L’architecture : « un art visuel »
L'architecture n'est pas sans exercer une influence au sein de la société. Il y a des quartiers, des rues et des immeubles qui « exhalent » l’opulence, d'autres la ghettoïsation, la pauvreté, le mercantilisme, le prolétariat, la débrouille, les affaires. Charles Edouard Jeanneret-Gris, plus connu sous le nom de Le Corbusier, considérait que l'architecture se devait d'améliorer la société, et qu'elle pouvait contribuer au bonheur de la population. Lettre morte écrite à l'encre évanescente. L'égo des hommes politiques les pousse à faire construire des bâtiments de prestige avant de loger dignement la population quand celle-ci n'est pas chassée d'un quartier pour le profit de quelques spéculateurs. Il leur faut laisser leur nom en initiant des projets toujours plus haut, plus clinquant ou d'adopter une forme qui marque les esprits. Tout le monde a oublié le nom de l'architecte mais pas celui de l'homme politique donneur d'ordre. Les élus des communes devenus « esthètes » se sont s'accaparer les ronds-points en guise de galeries (budget annuel d'un rond-point 10 à 70.000 €, et on en compte 65.000).
Une ville nouvelle sortie de terre en quelques années n'évoque pas le même ressenti qu'une ville qui s'est développée au fil des siècles. En visite dans une ville ou un quartier, il nous arrive d'être surpris par l'architecture d'un bâtiment, d'une rue, voire de tout un quartier. Matériaux, couleurs, formes, tailles, volumes, proportions, style, rythme et détails architecturaux attirent notre regard. Une promenade dans une ville et sa région suffit pour discerner différentes écoles d'architecture. On compte une vingtaine de styles régionaux aisément identifiables. Déambuler au sein de la cité universitaire (Paris), c'est déjà découvrir une quarantaine de pavillons très différents : maison du Japon, de l'Inde, de l'Iran.
Pour certains, la date de construction d'un bâtiment a perdu toute signification. Les bâtisseurs ont utilisé pendant des millénaires les matériaux disponibles, la pierre, le bois, la terre, la brique (terre cuite), le mortier, le plâtre. L'architecture grecque et romaine est restée le modèle pendant des siècles avec la double règle énoncée par Vitruve, l'eurythmia (répétition) et symmetria (proportions) liée au néoplatonicisme (la beauté au service de l'unité). La tête est le 1/8 de la taille, le visage en est le 1/10 et le pied le 1/6. La main est égale à un visage, la coudée (avant-bras et main) est égale à à deux visages, soit le 1/4 de la taille, elle-même égale à la grande envergure.
Chez les Grecs, la proportion entre le pied et la hauteur du corps humain sert à définir la proportion entre le diamètre et la hauteur d'une colonne. Si La colonne évoque le tronc, elle peut aussi représenter un corps soutenant une charge (caryatides). La composition géométrique symbolise l'alliance des arts, et de la science, de l'homme et de la raison. Le nombre d'or (1,6180) qui définit les proportions du Parthénon présente une particularité. On peut diviser d'un seul trait le rectangle en deux parties, un carré et un rectangle, d'or, plus petits. Si on inscrit des rectangles plus petits les uns à l'intérieur des autres et que l'on trace une courbe qui relie les arrêtes du carré on obtient la spirale d'or.
Le style architectural d'un bâtiment est déterminé par les techniques de construction, les matériaux utilisés, la répartition des charges et le rôle de la façade. Vers le début du XII° siècle, les briques cuites sont utilisées pour combler les vides des maisons à pans de bois et remplacer le torchis (terre, paille et chaux). Longtemps la charpente en bois a suffi à soutenir les forces exercées, mais le bois présente deux inconvénients, il brûle et il pourrit. Les bâtisseurs vont donc le remplacer par la pierre. Cette dernière, plus lourde, va limiter la construction en hauteur à quelques étages. L'arc et la voûte vont permettre la construction d'aqueducs, de ponts et d'édifices religieux. L'architecture romane (X-XII°) est massive, murs épais percés de minuscules ouvertures avec contrebutements et arc plein centre (un demi cercle). Le gothique (XII°-XVI°) utilise l'arc brisé (inscrit dans deux cercles), croisée d'ogives en « X » (les ponts surbaissés reposent sur l'anse de panier qui s’inscrit dans trois cercles). Les édifices de transition mélangent les deux styles (basilique d'Evon en Mayenne), quant à l’abbaye cistercienne, elle se distingue par sa sobriété monastique.
La Renaissance marque l'entrée dans les temps modernes et méprise les styles gothique et roman. Ces deux adjectifs pour désigner deux phases majeures de l'art du Moyen-Age ne sont apparus qu'aux XVI° et XXI° siècle, et furent créés par leurs détracteurs. Le XVII° siècle voit l'ouverture, à Paris, des places Dauphine, Royale (place des Vosges). La brique se substitue par endroit à la pierre difficile d'approvisionnement. La pierre reste utilisée en chainage d’angle. L'architecte Perrault magnifie le Louvre, prélude à Versailles. Le XVIII° siècle marque l'âge industriel, le fer, le verre et l'acier vont devenir des matériaux de construction très prisés.
Sous le Second-Empire (1852-1870) place aux travaux du préfet Haussmann. Son prédécesseur, le comte Rambuteau, a déjà initié des travaux d'envergure dans le quartier Turbigo (immeubles rambutéens). Le baron Haussmann va ouvrir de grandes avenues rectilignes et raser des quartiers aux rues sinueuses et étroites occupés par la populace, un carrosse ne pouvait y passer, pour laisser place à des immeubles bourgeois en pierre de taille. La hauteur de la façade est proportionnelle à la largeur de la rue, et l'immeuble a six étages (hauteur maximum 20 m) et des balcons filants au 2° et 5°. Le sixième abrite les chambres de bonne avec WC et un point d'eau sur le palier. Nombre d'éléments architecturaux en saillies contribuent à enjoliver l'immeuble. Les encorbellements, interdits au XVII° siècle en raison du risque d'effondrement, sont autorisés à condition d'être à plus de six mètres au-dessus du sol.
La révolution et les guerres furent une calamité pour l'architecture. Au début du XIX° siècle, Louis Vicat met au point le ciment artificiel (1817), cuisson de calcaire et d'argile. François Coignet imagine le béton armé en 1852. La poutre creuse en béton armé apparait en 1892. Le premier immeuble en béton armé (deux rangées de fers ronds maintenues par des étriers) est bâti en 1901 au numéro 1 de la rue Danton, Paris VI°, architecte Edouard Arnaud. Si la façade est recouverte d'un enduit imitant la pierre, les planchers sont en béton pour sa résistance au feu. La formule du béton est standardisée en 1906 (350 kg de ciment, 590 kg de sable, 1.180 kg de gravier et 210 litres d'eau).
Jusqu'au XX° siècle nombre de bâtiments s'apparentent à un cube ou un parallélépipède reposant sur le sol et surmonté d'un toit. « De petits cubes » s'exclame Matisse en découvrant la toile « les maisons à l'Estaque » de Braque (1908). Quelques décennies plus tard les « Grandes unités d'habitation » aux formes géométriques simples à l'extrême sont loin de faire l'unanimité (cabanes à lapins, la Grande moche). Le choix d'un projet architectural moderne se doit d'apporter des réponses à la destination du bâti : habitations, standing, gares, hôpitaux, écoles, aéroports, musées, théâtres, commerces et s'adapter à de nombreuses contraintes : nature des sols, surface, environnement, coûts, règlements, innovation. L'Art-déco va recouvrir des façades de carreaux de céramique.
A partir des années trente le béton armé va remplacer la pierre de taille et le moellon. Le béton est loin d'être un matériau magique : « En vieillissant il devient infiltrant. L'eau, chargée avec la pollution attaque les fers qui rouillent, gonflent et poussent l'épiderme du béton vers l'extérieur, occasionnant écaillements, fissures ou éclatements ». Le matériau ne va cesser d'évoluer : béton précontraint, béton allégé (billes en polystyrène), béton à hautes performances, béton vibré. Vers la fin du XX° siècle les architectes imaginent des façades brisées, inclinées qui semblent défier les lois de la pesanteur.
Si on connaît les noms des grands peintres des différentes écoles ou époques, on ignore ceux des architectes à part quelques-uns : Antoni gaudi avec la Sagrada Familia de Barcelone pour son exubérance et son chantier toujours inachevé. Ferdinand Cheval, facteur à Haute-rives et son palais idéal réalisé de 1879 à 1912. Jean Renaudie, opposé aux barres d'immeubles, pour ses bâtiments aux formes d'amas de cristaux tranchants. Le Corbusier et la Cité radieuse à Marseille. L'architecte superpose des étages sans que les murs porteurs soient tous dans la continuité, et les pilotis détachent le premier niveau du sol. Auguste Perret à qui l'on doit le Théâtre des Champs-Élysées (1913), l'église du Raincy (93), la reconstruction de la ville du Havre inscrite à l'UNESCO, le CEA à Saclay, l'aéroport d'Orly (qui a inspiré une chanson à Gilbert Bécaud). Jean Nouvel l'architecte de l'Institut du Monde arabe (1981-1987) avec sa façade en verre doublée d'un moucharabieh et diaphragmes à ouverture commandée par ordinateur ; la tour Agbar de Barcelone percée de 4.400 fenêtres équipées de diodes qui réagissent à la lumière et à la température.
Gropius conçoit en 1925 un bâtiment en forme d'hélice. Tatline imagine une paroi en béton ayant la forme d'un ruban en spirale. Mies van der Rohe, l'un des maitre du Bauhaus, popularise la formule « Less is more » et travaille sur le décloisonnement (open space). Frank Wright, le « père de l'architecture » avec huit œuvres architecturales classées au patrimoine de l'UNESCO, délaisse les façades qui présentent toutes la même importance. Richard Rogers et Renzo Piano, architectes du centre Pompidou, font ressortir les espaces secondaires : escaliers, ascenseurs, gaines de ventilation en façade. Les créations de Santioago Calatrava ne sont semblables à nulle autre, son univers est peuplé de squelettes, de formes humaine et animale les faisant ressembler à des sculptures géantes. Frank Gehry privilégie les volumes en équilibre enveloppés et dissocie les constructions de leur fonction : Maison dansante à Prague, Musée Guggenheim de Bilbao, Fondation Louis Vuitton à Paris et la Cinémathèque française sont des œuvres d'art à part entière.
Dominique Perrault lie l'architecture à l'urbanisme : Hippodrome de Lonchamp, réhabilitation des tours en front de Seine, Bibliothèque Nationale de France plus connue sous bibliothèque François Mitterrand, restauration de la Poste du Louvre, projet de village olympique. La pyramide du Musée Louvre, œuvre de l'architecte Ming Pei inaugurée par François Mitterrand en 1989, qui était loin de satisfaire les Parisiens, est devenu un des monuments des plus visités. On va Louvre autant pour la Joconde que pour admirer les cinq pyramides dont quatre puits de lumière. L'édifice a inspiré Dan Brown « Da Vinci code ». Le temps modifie le regard, ce qui sera le cas pour Jean Balladur avec la Grande Motte, immeubles inspirés des pyramides mayas ; les étages en retrait l'un sur l'autre bénéficient de la lumière. Comme pour tout art visuel, l'esprit doit se familiariser avec l'objet avant d'en analyser les sensations perçues.
L’incendie de Notre-Dame de Paris le 15 avril 2019 a ouvert un débat. Reconstruire à l'identique le toit, et la flèche imaginée par Violet le Duc, ou « trouver un juste milieu entre la reconnaissance du passé et l’innovation de notre époque ». Une douzaine d'architectes ont concouru : toit en verre afin de baigner de lumière l’intérieur de la cathédrale, flèche pyramidale translucide en cristal, base de la flèche ceinte d’une plateforme offrant une vue panoramique, verrière végétale avec une flèche reconstruite à l’identique, flèche en métal dorée surmontant un toit vitré couvrant une esplanade ouverte au public.
Le président a choisi la reconstruction de N-D à l'identique. Faut-il y voir la crainte d'une « désacralisation » de Notre-Dame ou d'un long passage au purgatoire ? Le 8 décembre 2023, le président annonçait un concours d'artistes pour remplacer les vitraux des six chapelles épargnées par l'incendie par des vitraux contemporains afin de porter « la marque du XXIe siècle ». N'était ce pas l'opportunité de sublimer un édifice (au sens architectural) daté et de concilier religion-culture avec laïcité à travers un tiers-lieu ? Reconstruire la toiture en verre avec un éclairage zénithal, symbole d'ouverture, aurait offert aux fidèles une expérience spirituelle nouvelle. L'architecte Alexandre Chassang avait mis en garde : « Nous n’allons pas reconstruire aujourd’hui par mimétisme l’image du passé. Ce serait comme exposer une copie de la Joconde au Louvre. Profitons de ce moment pour ouvrir le débat sur l’action à mener. L’architecture doit représenter notre époque ». Une remarque, une correction, une précision ?
°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
1 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON