Roman Polanski, interpelé le 26 septembre 2009 à l’aéroport de Zurich par les autorités suisses, sur un mandat d’arrêt délivré par la justice américaine pour des « relations sexuelles illégales » avec une adolescente de 13 ans (délit remontant à 1977), est donc enfin sorti de sa réserve, après sept mois de silence, dans un texte publié, ce 2 mai 2010, dans La Règle du Jeu, revue philosophico-littéraire dirigée par Bernard-Henri Lévy : « Depuis sept mois (…) je n’ai pas souhaité m’exprimer et j’ai demandé à mes avocats de limiter leurs commentaires à l’indispensable. Je voulais que les Autorités Judiciaires de Suisse et des Etats-Unis ainsi que mes avocats puissent faire leur travail sans polémique de ma part. J’ai décidé de rompre le silence pour m’adresser directement à vous sans intermédiaires et avec mes propres mots », y clame, après que la justice californienne ait refusé d’accéder à sa demande de jugement par contumace et continue au contraire à réclamer obstinément son extradition, le mémorable auteur du Pianiste en ce plaidoyer ayant pour très emblématique titre Je ne peux plus me taire !
Il était temps, diront ses défenseurs, dont je suis depuis le début de cette sombre affaire ainsi que le démontrent les nombreux articles que j’ai écrit, à ce propos, dans la presse européenne francophone. Honteux, répliqueront ses détracteurs, incomparablement plus nombreux que la poignée d’intellectuels osant encore le soutenir publiquement, contre vents et marées et au risque de se faire lyncher sur les divers sites d’Internet. Car le décalage existant, en ce qui concerne cet épineux dossier, entre l’opinion publique internationale et une certaine élite intellectuelle s’agrandit, effectivement, de jour en jour.
Pourtant, à y regarder de près, cette auto-défense de Polanski, rédigée depuis son chalet de Gstaad, où il se trouve assigné à résidence, semble imparable, tant sur le plan moral que juridique, tant elle s’appuie sur une argumentation des plus solides : « Je ne peux plus me taire car mon affaire vient de connaître un énorme rebondissement : le 26 février dernier, Roger Gunson, le procureur chargé de l’affaire en 1977 (…) a déclaré sous serment (…), en présence de David Walgren, le procureur actuel (…), que, le 19 septembre 1977, le juge Rittenband avait déclaré à toutes les parties que ma peine de prison au pénitencier de Chino correspondait à la totalité de la peine que j’aurais à exécuter », explique le cinéaste. Et, dans la foulée, de développer, particulièrement convaincant là, ce dernier élément, capital pour comprendre la dynamique de ce procès et, par la même occasion, à quel point cet acharnement de la justice californienne s’avère, comme le dénonce très opportunément Bernard-Henri Lévy, « une chasse à l’homme démente » : « Je ne peux plus me taire car la demande d’extradition aux Autorités Suisses est basée sur un mensonge : dans cette même déposition, le procureur Roger Gunson a jouté qu’il était mensonger de prétendre, comme le fait l’actuel procureur dans sa demande d’extradition, que le temps passé à Chino a été un temps consacré à des examens psychologiques. Dans cette demande, il est dit que je me suis enfui pour ne pas subir la justice américaine ; or dans la procédure « plaider coupable » j’avais reconnu les faits et j’étais retourné aux Etats-Unis pour exécuter ma peine (ndla : 42 jours passés, en 1978 déjà, en prison, derrière les barreaux). Il ne restait plus que de faire entériner cet accord par le Tribunal avant que le juge décide de renier l’accord pris pour se faire une notoriété médiatique à mes dépens. ». Sans commentaires !
Mais ce qui apparaît encore plus inintelligible, sinon scandaleux, en cette sombre affaire de mœurs aux allures d’imbroglio judiciaire, c’est que la victime en personne, Samantha Geimer, ait été déboutée, par cette même justice, de sa demande d’abandon des poursuites à l’encontre de Roman Polanski, comme si, souffrant pourtant de se voir à nouveau projetée sous les feux de l’actualité, elle n’avait pas droit là, elle non plus, à la parole, pas plus qu’au respect de sa volonté tout autant que de sa personne, la plus intime de surcroît. Si ce n’est pas là effectivement de l’acharnement, à l’instar de ce que dut subir Oscar Wilde lors de son tristement célèbre procès, on ne sait plus alors comment nommer les choses !
Aussi ces juges américains se devraient-ils de méditer, avec tout le sérieux que requièrent d’aussi pénibles circonstances, cette sentence du grand Albert Camus, philosophe pour qui l’engagement confinait à l’humanisme, et la lucidité intellectuelle au courage éthique : « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ».
Morale de l’histoire ? Qu’on laisse donc enfin Samantha Geimer en paix, puisque tel est son vœu le plus secret et avoué à la fois ! Quant à Roman Polanski, quel meilleur tribunal, comme pour tout homme digne de ce nom, que celui de sa seule conscience ?
Tout ceci étant dit, reste cependant un énorme problème quant à la stratégie de communication, pour le moins incompréhensible, établie ici par Polanski. Pourquoi donc avoir choisi, pour s’exprimer, La Règle du Jeu, organe de presse plutôt confidentiel mais qui, surtout, abrita jusqu’à peu des articles incendiaires et même haineux, signés Yann Moix notamment, à l’encontre de la Suisse, laquelle est seule apte à statuer, précisément, sur son extradition vers les Etats-Unis ? Car si Bernard-Henri Lévy aura donc réussi ainsi un fameux coup de pub pour sa revue, il aura surtout très mal conseillé là son ami, l’envoyant plutôt directement, via cette bourde psycho-diplomatique, dans l’enfer des geôles américaines. De fait : la Confédération Helvétique vient de se dessaisir de ce dossier aussi complexe que délicat, refusant d’accéder en dernière instance, elle aussi, à la demande du cinéaste.
BHL, décidément, rate tout, par-delà la désopilante affaire Botul, ces derniers temps. Un boomerang, dramatique, pour le pauvre Polanski, qui aurait mieux fait de s’adresser, en l’occurrence, à un meilleur interlocuteur pour défendre sa difficile cause !