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L’affiche de NO-L-ITA, « No Anorexia » : le conflit entre nature et culture au service d’un ouvroir

L’univers de la mode est depuis longtemps accusé, par l’exhibition de ses mannequins étiques, de confondre minceur et maigreur et d’ainsi promouvoir une image féminine auprès d’adolescentes qui par identification peuvent en devenir anorexiques.

Il fallait s’attendre à une réplique... éthique du milieu. Une affiche de la marque italienne de vêtements « No-l-ita » (North Little Italy) en est une. Diffusée en Italie, elle a été toutefois déconseillée par le Bureau de vérification de la publicité en France. On peut le regretter. Car elle ne manque pas d’intérêt pour l’édification de chacun.

Le télescopage de deux leurres incompatibles

Afin de capter l’attention, l’affiche ne fait pas dans la dentelle. Elle est dotée d’une force de frappe inédite par l’usage simultané de deux leurres incompatibles qui se téléscopent, bien qu’ils aient en commun de stimuler chacun un type de voyeurisme particulier. L’un, le leurre d’appel sexuel, déclenche un réflexe inné, l’autre, le leurre d’appel humanitaire, un réflexe socio-culturel conditionné. Il s’ensuit une déflagration comme est capable d’en produire l’éternel conflit entre la nature et la culture.
- Le leurre d’appel sexuel
Le leurre d’appel sexuel est ici une jeune femme qui, assise à même le sol, exhibe sa nudité sans fard. Seul le sexe n’est pas visible : la morale sociale l’exige sans doute, mais aussi le double jeu obligé de l’exhibition et de la dissimulation simultanées pour exacerber le voyeurisme sexuel.
- Et comme toute image peut être regardée comme citation d’une autre image, nommée intericonicité, il est possible de reconnaître dans la posture de cette femme nombre de tableaux où une femme se présente dans une position voisine : assise ou semi-allongée, tournée de gauche à droite et regardant le spectateur. Le rapprochement avec l’héroïne du fameux Déjeuner sur l’herbe de Manet est peut-être le plus saisissant. Les deux femmes s’ opposent dans un contraste violent non seulement comme déjeuner et jeûne, mais aussi comme la plénitude et la carence.
* La femme de Manet, bien en chair et donc en courbes, est offerte toute nue, comme le plus beau des fruits parmi les victuailles renversées d’un « déjeuner sur l’herbe » au milieu d’une nature estivale luxuriante. Ses deux compagnons en jouissent en esthètes, la serrant d’assez près, mais tout habillés.
* La jeune femme de l’affiche offre, au contraire, un corps d’une extrême maigreur, voire décharné, sinon flétri avant l’heure : les membres sont soigneusement désunis pour bien montrer et multiplier les lignes brisées que deviennent les courbes d’un corps féminin consumé par la cachexie. Nul compagnon à ses côtés ! Elle est livrée esseulée dans un désert uniformément et tragiquement grisâtre, déclinant tous les dégradés du gris, du plus foncé au plus clair.
- Un simulacre de relation interpersonnelle est dans les deux cas instauré par l’image mise en abîme : mais, à la différence de la femme de Manet qui fixe le passant sans surprise, voire l’aguiche, la jeune femme de l’affiche paraît, dans une mimique désapprobatrice, lui faire reproche de la regarder. Ça tient du paradoxe, car c’est tout de même elle qui s’exhibe de son plein gré. On trouve ici un complément du double-jeu évoqué plus haut, mais inversé : « Je me montre, dit-elle, mais je voudrais me cacher » et non « Je me cache, mais je voudrais me montrer davantage ». Voici que le leurre d’appel sexuel dont la fonction est tout de même avant tout de stimuler le réflexe d’attirance jusqu’à la plus grande proximité attendue du voyeurisme, vise ici, au contraire, à provoquer un réflexe d’éloignement sinon de répulsion, générateur de malaise.

- Le leurre d’appel humanitaire

C’est que simultanément cette scène d’exhibition sexuelle est celle d’une détresse et donc aussi un leurre d’appel humanitaire n’invitant, pour toute proximité, qu’à celle de la compassion et du désir d’assistance à personne en danger, excluant évidemment toute promesse de jouissance sexuelle.
- L’intericonicité renforce l’appel : elle renvoie à mille images de corps décharnés, des camps nazis aux famines de toutes sortes que charrient les médias par périodes et qui se bousculent à l’esprit de chacun.
- Seulement l’appel au secours lancé s’accompagne d’une impossibilité d’y répondre de nature à secréter chez le lecteur inconfort voire culpabilisation sans qu’il soupçonne encore que cette impossibilité de porter secours soit sciemment organisée.
- La mise hors-contexte obtenue par le décor uniformément grisâtre ne livre évidemment aucun indice pour comprendre la détresse de cette femme. Mieux, si la métonymie montre bien des effets, une maigreur extrême, il faut la mention écrite « anorexie » pour pallier l’infirmité de l’image qui ne peut livrer par elle-même aucune cause de cet état déplorable.
- Mais même cette mention « anorexie » est encore une sorte de métonymie : tous les médecins le diront, l’anorexie qui conduit à ne plus s’alimenter normalement, doit être lue comme un symptôme - et donc un effet - d’une maladie complexe de nature psycho-sociologique. Le comble de cette affiche est donc de livrer une métonymie incompréhensible puisque l’effet montré, une femme anorexique, ne peut nullement laisser supposer les causes du mal pour y remédier.

À chaque entreprise son ouvroir

On retrouve là l’usage de toutes les affiches à leurre d’appel humanitairemise hors-contexte et métonymie incompréhensible rendent le récepteur prisonnier de l’émetteur s’il se laisse dominer par les réflexes à dessein stimulés. Comme si le peu de surplus qu’il a, par vases communicants, avait été enlevé à la victime qu’on lui exhibe, le récepteur doit être la proie d’un inconfort et d’une culpabilité possibles dont on l’incite à se libérer par le don sollicité.
- Ici, il n’est pas, bien sûr, question de don. Il est attendu seulement un report d’estime sur la marque « No-l-ita » qui a le noble et désintéressé souci d’alerter le monde face au fléau de l’anorexie : le bienfaiteur et la victime qu’il secourt, se partagent, en effet, une considération publique commune.
- Par cette affiche, il s’agit donc moins de combattre l’anorexie aux causes multiples propres à chaque patiente, que de donner de la marque « No-l-ita » une image édifiante de philanthrope, dans la bonne tradition des « dames patronnesses » du XIXe siècle, brocardées par Jacques Brel, qui, « un point à l’envers / et un point à l’endroit », tricotaient des vêtements « couleur caca d’oie / pour reconnaître ses pauvres à soi » !

Toute entreprise qui se respecte aujourd’hui, a son ouvroir alimenté le plus souvent par l’argent qu’elle invite ses clients à verser : si vous achetez ce café, un sou ira à une fondation humanitaire. « No-l-ita » a donc fait de l’anorexie son ouvroir. On pourrait même penser qu’il lui était prédestiné à en juger par le slogan : la syllabe « No » n’est-elle pas commune à la négation, au mot « anorexia » et à « No-l-ita » ? Il s’agit ainsi à peu de frais de gagner auprès du public un capital de sympathie qui fasse oublier que la motivation essentielle d’une entreprise n’est nullement désintéressée : faire fructifier d’abord son capital économique par des règles économiques qui n’ont rien de philanthropique, sauf si la philanthropie feinte ou réelle devient aussi un levier économique.

Mais, qui sait ? Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Peut-être est-ce l’amorce d’une révision des canons de l’image féminine sous la pression d’une « mal-bouffe » qui arrondit les silhouettes. « No-l-ita » prendrait donc le train en marche pour valoriser désormais des corps bien en chair. Son slogan en 2004 était déjà « Come as you are », venez comme vous êtes ! Tout compte fait, il est dommage que le Bureau de vérification de la publicité ait cru devoir priver les Français d’un si bel exemple de la manipulation des esprits par les leurres.

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L'affiche de NO-L-ITA, « No Anorexia » : le conflit entre nature et culture au service d'un ouvroir

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20 réactions à cet article    


  • Zalka Zalka 8 octobre 2007 14:15

    DW, lors de la sortie du premier article à propos de cette affiche, je vous avais mis au défi de suivre le régime alimentaire des adolescentes anorexiques (en réaction à vos propos choquants). Où en êtes vous ?


  • Paul Villach Paul Villach 8 octobre 2007 16:12

    Votre éclairage est très intéressant. Paul Villach


  • DAUMINAU 8 octobre 2007 15:25

    Hola ! Vous me semblez bien partis pour amputer les mouches !

    Moi, je dirais tout simplement que c’est une affiche con.

    Con au premier abord, mais efficace comme appel publicitaire. Pourtant ce message peut se retourner contre l’emetteur, comme cela avait été le cas avec la pub Renault à propos d’une voiture en forme de « poire ».


    • Cher paul Villach, Vous nous démontrez une fois de plus votre immense compétence en matière de communication. J’ai lu avec intérêt votre ouvrage « de base » « les medias, la manipulation des esprits, leurres et illusions » qui contenait déjà nombre de cas concrets illustrant vos travaux. Je suis de ceux qui espèrent, pour plus tard, la réunion de tous vos nouveaux articles à l’occasion d’une réédition chez LACOUR à NIMES. S’agissant de votre analyse d’aujourd’hui je suis cependant un peu resté sur ma faim ; s’agissant de savoir ce que cette campagne apportera vraiment aux traitements de l’anorexie.


      • Paul Villach Paul Villach 8 octobre 2007 18:10

        Vous restez sur votre faim, mon colonel, c’est bien normal ! NO-L-ITA n’a pas l’intention de partager le gâteau avec vous ni avec quiconque. Nous ne sommes appelés au banquet que pour voir NO-L-ITA se goberger... Paul Villach


      • moebius 8 octobre 2007 23:55

        molto bene..c’est quoi NO-L-ITA ? des vétements ? une campagne gouvernementale pour combattre ce fléaux que représente l’anorexie ?...ce qui fait le succes de cette campagne pesante serait notre incapacité a renoncer au modéle...toujours ce christos obése romain...fellinien...Grande Bouffe de Ferreri aussi en tout cas bien -ITA et bien mama pour rester là


        • Christoff_M Christoff_M 9 octobre 2007 01:25

          Cette jeune femme est le vrai visage du milieu de la pub et du business, qui nous vend de la merde à des prix de rêves...

          C’est la sorcière vieille, décharnée qui se cache derrière les paillettes du fric, du paraitre et du vice déguisé en vertu, le porno-chic, dernier exutoire des vieux capitalistes pédophiles en mal de sensations !! je sors du film de Beigbeder et je n’en dirais pas plus...

          Je pense à Lagerfield, transformé en cette marionnette ridicule à talons, trop amaigrie, ridicule, poudré avec ces faux cols et ses gants pour dissimuler ses rides !! je ne peux avoir que de la pitié pour ce milieu ou l’on survit dans la poudre, seule substance pure dans ce marécage nauséabond ; je m’étonne tous les jours que des naifs revent de ce milieu du business marketing ! Allez voir le film 99f si vous avez le courage de tomber de haut, de plonger dans le vrai...


          • Alexe 9 octobre 2007 08:51

            Juste un truc en marge de cette affiche qui, malgré son fond publicitaire, me paraît nécessaire... quelqu’un a-t-il vu quelques images des grands défilés parisiens dernièrement ? je n’en ai capté que très peu, mais ce très peu me plonge dans l’indignation ; paradoxe du monde de la mode (Paris, ahhh, Paris, capitale de cette engeance), où sous des aspect « luxe » et « classe » on fait encore l’éloge de la maigreur, des décolletés où l’on voit tout mais rien, puisqu’il n’y a rien à voir, rien à bouffer sur ces carcasses décharnées, des os en marche, impavides et las... n’importe quoi.

            Ce que j’aimerais maintenant constater, c’est l’esthétique des mannequins de la marque de l’affiche en question... retrouvera-t-on l’esprit de ce qu’ils critiquent ou seront-ils eux aussi suffisamment hypocrites pour nous ressasser les mêmes zombies asexués ?

            Pas la peine non plus de nous refourguer les mêmes références éculées aux peintres grassouillets, l’époque n’est plus aux bourrelets, c’est un fait, sauf dans certains pays d’Afrique où l’on gave les femmes, où l’obésité est un signe extérieur de richesse et de désir.

            Mais tout ceci ne serait-il pas que la conséquence toujours renouvelée de l’influence de l’homme sur la femme, objet et non sujet, soi-disant incapable de s’affirmer elle-même dans un corps sain, avec ses qualités et ses défauts... Anorexie, machisme et volonté de pouvoir... un seul et même sujet ?

            Alexe


            • Philippakos Philippakos 9 octobre 2007 10:48

              Article fort intéressant sur une seule image qu’on peut disséquer de tant de façons. Mais d’abord une précision étymologique : il n’y a pas de NO dans « anorexie ». Le mot se décompose avec A le privatif et OREXIA l’appétit, le N faisant la liaison, en aucun cas donc NO - REXIE.

              Ensuite je suis étonné de ne pas trouver dans les commentaires le mot « provocation ». Toscani est pourtant un spécialiste du procédé : utiliser un thème dont on parle (le SIDA il y a vingt ans) pour attirer le scandale, les commentaires de tous bords, la censure même... Le slogan « come as you are » de la marque est un des plus raccoleurs jamais utilisé dans la pub. Il oublie seulement que les ados (puisque c’est à eux en priorité que ces pubs s’adressent) ne se font pas tout seuls, que leur construction se fait par la synthèse de différents modèles... et que ce n’est pas demain qu’on refera la psychologie.

              Le « come as you are » va dans le sens du « parce que vous le valez bien », c’est-à-dire une flatterie délibérée du consommateur à qui on donne un rôle prédominant dans un processus où il n’est que la victime de marchands qui décident pour lui. La tendance de la pub contemporaine est de lui faire croire le contraire, de caresser son ego dans le sens du poil, de déifier l’individu à une époque où il doute le plus de la pertinence de sa personne. En commentant largement cette image (c’est déjà le second article, rien que dans AV) Toscani ne touche-t-il pas déjà son but qui est que le client retienne le nom de No-l-ita ?


              • Paul Villach Paul Villach 9 octobre 2007 11:30

                Vos observations sont tout à fait pertinentes. Et j’y souscris volontiers.

                - Pour ce qui est du NO, vous montrez utilement que l’identification qu’entend insinuer NO-L-ITA par le son est purement formelle puisque l’étymologie la dément.

                - Quant à la provocation, je n’ai pas employé le terme, car il est trop imprécis. En revanche l’association du leurre d’appel sexuel et du leurre d’appel humanitaire pour combiner les deux voyeurismes vise à « provoquer » des réflexes contradictoires que je décris.

                - Votre commentaire du slogan « Come as you are » entre en résonnance avec celui de Florentin Piffard que vous trouvez plus haut. Paul Villach


              • zoe rose 9 octobre 2007 10:57

                Monsieur, je vous remercie infiniment d’être venu « me chercher » sur mon petit blog insignifiant. Votre article, tout comme les commentaires, sont bien plus instructifs que les articles de la presse traditionnelle que j’aie pu lire sur le sujet. Merci encore pour cet éclairage intelligent et indispensable sur cette campagne de pub en particulier, et sur les médias en général. Merci également à vous qui laissez des commentaires, même contradictoires, qui nous rendent moins idiots !


                • Philippakos Philippakos 9 octobre 2007 11:23

                  Un petit ajout encore. Comme je l’ai déjà dit dans un commentaire de l’article précédent, je ne suis pas pour permettre une agression délibérée du spectateur. En effet, dans le cas de ces grandes affiches, on n’a pas la possibilité de ne pas les voir... et ça, c’est une atteinte flagrante à la liberté de chacun. On ne doit pas supporter toutes les provocations et les agressions visuelles des publicitaires dont le but premier est, ne l’oublions pas, de vendre leur camelote.


                  • Paul Villach Paul Villach 9 octobre 2007 12:41

                    La lecture de René Girard (Université de Stanford) « Désordres alimentaires et désir mimétique » que vous avez eu raison de conseiller dans votre premier commentaire permet effectivement de mieux comprendre votre approche. Merci. Paul Villach


                  • Paul Villach Paul Villach 9 octobre 2007 12:56

                    Je comprends votre agacement. Mais le rêve d’un monde sans publicité est une chimère. Nous vivons dans la publicité permanente comme dans la pesanteur.

                    La première des publicités n’est-elle pas celle que chacun pratique quotidiennement, soit cette « information donnée » qui est livrée volontairement, mais après avoir été passée au crible de ses intérêt vitaux ?

                    Plus réaliste me paraît « le rêve » de citoyens suffisamment instruits pour savoir reconnaître les procédés que chacun utilise plus ou moins adroitement, quand les stratèges publicitaires en usent avec savoir-faire, afin de pouvoir s’en défendre. AGORAVOX y aide.

                    Car s’il est un domaine où la critique est rare, c’est bien celui de la publicité et pour cause : elle finance les médias. On ne mord pas la main qui vous nourrit.

                    Amusez-vous, si vous en avez le temps, à voir par exemple ce qui s’est dit sur les sites et blogs divers au sujet de cette publicité de NO-l-ITA. On y relève des réactions primaires, sans perception ni identification des procédés mise en oeuvre. À en juger par le nombre de référencements, les stratèges de NO-L-ITA ont réussit leur campagne. Paul Villach


                  • Philippakos Philippakos 9 octobre 2007 20:01

                    Ce n’est pas seulement de l’agacement, c’est de l’indignation devant le « laisser faire » qui pourrait nous infliger un massacre de bébés à la tronçonneuse pour promouvoir des couches culottes. Il est du domaine de l’ingérence que des publicitaires jouent sur nos sensibilités de façon aussi morbide pour provoquer les réactions du citoyen et le réveiller brutalement de son indifférence. Puisqu’on ne peut échapper à ces immenses placards, faisons au moins respecter ce droit à l’indifférence.


                  • docdory docdory 10 octobre 2007 13:37

                    @ Paul Villach

                    Au delà de votre analyse très profonde , on peut se poser la question de l’effet produit par cette publicité sur les principales intéressées : les anorexiques elles-même .

                    Une caractéristique des anorexiques est qu’elles se trouvent « énormes » quant elles se voient dans un miroir . Il y a un trouble du schéma corporel qui aboutit en définitive au fait qu’elles ne se « voient » pas ! Est-ce qu’en regardant cette publicité cela leur permettra , en voyant une autre comme elles , de « se voir » enfin telles qu’elles sont , rien n’est moins sûr .

                    Une autre hypothèse est que cela incite des jeunes filles au bord de l’anorexie à franchir le pas qui les fera plonger dans cet abîme , parce que , pour elles , cette image est un rève . Car il s’agit bien d’un abîme . Aucune maladie « mentale » ( en l’occurence la distinction entre le corps et le mental est bien artificielle ) n’est grevée d’un aussi lourd taux de mortalité ( peut-être 30 % , et pour les survivantes , seules 30 % mèneront une vie dite « normale » ...)

                    Selon certaines théories explicatives contestées , l’anorexie mentale est une sorte de toxicomanie ( le cerveau des patientes sécréterait de grandes quantités d’endorphines , d’où phénomène de dépendance à l’amaigrissement ). Vouloir lutter contre cette toxicomanie par une image risque par conséquent d’être aussi peu efficace que les images de poumons cancéreux imprimées sur les paquets de cigarettes dans certains pays .

                    A noter un fait intéressant concernant l’anorexie mentale : l’amaigrissement est souvent précédé par un arrêt des règles , qui , pour certaines interprétations psychanalytiques , également contestées , est le signe d’un refus de sa féminité ( selon les organicistes , cela sera plutôt interprêté comme un « dérèglement hypothalamique » : l’hypothalamus règle l’ensemble des fonctions hormonales ainsi que l’alimentation et les pulsions sexuelles ) . Dans ce domaine , pour l’instant , l’aphorisme « qui fait de la pathogénie patauge » s’applique très bien ...


                    • Paul Villach Paul Villach 10 octobre 2007 14:26

                      Merci, docteur, de cette approche médicale de l’anorexie qui corrobore mon analyse de cette affiche. L’opération de NO-L-ITA ne visait qu’à s’autopromouvoir sous couvert de jouer les bons samaritains. Paul Villach


                    • farniente 10 octobre 2007 20:41

                      J’ai eu du mal à venir sur ce forum, tant l’affiche est repoussante.

                      Un point semble avoir été oublié jusqu’ici : l’anorexie est l’expression d’une souffrance.

                      Et docdory a bien raison, les anorexiques ne se voient pas, et ne réagiront donc pas avec cette affiche.

                      Personnellement, j’associe le modèle de la femme mince-maigre dans les consciences féminines à la vague des poupées Barbie : corps filiforme, disproportionné dans son allongement, négation de la fonction reproductrice ( pas de hanches, pas de bassin ).

                      L’imprégnation de ce modèle dans la mémoire des fillettes a ouvert la porte à la nouvelle esthétique de la maigreur.

                      L’imposition d’une taille minimale et d’un poids maximal aux mannequin a également favorisé cette mode.

                      Maintenant, plusieurs questions m’interpellent : pourquoi ( outre le modèle des Barbies ) l’anorexie touche-t-elle plus les femmes que les hommes ?

                      Comment ce modèle a-t-il pu s’imposer à beaucoup de femmes, alors que les marques visibles de la féminité attirent plus les hommes ?

                      Comment les couturiers hommes ont-ils pu se détacher du modèle de la féminité marquée ?

                      Comment ont-ils pu imposer comme modèle de beauté une horreur masquée par leurs vêtements ?

                      Car si le spectateur rentre dans la supercherie, le couturier, lui, sait.


                      • Paul Villach Paul Villach 11 octobre 2007 08:54

                        Je ne pense pas que l’anorexie ait été oubliée. Docdory a donné l’éclairage médical. Florentin Piffard a ouvert le débat sur l’approche anthropologique de la maladie par René Girard, en renvoyant à un article intéressant disponible sur Internet.

                        Quant à mon article, je ne m’intéressais qu’à l’information que NO-L-ITA diffusait et donc aux leurres qui étaient mobilisés pour son opération de promotion.

                        Comme c’est la règle dans toute campagne humanitaire, la maladie n’est ici qu’un moyen - et non une fin en soi - au service d’une promotion. Paul Villach


                      • karinb 17 octobre 2007 16:46

                        Merci pour cette analyse d’image qui m’a particulièrement intéressée... Comme vous le savez peut-être j’ai réagi à ma manière à cette campagne et tout le délire autour dans un article au "Monde.

                        L’anorexie, c’est sûr que c’est un sujet que je connais (livres, thèse...), et pourtant je ne me lasse pas de voir à quel point l’incompréhension et les abbérrations perdurent.

                        (l’article a été repris par le site web du journal. Le lien est ici : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-964796,0.html)

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