L’affaire Fillon, la justice et le monde de demain
Les récentes déclarations de l’ancienne procureur du parquet national financier confirment, par ricochet, que la présidentielle de 2017 aura été volée aux Français. Le naufrage de la démocratie et de ses valeurs est en cours. L’horizon qui se profile semble être celui d’un effroyable totalitarisme mondialisé, mais tout n’est pas encore perdu.
Les déclarations d’Eliane Houlette
Face aux sept députés composant la commission parlementaire, et après avoir juré de dire la vérité, Eliane Houlette a dit haut et fort que : « La conception française de l’indépendance judiciaire est une conception politique ». Constat accablant car le couple politique et justice n’engendre pas l’indépendance. Pour illustrer les pressions dont elle a été victime dans sa carrière, Mme Houlette a évoqué une affaire d’actualité, l’affaire Fillon. Elle a ainsi déclaré avoir été « sans cesse sollicitée (…) par des demandes de synthèse de procès verbaux d’auditions, des résultats de perquisition, des demandes d’information et de rapport en tout genre », demandes qui devaient être traitées dans l’urgence. Le secret de l’instruction en ressort tout modernisé dans sa définition et sa conception !
Au fil des échanges avec les députés, se devinent les raisons qui conduisent l’ancienne procureur du parquet national financier à se confier : une guerre fratricide avec Catherine Melet-Champrenault, la procureur général près la cour d’appel de Paris, qui souhaitait que le parquet national financier ouvre le plus tôt possible une information judiciaire contre François Fillon.
On apprend que Mme Houlette a dû déférer à une « convocation » du parquet général pour transformer au plus vite son enquête préliminaire, visant François Fillon, en information judiciaire. Si Mme Houlette déclare n’avoir reçu aucune instruction des gardes des Sceaux successifs, ni de leur proches, on se demande légitimement pourquoi et pour qui le parquet général exigeait ces synthèses du dossier Fillon ou cette ouverture d’information précoce. Ces questions légitimes renforcent désormais l’impression désagréable que la démocratie a été bel et bien été malmenée en 2017 et que les Français ont été privés d’un débat démocratique normal, utile et nécessaire pour faire leur choix.
On découvre dans la presse, et avec stupeur, l’ampleur de la rivalité entre la procureur du parquet national financier et la procureur général près la cour d’appel de Paris : au mépris de la tradition, Mme Melet-Champrenault n’aurait pas permis à Mme Houlette de désigner un magistrat de son parquet pour assurer l’intérim à la suite de son départ à la retraite et avant l’arrivée de son successeur. Cette rivalité est allée encore plus loin : Mme Melet-Champrenault aurait saisi le procureur de Paris, pour des faits éventuels de violation, par Mme Houlette, du secret de l’instruction dans une affaire d’emplois fictifs présumés à la mairie de Marseille. La base de cette procédure : une écoute téléphonique d’un avocat qui se vantait devant son client d’entretenir de bonnes relations avec la procureur du parquet financier ! C’est du lourd dans le léger…
Il ressort de ces « confraternelles » relations entre procureurs que notre démocratie va vraiment mal car elle est servie par des individus qui visiblement semblent avoir perdu le sens des valeurs et de leurs missions.
De la difficulté à dénoncer la manipulation en 2017
Le 4 février 2017, j’ai publié un article intitulé « L’Assassinat politique de François Fillon », notamment sur un blog hébergé par Médiapart. Cet article a été repris, tel quel, sur le site de campagne de François Fillon, sans que quiconque m’en demande l’autorisation, mais peu importe, on écrit pour être lu. En quelques jours l’expression « Assassinat politique » fut reprise par les médias, et François Fillon utilisa publiquement des éléments de langage directement puisés dans l’article. Curieuse impression que d’entendre François Fillon débuter une intervention télévisée par ces mots : « Les masques tombent… » Une bonne partie de la presse française fit mine de ne rien remarquer, à la différence des médias étrangers et notamment de la Tribune de Genève, qui cita l’article pour conclure qu’« Elisabeth Lévy (Journal d’une curée de campagne) et Régis Desmarais étaient les deux défenseurs de François Fillon ».
Un malentendu est donc né auprès de nombreux lecteurs, car je n’étais pas le défenseur de François Fillon. J’étais simplement, et c’est beaucoup, ulcéré de voir le principe de la présomption d’innocence balancé aux orties. J’étais aussi stupéfait de constater que cette affaire n’était pas perçue par les Français pour ce qu’elle était : l’instrumentalisation d’une procédure de justice pour expulser de la scène politique un candidat qui aurait pu empêcher Emmanuel Macron d’accéder au second tour des élections présidentielles. Tout, dans le traitement de cette affaire, et notamment sa surprenante rapidité dans les procédures mises en œuvre, empestait la manipulation. Attention, il convient de mettre fin à un éventuel malentendu : il ne s’agit pas de dire que François Fillon est innocent ou coupable (la justice va bientôt se prononcer et c’est son travail), il s’agit de constater que tout ce ramdam occasionné par l’affaire Fillon avait un seul objectif : détourner les Français des programmes des candidats et faire en sorte que M. Macron parvienne au second tour de l’élection face à Mme Le Pen. L’élection présidentielle de 2017 s’est donc jouée au premier tour au terme d’un détournement de l’attention des électeurs.
La manœuvre fut si bien menée que la raison sembla avoir déserté la plupart des esprits. Très vite, il est devenu impossible de tenir un discours sur cette affaire sans être accusé d’être pour ou contre François Fillon alors que la vraie question était d’être pour ou contre cette logique de manipulation. L’élection de 2017 restera dans l’histoire comme la première grande élection totalement prise en otage par des gens qui avaient intérêt à faire entrer leur candidat à l’Elysée, mais des gens qui ne souhaitaient pas que le choix du candidat élu se fasse sur la base d’une étude de son programme et de sa valeur personnelle. Faut-il croire que ces gens avaient si peu confiance en la capacité de leur candidat à parvenir au second tour sans aide déstabilisatrice ? La réponse semble être oui et cela n’est guère rassurant.
Aujourd’hui, la procureur du parquet national financier qui a piloté la fulgurante mise en examen de François Fillon, avoue avoir subi des pressions dans cette affaire. Beaucoup de Français se doutaient que cette affaire n’était pas l’archétypal exemple du fonctionnement d’une justice sereine et protégée de toute influence. Néanmoins, les propos d’Eliane Houlette sont d’une importance capitale pour ceux qui veulent réformer notre pays et comprendre ses actuelles déviances.
Une démocratie en péril
Si les discours officiels sont toujours au diapason de la satisfaction d’être dans une démocratie, les faits, toujours plus nombreux, invalident ces paroles.
Le déroulement de l’élection de 2017 est un parfait exemple de mépris pour la démocratie. Désormais, si le principe de l’expression de la volonté d’une majorité, demeure le critère pour valider une élection, cette volonté est largement devenue une mascarade, une apparence de choix fondés sur une analyse saine et sereine des avantages ou inconvénients d’un projet, de ce qui est essentiel ou accessoire pour le pays.
A l’ère du tweet, de l’inculture généralisée, de la mémoire défaillante, seuls comptent les éclats, le buzz, les effets de groupe, la loi des plus vociférants et des plus médiatisés. En 2017, les Français se sont étripés sur les salaires de Mme Fillon sans se demander comment un candidat, sorti de nulle part, pouvait avoir les reins suffisamment solides pour piloter le pays. En 2020, des minorités, copiant sans vergogne des minorités américaines, essayent d’influer sur la politique de notre pays et d’en effacer la mémoire à coup de raccourcis simplistes et souvent fort éloignés de la réalité. On « décontextualise » les actes du passé pour les passer au filtre de grilles de lecture contemporaines. Nourris d’anachronismes et de simplifications abusives, une partie de la population se laisse manipuler pour servir des intérêts qui ne sont pas les siens. En voulant déboulonner des statues, on déboulonne son identité et son passé pour devenir une sorte d’apatride de la mondialisation, manipulable et corvéable à merci.
En 2020, lors de la crise sanitaire, les Français ont pu assister à une multiplication d’études trafiquées pour invalider un traitement qui soigne, et parvenir à le faire interdire ! En 2020, un président, par ses déclarations de mécontentement vis-à-vis de ses ministres, a montré aux Français qu’il ignore la nature réelle de sa fonction et l’étendue de ses pouvoirs. Pauvre pays dont le gouvernement se plait à restreindre les libertés pour sauver officiellement des vies humaines tout en affichant l’un des pires scores en la matière.
Une impression désagréable que tout va à vau-l’eau assaille celles et ceux qui voient et comprennent le spectacle qui s’offre à leurs yeux.
L’ancien monde n’en fini pas de se lézarder. Le simulacre de démocratie a peut-être pris fin. Désormais, comme le hurlait le héros de la série The Walking Dead à la fin de la première saison : « maintenant la démocratie c’est fini ! ». La démocratie du Buzz, de l’inculture et de la pensée zéro est en train de miner les Etats pour laisser place à une mondialisation bas de gamme où la loi des plus forts, des plus aptes à mentir et des plus violents sera le socle du monde nouveau.
Nous avançons à toute allure vers le plus effroyable des totalitarismes, celui qui se pare des habits de la démocratie pour mieux entraver les libertés. Nous avançons à toute allure vers cet horizon effroyable mais nous pouvons ralentir le pas et changer le sens de notre marche. Pour cela, il faut réagir. Le pire ennemi de ce totalitarisme moderne est le libre arbitre, la capacité à réfléchir, l’indépendance d’esprit. Rien n’est plus dommageable pour ce totalitarisme que des individus qui se parlent, échangent, lisent, débattent et exercent leur sens critique. Il n’y a qu’à voir la multiplication des censures sur Facebook, ou l’hypocrite loi Avia, votée soit disant pour lutter contre la haine en ligne (formule du journal Le Monde par ailleurs siège des censeurs dits Décodeurs) mais en fait votée pour entraver la liberté d’expression, pour comprendre à quel point le totalitarisme qui se met en place redoute que les citoyens débattent librement entre eux.
Le salut par l’humain
Il faut donc de toute urgence tirer les leçons des propos de Mme Houlette, tirer les conséquences de la gestion de la crise sanitaire, réapprendre notre histoire et retrouver la capacité à dialoguer entre nous, à converser et à exprimer nos points de vue dans leur diversité. Il est urgent de ne pas s’opposer les uns aux autres aux motifs que nous serions différents de couleur de peau ou que nous représenterions l’Etat ou pas. Ces motifs d’opposition sont du reste, en France, largement artificiels et montés en épingle par des médias.
Notre survie dépendra aussi de notre capacité à voir les nouvelles formes d’aliénation ou les effets mortifères des logiques à finalité exclusivement financières. Voir le monde tel qu’il est aujourd’hui est primordial pour préparer l’avenir. Au lieu de mobiliser des individus pour dénoncer les drames du passé, il serait plus utile de dénoncer les actuelles formes d’esclavage des êtres humains. Au-delà des sinistres marchés d’esclaves en Libye, il y a des servitudes, par le travail ou par des addictions, moins visibles mais tout aussi dégradantes de l’être humain.
Il est temps de réinjecter de l’humain dans nos valeurs et nos objectifs de développement. Refuser l’isolement devant son écran, dénoncer le poison du communautarisme, se méfier de l’individualisme érigé en valeur suprême et revaloriser l’idée de Nation, et donc de destin collectif, sont des antidotes au totalitarisme qui se met en place. Si nous ne réagissons pas, alors oui, le héros de cette série américaine aura vu juste.
Régis DESMARAIS
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