Écrire quelques mots au tableau tout en surveillant
du coin de l’oeil ou de l’oreille les deux qui viennent de se
chamailler, de se disputer ou encore de s’insulter sévèrement (dans
des termes impossibles à écrire). Des consignes de sécurité
répétées et expliquées encore et encore : ne pas courir dans le
couloir, ne pas se bousculer en sortant, ne pas chahuter les
toilettes et respecter l’intimité des autres... Encourager
celui-ci qui n’apprend qu’avec difficulté, recadrer celui-là, sans
colère mais fermement, car il n’a pas connu son père, ne s’est pas
remis de la mort de sa mère il y a quelques mois, ne comprend pas
que personne dans l’école ne soit en mesure de combler son immense
vide affectif et le manifeste par des déplacements incessants de sa
table à la corbeille, la corbeille à la fenêtre... (Non, je
n’exagère pas). Je pourrais aussi évoquer le cas de cet élève
(CM2, un an de plus) qui a apporté à l’école un jeu vidéo du type
de ceux, « déconseillés » au moins de 18 ans, où il
s’agit de gagner un maximum de points en écrasant des piétons lors
de courses de voitures dans les rues d’une ville imaginaire … Oui,
on peut trouver ça aussi dans une école primaire.
Bien sûr il y a des
moments de calme mais il y a aussi, trop souvent, des moments
d’agitation, de brouhaha peu propices à une communication efficace
et rapide. Je n’en oublie pas pour autant la majorité des élèves
qui ont envie d’apprendre (et le font très bien) ou encore ceux qui
agissent pour que leur classe soit un lieu agréable à vivre :
ranger la bibliothèque, aider les plus petits quand on a fini son
travail... Il y a aussi ceux et celles qui écrivent des lettres
pleines de petits coeurs roses à l’amour de leur vie. Mise en
pratique des leçons de français …
J’invite qui le souhaite
et s’intéresse sincèrement à cette question à venir passer ne
serait-ce qu’une journée dans une école pour avoir une petite idée
de la pression permanente engendrée par la multiplicité des signaux
à traiter. Ils sont tous nécessairement très importants puisqu’il
s’agit de relations humaines. Il faut cependant les hiérarchiser et
les situer dans une trame temporelle non extensible : à 17 heures, on
prend le bus.
Alors Jean-Paul aurait pu
agir différemment. Mais au fait, qu’aurait-il dû faire ? Réponse en 1 seconde :
c’est en moyenne le temps dont nous disposons pour réagir.
L’affirmation selon
laquelle il y aurait eu « menace », donc une intention de
mutilation, ne sous-entend-elle pas que cette menace aurait eu un
caractère sérieux et pris comme tel par les élèves qui sont
sensés, à cet âge, faire la différence entre les niveaux de
langage ?
J-Paul a toujours dit
qu’il n’avait pas vu si le sexe de l’enfant était réellement
exhibé. Alors, si l’enseignant n’a rien vu, une vraie menace aurait
été de dire une phrase du genre : « la prochaine fois je
coupe ». Mais dire simplement : « je coupe ce qui
dépasse » si rien ne « dépasse » ne peut être
considéré comme une déclaration d’intention de mutiler.
Si au contraire,
l’enseignant a vu quelque-chose, il aurait dû punir l’élève et,
pour le coup, sévèrement avec déclenchement dune procédure de
signalement. Ce qui, c’est mon avis, aurait eu pour conséquence de
classer durablement dans l’opinion publique, cet élève comme obsédé
sexuel avec toutes les conséquences que cela peut avoir dans un
village comme Liernais.
Encore une fois, ce
collègue aurait pu réagir différemment et on peut objecter qu’il y
avait une « arme ».
Il y avait un cutter.
C’est un outil (d’ailleurs en vente libre et que n’importe quel
collégien peut acheter dans un super-marché). Fondamentalement,
quelle différence cela fait-il avec une paire de ciseaux dont
personne ne prétend qu’il s’agit d’une arme en soi ?
Dire que c’est une arme
c’est affirmer une intention. De quelle intention s’agirait-il ?
a) intention de mutiler ?
personne ne l’a dit et ce, à juste titre. Sinon le tribunal aurait
fait preuve de laxisme en ne condamnant en première instance qu’à
500 euros d’amende avec sursis.
b) intention de menacer de
mutiler ? Là aussi, personne ne peut prétendre que la menace était
réelle et sérieuse. Les enfants eux-mêmes ne l’ont pas cru un seul
instant, d’après les rapports établis par la gendarmerie,
puisqu’ils ont déclaré, à l’exception d’une élève, ne pas avoir
eu peur.
c) l’intention de faire
peur à l’élève perturbateur ? C’était raté. D’autant plus que
cet élève allait, durant les deux mois précédant la suspension, en
« aide personnalisée » ( il s’agit, depuis l’an dernier
et suite à la réduction de 2 heures de cours hebdomadaires,
d’heures de soutien en petits groupes dont bénéficient quelques
élèves en dehors de la classe avec l’accord écrit de leurs
parents).
Alors comment peut-on
prétendre qu’il y avait « violence aggravée ». Selon le
substitut du procureur, la violence peut être caractérisée même
sans contact physique avec la personne. L’exemple donné, lors de
l’audience était celui d’une mari qui, pendant un divorce
conflictuel, avait frappé à coup de barre de fer le capot de la
voiture de sa future ex-épouse.
En fait tout est une
affaire d’appréciation. Selon que les faits rapportés font remonter
des souvenirs amusants ou douloureux chez la personne qui les entend,
l’image qu’elle se fera de la scène sera plus proche de la série
télévisée « Bones » ou au contraire de « La vie
est un long fleuve tranquille ». Les points de vue peuvent vite
devenir inconciliables. Ce qui est jugé, ce ne sont pas les faits
mais les images suscitées par les faits.
Faut-il condamner
Ténardier ou sermoner Maître Jacques ?
Rappelons, que les élèves
ont parlé de cette histoire dans leur famille le soir de l’incident.
Pour eux ce n’était en effet pas une affaire banale. Mais
s’agissait-il seulement de la réaction du maître ? Ont-ils vraiment
considéré que montrer (ou faire mine de montrer) son sexe en classe
est une chose naturelle ?
Pour les dizaines de
collègues travaillant dans cette région, si on peut discuter de la
pertinence pédagogique de la réaction de J-Paul, il n’y pas eu
faute pénale.
Pour terminer : le
lendemain du premier procès, tous les élèves de la classe ont
signé une lettre à J-Paul disant : « Maître, on t’écrit pour
te dire qu’on t’aime ».
Cette lettre n’est pas
dans le rapport de la gendarmerie.